Publié par CEMO Centre - Paris
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Au Burkina Faso, Ibrahim Traoré accentue la pression sur les médias

mardi 28/mars/2023 - 11:28
La Reference
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Lundi, la junte dirigée par le jeune capitaine a suspendu la diffusion de la chaîne France 24. Elle met en garde ceux qui « communiquent » pour « l’ennemi ».
« Programme bloqué. » Depuis lundi, un écran noir remplace les journaux d’information de France 24 sur les postes de télévision au Burkina Faso. Ce 27 mars, la junte au pouvoir a ordonné la suspension « sine die » de la diffusion des programmes du média français sur son territoire, trois semaines après l’entretien du journaliste et spécialiste des questions djihadistes Wassim Nasr, avec le chef d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
Le 6 mars, la chaîne avait choisi d’analyser les réponses à dix-sept questions, adressées par écrit à Abou Obeida Youssef Al-Annabi, le chef d’AQMI, sans diffuser les réponses audio pour éviter de relayer la propagande du groupe.
Les autorités burkinabées ont pourtant estimé qu’en « ouvrant ses antennes au premier responsable d’AQMI, France 24 ne fait pas seulement office d’agence de communication pour ces terroristes, pire il offre un espace de légitimation des actions terroristes et des discours de haine véhiculés pour assouvir les visées maléfiques de cette organisation sur le Burkina Faso », selon le communiqué du porte-parole du gouvernement Jean Emmanuel Ouédraogo.
La direction de France 24 s’indigne de ces « propos outranciers et diffamatoires » et conteste « les accusations sans fondement qui mettent en cause le professionnalisme de la chaîne », suivie par un tiers de la population chaque semaine dans le pays.
L’étau se resserre sur la presse
« La suspension de la diffusion de France 24 est une grave atteinte à la liberté de la presse qui bafoue le droit des Burkinabés à être pleinement informés dans un cadre pluraliste. La liberté de la presse ne doit être en aucun cas la victime de tensions diplomatiques », regrette Christophe Deloire, le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), alors que les relations entre Paris et Ouagadougou ne cessent de se détériorer et que la junte, comme au Mali voisin, a mis fin en janvier au partenariat militaire liant ce pays en proie aux violences djihadistes à l’ancienne puissance coloniale.
Au Burkina Faso, depuis la prise du pouvoir par les militaires à la suite d’un coup d’Etat en septembre 2022 – le second en huit mois –, l’étau se resserre sur la presse. Début décembre, le gouvernement de transition avait déjà suspendu la diffusion de Radio France Internationale (RFI), du même groupe, France Médias Monde, lui reprochant notamment d’avoir relayé « un message d’intimidation » attribué à « un chef terroriste ».
Après la suspension de RFI, les autorités avaient convoqué les représentants des organes de la presse burkinabée, ainsi que l’ensemble des correspondants de la presse internationale, pour une rencontre aux allures de mise en garde, contre les médias qui relaieraient les messages de « l’ennemi » ou des informations pouvant « décourager » la population, alors que les violences ont fait plus de 10 000 morts en sept ans dans le pays.
Confronté à une recrudescence des attaques terroristes ces dernières semaines, le chef de la junte, le capitaine Ibrahim Traoré, s’est montré plus menaçant à l’encontre des voix critiques lors d’un déplacement à Kaya, dans le Centre-Nord, le 23 mars. « Tous ceux-là qui pensent qu’ils sont cachés, à l’intérieur ou à l’extérieur, qui continuent d’informer, de communiquer pour l’ennemi, ils vont le payer », a prévenu le chef de l’Etat, allant jusqu’à évoquer le cas récent d’un lanceur d’alerte « interpellé » et « engagé immédiatement pour être VDP », le nom donné aux supplétifs civils de l’armée, après avoir interpellé les autorités sur la situation sécuritaire dans la région, lors d’une conférence de presse quelques jours plus tôt.
La peur s’instille chez les journalistes
Si l’enrôlement forcé de cet homme, affublé d’un treillis militaire selon les images qui circulent sur les réseaux sociaux, reste à confirmer, le message est clair pour les leaders d’opinion. La junte, qui prône le tout sécuritaire pour tenter de « reconquérir » les vastes pans de territoire occupés par les groupes armés, durcit le ton et mise sur ses partisans pour occuper le champ médiatique.
Sur les réseaux sociaux, plusieurs journalistes burkinabés ont fait l’objet d’insultes et de menaces à travers des messages et des vidéos relayées par certains activistes pro-junte. Ahmed Newton Barry, journaliste et ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), visé par plusieurs appels au meurtre, dénonce « une stratégie double pour museler toute voix discordante et imposer le silence dans la guerre contre le terrorisme. Le gouvernement s’en prend aux médias internationaux et il laisse le soin à ses partisans de traquer et de faire taire les critiques à l’intérieur ».
Au Burkina Faso, la peur s’instille chez les journalistes et les défenseurs des droits humains. Le pays, longtemps considéré comme l’une des réussites du continent africain en matière de liberté de la presse, a reculé de quatre places dans le classement de Reporters sans frontières (RSF) en 2022, se plaçant 41e sur 180. « Hier c’était RFI, aujourd’hui c’est France 24, demain qui sera le prochain sur la liste ? », s’inquiète Sadibou Marong, à la tête du bureau régional de RSF pour l’Afrique de l’Ouest, situé à Dakar (Sénégal).
Pressions, convocations de journalistes, verrouillage de la communication officielle… L’autocensure s’accentue et la menace djihadiste sur le terrain entrave l’accès à l’information. « Se déplacer est devenu risqué et nos sources sur place ont peur de parler par téléphone. Pour les attaques, on doit se contenter de relayer les bilans officiels, des autorités nous appellent dès que l’on s’éloigne de leur communiqué », regrette Lamine Traoré, journaliste à Radio Oméga, l’une des stations les plus écoutées dans le pays, dont la direction vient de porter plainte après des messages appelant à incendier ses locaux et le domicile de ses employés.
Soupçons de détournement de fonds, exactions imputées aux forces de sécurité… Les sujets « tabous » se multiplient. Dans une enquête publiée le 27 mars, le quotidien français Libération a pu reconstituer les circonstances dans lesquelles a été filmée une vidéo montrant des enfants exécutés dans une caserne militaire, dans le nord du pays. Le gouvernement a aussitôt condamné des « manipulations (…) à des fins politiques » et la volonté de « jeter le discrédit » sur l’armée.

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