La darija, le dialecte déterminant du mouvement contestataire en Algérie
Quand Mélissa, 22 ans, évoque le Hirak, il y a toujours ce sourire qui habille son visage: «Encore aujourd'hui, trois ans après le début, je n'arrive pas à croire que le peuple algérien ait eu le courage de sortir dans la rue. C'était inouï comme moment, historique!», s'exclame l'étudiante en sciences politiques.
Comme beaucoup de Franco-Algériens, elle passait ses dimanches après-midi place de la République à Paris, «un drapeau sur les épaules, et de larges pancartes entre les mains». Sur son téléphone, elle ne peut s'empêcher de regarder en boucle les vidéos et photos des manifestations. «Les slogans étaient si pertinents, drôles et piquants. À l'image des Algériens, lance-t-elle. Le monde a découvert l'humour de notre darija », selon Slate.
La darija, qui veut dire «dialecte» en arabe, est la langue la plus parlée en Algérie. Elle s'est construire au fil des siècles et de ses rencontres avec d'autres langues comme le français, l'espagnol, le turc ou l'arabe standard.
C'est bien l'un des traits marquants du Hirak, ce mouvement contestataire pacifiste qui, en 2019, se constitue en réaction à la candidature du président Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat, lui qui était au pouvoir depuis 1999. Que ce soit à Alger, Oran, Constantine, Paris, Montréal ou Londres, les slogans en darija, cinglants et empreints d'humour, ont animé les marches et les rassemblements. Du mythique «yetnahaw ga3» («qu'ils partent tous») aux chants de stade, comme le célèbre «La Casa del Mouradia», la langue algérienne a empli les rues.
Cela n'a rien de surprenant. L'algérien est, historiquement, la langue de la contestation. «Dans n'importe quel événement grandiose où le peuple a eu besoin de s'exprimer, c'est la darija qui a été le véhicule des protestations», raconte Mahdi Berrached, journaliste, chercheur et auteur du Dictionnaire du dialecte algérois. Que ce soit lors des manifestations d'octobre 1988 contre le parti unique ou lors de la guerre d'indépendance (1954-1962), c'est la langue algérienne qui s'est faite le véhicule des revendications dans les rues.
Toutefois, le rayonnement que le Hirak a offert au dialecte algérien est sans précédent. «Les moyens de communication ont énormément évolué au fil des années et ont permis de rendre plus visible la darija», poursuit Berrached.
La désignation de la darija algérienne comme «langue officielle du Hirak» tient à plusieurs raisons. «C'est la langue tah l-chaab», souligne le chercheur, c'est-à-dire que c'est la langue du peuple, dans laquelle les Algériens, en très grande majorité, s'expriment, bien qu'elle ne soit pas considérée comme langue officielle du pays. «On parle de plus de 85% de la population», avance le linguiste.