Daech, les enfants fantômes
mercredi 15/mars/2023 - 03:13
Le monde en face, présenté par Mélanie Taravant, propose un nouveau documentaire exceptionnel, Daech, les enfants fantômes, écrit et réalisé par Hélène Lam Trong.
« L'enfant doit, en toutes circonstances, être parmi les premiers à recevoir protection et secours. »
Déclaration des droits de l'enfant, principe n° 8.
Jamais les filles et fils de criminels n’avaient été punis au même titre que leurs parents : les enfants des djihadistes de Daech sont un cas d’école. Depuis 2019, environ 500 enfants français ont grandi dans des prisons à ciel ouvert, au mépris total de toutes les lois de protection de l’enfance. Ce documentaire retrace cinq années de revirements et de dénis de la part des autorités françaises ; cinq années d’immenses espoirs et de violentes déceptions pour leurs familles, restées en France, qui se battent pour leur rapatriement.
Au printemps 2023, plus d’une centaine d’enfants français survivent encore dans le dénuement et la violence des camps d’incarcération syriens.
Résumé
Emmenés de force par leurs parents de la France sur les terres de l’État islamique, nés sous les bombes de la coalition à Baghouz ou dans la poussière des camps de réfugiés, 500 enfants français sont les victimes collatérales de la radicalisation.
Malgré la reprise récente des opérations de rapatriement, une centaine d’entre eux sont toujours privés de liberté au nom des crimes commis par leurs parents, sacrifiée par l’État français qui se détourne de leur sort, en violation totale du droit international.
En janvier 2023, après cinq ans d’une indéchiffrable politique de « cas par cas », le Comité contre la torture de l’ONU condamnait la France pour son refus de rapatrier les familles. Un blâme de plus pour le gouvernement dans ce dossier, déjà condamné en 2022 par l’ONU pour la « violation du droit à la vie » des enfants des camps, et par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour l'opacité des réponses apportées par l’État aux familles qui exigent le retour des mineurs.
Ces enfants ont pour seuls alliés leurs proches restés en France. Derrière l’avocate Marie Dosé, devenue le fer de lance du combat du « Collectif des Familles Unies », les familles réclament à corps et à cris leur rapatriement. Le droit s’accorde ici avec l’urgence humanitaire : pour ces mineurs, il n’y a pas d’autre alternative que le retour.
Quel avenir pour ces petits Français, broyés par des conflits d’adultes, à l’heure où autour d’eux Daech semble renaître de ses cendres ?
Note d’intention
En 2019, avec le documentaire Daech : les enfants du soupçon, produit également par Cinétévé, nous tirions le constat d’un malaise politique et administratif autour de la gestion des enfants de djihadistes français, régulièrement qualifiés dans les médias et les discours politiques de « bombes à retardement ». Aujourd’hui, la France est le dernier pays occidental à avoir autant de ressortissants mineurs abandonnés en Syrie. Leur rapatriement massif est un choix politique que notre gouvernement n’a jamais assumé. Faut-il y voir une conséquence du traumatisme causé par les attentats terroristes sur notre sol ? Ce film cherche à comprendre pourquoi la France s’est si longtemps obstinée à laisser la situation des enfants français de djihadistes s’enliser. Il vise aussi à dénoncer, par la voix des familles restées en France, le temps perdu pour ces mineurs, et le risque que cette politique de l’autruche fait courir à la sécurité de notre pays sur le long terme. Enfin, il s’agit d’éclairer ces questions depuis le nord-est de la Syrie, triste théâtre de ce drame, où les choix européens s’entrechoquent avec des enjeux locaux complexes. Le retour en force de l’idéologie djihadiste complique encore la situation explosive des camps où sont détenus ces enfants.
Ce nouveau documentaire donne la parole à des intervenants qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas s’exprimer lors du précédent tournage. Ils ont désormais le recul pour étayer leurs inquiétudes, leur indignation et, souvent, leur colère. Notre film s’inscrit dans cette même démarche : dénoncer le temps perdu, les arrangements avec les droits de l’Enfant, et le manque de vision à long terme.
Le récit des années perdues
Après cinq années, le défi déjà complexe que représentaient ces mineurs pour la France est devenu considérablement plus lourd. Depuis le tournage des Enfants du soupçon, je suis restée en contact avec de nombreuses familles et j’ai continué à suivre leur combat : grands-parents, tantes, oncles, cousins...
Accompagnés par la volonté sans faille de Marie Dosé, avocate de nombreux membres du « Collectif des Familles Unies », soutenus par nombre de personnalités intellectuelles et politiques, ainsi que par les organisations de défense des droits humains (comme par exemple Amnesty International, Human Rights Watch, et nombre d’associations de victimes des attentats terroristes comme 13onze15, Life for Paris, FENVAC...), ils n’ont cessé de remuer ciel et terre pour faire rentrer leurs petits-enfants, neveux ou nièces. Malgré la distance qui les sépare, ils sont aux premières loges de leur drame et ne savent plus à quel saint se vouer.
Le film met la problématique des enfants de djihadistes en perspective en réunissant les informations connues à ce jour, en documentant les déclarations, les annonces, les contradictions. Et en croisant les points de vue de tous les protagonistes impliqués, y compris à l’international.
Chaque étape du récit s’entremêle avec les archives personnelles que les familles ont accepté de partager avec nous. Cette matière inédite, riche et diversifiée (messages vocaux, messages écrits, photos…) documente de manière intime cinq années poignantes de misère pour les enfants et d’impuissance pour leurs familles qui vivent en France.
Une mise en perspective depuis la Syrie
Lors du tournage de ce film, j’ai pu me rendre en Syrie, ce qui n’avait pas été possible en 2019. Il était important pour moi de replacer le drame des enfants de djihadistes français dans leur contexte syrien. Car, là-bas aussi, les enfants de djihadistes syriens et étrangers font peur, et représentent un problème à régler de toute urgence.
Nous avons ainsi pu nous rendre dans deux lieux où sont actuellement détenus des enfants français. D’abord le camp de Roj, où nous avons filmé des enfants parfaitement francophones, impatients de rentrer dans leur pays d’origine. Nous avons pu suivre une dizaine de petits Français qui tournent, littéralement, en rond dans leur prison à ciel ouvert. Nous avons également filmé deux orphelins abandonnés par la France en Syrie : une adolescente de 14 ans, et un petit garçon de 8 ans, tous deux « adoptés » par des femmes étrangères (dont une très radicalisée), contre le gré de leurs familles en France.
Nous nous sommes ensuite rendus dans le centre pour enfants étrangers situés dans l’enceinte d’une annexe de la prison d’Hassaké, attaquée par Daech en février dernier. Des dizaines d’enfants étrangers de toutes nationalités, y compris des petits Français, y sont pris en charge par l’administration kurde quelques heures par jour, avant de rejoindre leurs mères très radicalisées dans des cellules insalubres, que nous n’avons malheureusement pas pu visiter.
Qu’ils soient militaires ou civils, les responsables de l’Administration autonome du Nord-Est syrien que nous avons interviewés appellent de concert au rapatriement des enfants et des femmes, qui relève tant de l’urgence humanitaire que de la sécurité internationale.
C’est aussi le cas des habitants de Raqqa où j’ai pu me rendre avec l’équipe. La ville, capitale du califat de Daech, a été détruite par l’État islamique, au sens propre. En dépit du fait que la ville est encore en ruines et que le traumatisme des exactions de Daech reste vif, les chefs de tribus se mobilisent pour réintégrer les femmes et les enfants de djihadistes. Devant notre caméra, ils s’interrogent : pourquoi la France ne fait-elle pas cet effort ? Le nord-est de la Syrie est encore ravagé par la guerre et ce tournage à l’été 2022 a eu le mérite de nous faire prendre conscience de l’absurdité du sort des enfants de djihadistes étrangers, particulièrement français : on a délégué leur gestion à un groupe armé, non reconnu par la communauté internationale, fragile, et attaqué de toutes parts.
En mars 2023, une centaine d’enfants français sont encore prisonniers dans l’enfer des camps.