Au Mali, la laïcité en voie d’extinction ?
mercredi 15/février/2023 - 09:37
Alors que les Maliens pourraient bientôt être amenés à se prononcer sur la future Constitution, nombre de dignitaires religieux réclament haut et fort l’adoption d’un régime islamique et la fin de la laïcité. Mais que représente concrètement cette notion dans ce pays ?
Mi-novembre 2022, circulait sur les réseaux sociaux un cliché qui a autant alerté qu’interrogé par son message. Il montre des imams alignés brandissant tous une pancarte sur laquelle on peut lire : « Non à la laïcité ». Il aurait été pris à Ségou, lors d’une conférence de presse de la Confédération des associations islamiques du Mali au cours de laquelle ses membres auraient réclamé « la démission du chef de la transition », Assimi Goïta, et « prôné la naissance d’un État islamique » et « l’instauration de la charia conformément au Coran ». La sortie de ces imams interroge sur la portée réelle de cette dynamique explicitement « anti-laïcité », ainsi que sur son ancrage au sein de la communauté musulmane, alors que les musulmans du Mali sont loin de former un ensemble (social ou religieux) homogène, et que leurs orientations vont de la laïcité au fondamentalisme religieux.
Toujours est-il que cette déclaration est intervenue quelques jours après la remise de l’avant-projet de la nouvelle Constitution au colonel-président Assimi Goïta – avant-projet accompagné de rumeurs sur une « laïcité anti-islam » qui y serait inscrite –, mais aussi après une polémique qui a fait beaucoup de bruit au Mali : l’affaire dite du « blasphème contre l’islam, le Coran et les musulmans », qui a donné lieu à une manifestation sur le boulevard de l’Indépendance, en plein cœur de la capitale malienne, le 4 novembre 2022, à l’appel du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), dirigé par le prêcheur Chérif Ousmane Madani Haïdara.
Tout est parti d’une vidéo dans laquelle un individu tient, selon le communiqué du procureur du parquet de la commune IV du district de Bamako, « des propos désobligeants à l’égard de la communauté des fidèles musulmans et se [livre] à des agissements injurieux contre le Coran, le prophète Muhammad et l’islam ». Dans la vidéo d’environ trois minutes, Mohamad Dembele, comme il décline lui-même son identité tout en se réclamant du kémitisme, dit vouloir démontrer que le « Coran n’est pas la parole de Dieu, mais le fruit du banditisme des Arabes ». Il va jusqu’à traiter les musulmans d’être les esclaves des Arabes, avant de piétiner le Coran. Des propos et des actes qui ont suscité une vague d’indignation donnant lieu à des prises de parole ciblant même d’autres confessions.
Dans une sortie devenue virale, un imam, Mahi Ouattara, dont les sermons sont très partagés sur les réseaux sociaux, s’en est pris violemment à la communauté chrétienne, qualifiant le christianisme de « religion imposée par les Blancs ». Outre qu’il incarne la tendance anti-laïcité et non tolérante de la cohabitation entre les religions, cet imam a surtout surfé sur cette mobilisation dans une perspective opportuniste.