Afghanistan: Radio Begum, îlot de liberté pour les femmes sous la menace constante des talibans
lundi 23/janvier/2023 - 07:18
La radio, créée avant la prise de pouvoir des talibans, propose six heures de cours quotidiennes et un espace d'expression à destination des Afghanes privées d'école et d'université.
Pour Sofia, le rituel est le même chaque jour, et ce depuis presque cinq mois. Cette jeune Afghane de 15 ans branche quotidiennement son téléphone sur Radio Begum, «la radio des reines» en persan, pour prendre note des cours d'histoire-géographie, d'anglais ou de théologie qui lui sont dispensés en dari et en pachtou. En tout, ce sont une vingtaine d'animatrices qui se relaient au micro.
Un véritable refuge qui vient rompre le silence radio imposé par les talibans aux Afghanes depuis leur prise de pouvoir en août 2021. Ceux-ci ont peu à peu rendu impossible l'accès à l'Éducation pour les femmes. Cependant, ces six heures d'antenne consacrées quotidiennement à l'éducation des jeunes femmes peuvent à tout moment être réduites, voire supprimées par l'arbitraire des islamistes.
Radio 100% éducative
Hamida Aman, sa fondatrice, a lancé ce média au printemps 2021. «À cette époque, les talibans n'étaient pas encore arrivés au pouvoir, mais les pourparlers mentionnaient tout sauf le droit des femmes », témoigne cette énergique suisso-afghane jointe par téléphone. «Même si nous n'imaginions pas un évènement aussi radical que la prise de Kaboul, mes consœurs et moi étions très inquiètes». En réponse à cet avenir incertain, Hamida crée alors radio Begum, «un espace conçu pour maintenir une voix féminine dans un pays dirigé par et pour les hommes». À ses origines, Radio Begum vibre de musique, de talk-shows et met en avant des activistes et entrepreneuses afghanes... Jusqu'à la prise de pouvoir des talibans.
Les directives talibanes interdisent la musique et les oppositions politiques. Qu'à cela ne tienne : «les talibans ont fermé les écoles, mais n'ont pas interdit l'éducation», rappelle Hamida Haman. Radio Begum sera donc une radio «100% éducative et informative, d'intérêt public pour les femmes», et évitera toute question politique, condition sine qua non pour pouvoir continuer légalement de diffuser sur les ondes
La radio des reines, qui émet depuis Kaboul, touche un bassin de population de six à huit millions d'habitants. Elle se fonde sur trois volets : le premier, éducatif, est «la colonne vertébrale de l'émission». Il balaye les programmes du collège à la terminale : histoire, anglais, géographie et littérature défilent sur les ondes, en dari comme en pachtou. Les programmes se fondent sur ceux de la république islamique d'Afghanistan («le dernier gouvernement légitime», rappelle Hamida), pour que les élèves puissent s'appuyer sur les livres de cours. Celles-ci peuvent poser des questions via une ligne téléphonique gratuite. Les animatrices y ont également inséré une dimension ludique, avec «Listen and Say», module de questions-réponses sur les cours. «J'aime beaucoup Listen and Say», sourit Mahboba, étudiante originaire de Kaboul, également jointe par téléphone. «On récite des poèmes, on répond à des questions... J'ai presque l'impression de retourner à l'école».
Cette ambiance chaleureuse, Hamida veut la maintenir à tout prix. «Il faut encourager ces filles», souffle-t-elle. «Ce programme n'a pas vocation à remplacer l'école, mais il permet de ne pas perdre le fil». À ce titre, les animatrices qui enregistrent les cours sont elles-mêmes d'anciennes écolières et étudiantes. Certaines partaient en reportage encore récemment. Une pratique désormais suspendue : «on préfère faire profil bas», justifie Hamida. «On risque beaucoup, ici». Et ce d'autant plus que les portes des universités sont également fermées aux Afghanes depuis un mois. Une privation supplémentaire qui vient encore aggraver la situation des femmes dans le pays. Interdiction de voyager seule sans un «moharam» - un parent masculin - bannissement des femmes des salles de sport, des parcs et des bains publics... La charia fait office de code de vie en Afghanistan, et les femmes sont les grandes perdantes.
Pour les aider, Hamida leur offre une formation spirituelle. «On arme les auditrices en leur enseignant les écrits sacrés pour qu'elles puissent se défendre», explique-t-elle. Et de marteler : «Citer le Coran, c'est une voie essentielle pour se défendre conte un mari ou une belle famille abusifs». Une maîtrise du livre sacré que revendique également Shabana, étudiante afghane en médecine de 27 ans. «Il est obligatoire dans l'islam d'enseigner la science aux musulmans et aux musulmanes», rappelle-t-elle au téléphone, des sanglots dans la voix. «Le premier verset de la sourate Al-'Alaq, c'est justement “Lis au nom de ton Seigneur !” - il faut nous laisser lire !»