Publié par CEMO Centre - Paris
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Quand la France ne brille plus au Burkina Faso ni auprès de sa diaspora

dimanche 12/mars/2023 - 06:00
La Reference
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Le président français Emmanuel Macron prône un partenariat renouvelé avec le continent africain, mais est-il trop tard? Des membres de la diaspora burkinabée au Canada souhaitent la fin de la crise sécuritaire dans leur pays d'origine, avec ou sans la France.
Qu'ils vivent au Canada depuis 20 ans ou qu'ils soient arrivés l'an dernier, les membres de la diaspora burkinabée observent avec intérêt et inquiétude ce qui se passe dans leur pays d'origine, touché depuis 2015 par les violences djihadistes qui ont fait plus de 10 000 morts et 2 millions de déplacés.
Les militaires qui ont pris le pouvoir par un coup d’État en septembre dernier, le deuxième en huit mois au Burkina Faso, ont demandé aux 400 militaires français impliqués dans la lutte anti-djihadiste, la force Sabre, de quitter le pays.
Un départ accueilli avec indifférence par des membres de la diaspora burkinabée au Canada, comme Cheick Oumar Koné, étudiant au doctorat à l'Université Laval en cinéma depuis l'an dernier.
Si les autorités estiment que le départ de la France peut résoudre quelque chose dans cette crise sécuritaire, c'est bienvenu pour moi. Ce qui m'inquiète, c'est beaucoup plus la situation sécuritaire. La méthode, bon, ça m'importe peu, dit-il.

Cette décision des autorités ne fait pas non plus sourciller Adama Dao, au Canada depuis 10 ans et citoyen canadien. Ça me fait rigoler, moi, lorsqu'on lie le départ de la France à l'insécurité. La crise est allée crescendo, même si la France était là, déplore-t-il.
« Moi, je suis un peu indifférent par rapport à la France, qu'elle parte ou qu'elle ne parte pas, la situation s'est aggravée en sa présence!  »
Il reproche, entre autres, à la France de ne pas avoir empêché la montée des djihadistes liés à Al-Qaïda et au groupe État islamique, qui contrôlent aujourd'hui 40 % du pays.
La séduction russe
Même si le président français Emmanuel Macron appelle à bâtir une nouvelle relation, équilibrée, réciproque et responsable avec l'Afrique, des pays comme le Burkina Faso, et le Mali avant lui, lui tournent le dos et recherchent d'autres partenaires. Entre en jeu ici la Russie.
Dans les rues de la capitale Ouagadougou, depuis plusieurs mois, des drapeaux et des discours prorusses se sont ajoutés aux slogans en faveur du départ de la France. Le régime burkinabé, quant à lui, ne cache pas son désir de se rapprocher de Moscou. Le premier ministre burkinabé, Apollinaire Kyélem de Tambèla, a d'ailleurs visité le pays de Vladimir Poutine en décembre dernier.
« Nous aimerions que la Russie prenne la place qui lui revient, en tant que grande nation, dans mon pays, parce qu'il y a une histoire et une expérience de la Russie et nous aimerions qu'elle partage cela avec nous.  »
— Une citation de  Le premier ministre Apollinaire Kyélem de Tambèla en entrevue à Russia Today, chaîne de télévision proche du Kremlin
Pour les Burkinabés vivant au Canada, le rapprochement avec la Russie reçoit un accueil mitigé. Cheick Oumar Kone, lui, appelle à la prudence : Chaque fois que les Français ont failli, les Russes tentent d'utiliser cette arme-là contre eux. Est-ce que c'est inquiétant? Oui [...] C'est une question de souveraineté. Il ne faudrait pas changer Pierre pour Paul. Il faut vraiment rester vigilant!
Même son de cloche d’Adama Dao, qui défend tout de même le choix des autorités. Quand quelqu'un est dans une position où il cherche vraiment à défendre son territoire et il cherche à rassurer sa population, eh bien, il prendra tout ce qui lui vient sous la main! Je crois que c’est la France qui a jeté le Burkina dans les bras de la Russie aujourd'hui!
L'étudiant au baccalauréat en administration et président de l’Association des Burkinabés vivant au Québec, Kienou Pahassi Silvère, dit être conscient que la présence russe fait réagir davantage en raison de la guerre en Ukraine, mais il n'y est pas défavorable. Il y a des liens depuis très longtemps entre plusieurs pays africains et la Russie. Pour moi, si les autorités estiment que c'est la meilleure décision à prendre, on ne peut que les suivre, dit-il.
La Russie se présente comme une puissance non impérialiste pour aider les États du Sahel à combattre la menace djihadiste sans avoir la volonté de s'implanter, mais ça reste de la rhétorique, prévient le directeur de l'Observatoire de l'Eurasie, Jean Lévesque.
Il ajoute que c'est le groupe Wagner qui obtient les contrats de sécurité, cette société privée russe qui utilise des mercenaires pour combattre dans des pays en crise.
La Russie et le Burkina Faso réfutent toute présence de Wagner dans le pays. La présence de ces mercenaires n’a pas clairement été documentée dans le pays, mais elle l’a été au Mali, pays voisin.
Mais encore là, précise l’historien Jean Lévesque, il ne faut pas penser qu’on assiste à une russification de l’Afrique, car la Chine et d'autres pays sont déjà bien présents sur le continent africain.
« De façon réaliste, les Chinois ont 10-15 ans d'avance sur la Russie en termes d'implantation économique. On parle d'environ 5 milliards d'échanges comparés à 120 pour la Chine. Elle arrive tard et il y a une grosse compétition en Afrique, les Turques sont là et les Indiens aussi. »
La révolte de la jeunesse
La doctorante en communication à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), d'origine ivoirienne, Denise Kako, juge inappropriée l'utilisation du terme anti-Français ou rejet de la France pour parler de la situation qui se déroule en Afrique de l'Ouest. Selon elle, au Mali et au Burkina Faso, on assiste plutôt à une résistance. La jeunesse africaine mène une lutte de libération contre le néocolonialisme en général, dit-elle.
« Il y a une révolte dont la jeune génération aujourd'hui s'est accaparée. Une révolte contre des pratiques et un système qui a asservi trop longtemps l'Afrique et les Africains. »
Elle critique ce qu'on appelle l'aide à l'Afrique, trop souvent utilisée, selon elle, par les Occidentaux. L'aide humanitaire, l'aide au développement, l'aide, l'aide, l'aide! On a tellement entendu ça. Quels sont ces pays-là qu'on aide vraiment? On les incite surtout à rentrer dans ce qu'on appelle les PPTE, petits pays très endettés!
Cette révolte des jeunes, Kienou Pahassi Silvère la constate aussi et, selon lui, le capitaine Ibrahim Traoré, qui dirige le pays depuis le coup d'État et âgé d’à peine 35 ans, en est l'un des meilleurs porte-parole.
C'est une jeunesse qui se réveille, qui prend les choses en main et en ce qui concerne les dirigeants, il y a un engouement, un dévouement et je crois que si ça continue comme ça, on aura de meilleurs résultats.
Massacres et droits de la personne
Depuis le début de l'année, le pays connaît une intensification de violences djihadistes. Le 26 février, une soixantaine de personnes ont été tuées lors d'une attaque djihadiste présumée à Partiaga, dans l'est du Burkina Faso, et ce n'est qu'un exemple parmi bien d'autres massacres.
La situation des droits de la personne au Burkina Faso inquiète d'ailleurs l'ONG Human Rights Watch.
Dans son dernier rapport, l’organisation dénonce avant tout les attaques des groupes armés islamistes à l’encontre de civils qui se sont intensifiées, mais aussi celles commises par les forces militaires et leurs milices lors d’opérations de lutte contre le terrorisme.
« C'est une situation très complexe où les forces militaires combattent ce qu'elles appellent un ennemi qui n'a pas de visage, mais il y a une tendance à cibler certaines communautés, notamment les Peuls, qui sont perçus comme des suspects, alors que ce sont des civils innocents. »
Le danger, c'est que les groupes djihadistes se servent des exactions des forces de l'ordre pour recruter, affirme la directrice adjointe à la division Afrique pour Human Rights Watch, Carine Kaneza Nantulya.
Par ailleurs, l'organisme a aussi des inquiétudes au niveau du rétrécissement de l'espace civique et du droit à l'information. La rhétorique gouvernementale s'est durcie et des membres de la société civile et des journalistes se retrouvent harcelés, pointés du doigt par le gouvernement, dit-elle.
Le sujet des droits de la personne fait vivement réagir un autre membre de la diaspora burkinabée interviewé, Kariyon Somé, au Canada depuis 20 ans. Comment pouvons-nous parler de droits de l'homme, alors que le pays est aux mains des djihadistes? s'étonne-t-il.
Les droits de l'homme, les gens en parlent parce qu'ils sont loin! Est-ce que les approches de l'État islamique, ce sont des approches où l'on peut arrêter quelqu'un? Peut-on vraiment les arrêter et les juger? J'ai l'impression que c'est deux poids, deux mesures. Mon frère est dans l’armée, est-ce qu’on parle de droits humains quand il se fait attaquer? Quand les soldats se font, eux aussi, attaquer? Ce sont aussi des humains! conclut-il.

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