Emmanuel Macron temporise sur le dossier des restitutions d'œuvres d'art à l'Afrique
Le président a reçu le rapport préconisant un retour définitif
d'objets entrés dans les collections françaises pendant la période coloniale.
S'il a décidé d'ores et déjà de restituer 26 pièces au Bénin, il entend
construire «une politique d'échanges» en 2019. Partenaires africains et
européens sont attendus à Paris au premier semestre.
L'entretien entre Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, deux
universitaires chargés d'un rapport sur
les restitutions d'œuvres africaines, et le président de la République
aura duré une heure et demie, vendredi soir. Avec le ministre de la Culture,
Franck Riester, Emmanuel Macron a «longuement écouté» les deux auteurs, pour ce
que l'Élysée annonçait être une simple «réunion de travail». Pas question de
décider d'une politique générale de restitution des œuvres aux pays
sud-sahariens.
Afin de montrer sa bonne volonté, Emmanuel Macron a toutefois
décidé que 26 régalias
réclamées par les autorités du Bénin, prises de guerre du général Dodds dans le
palais de Béhanzin en 1892, seront rendues. Pour la suite, le
président veut prendre son temps sur ce dossier qui a déjà suscité la
polémique. Les ministres de la Culture et des Affaires étrangères auront «la
responsabilité» des échanges, avec l'accord des musées. Quant aux pays
africains, ils seront réunis à Paris, au premier semestre 2019, pour construire
cette «politique d'échanges». Le tout en concertation avec les partenaires
européens.
Franck Riester a aussitôt salué «une nouvelle relation d'échange
avec l'Afrique». «La politique des musées doit utiliser tous les leviers
possibles: restitutions, mais aussi expositions, échanges, prêts, dépôts et
coopérations», a précisé le ministre de la Culture.
La question des restitutions, lancée depuis Ouagadougou en
novembre 2017 par Emmanuel Macron lui-même, est complexe. Que faut-il rendre à
l'Afrique? Et au nom de quel principe? Alors que le président cherche à
resserrer les liens avec les pays africains, musées et experts français ont été
pris d'un vent de panique à l'idée de voir leurs collections d'art premier
fondre comme neige au soleil, au profit de musées africains.
La mise en œuvre des préconisations du rapport «aurait pour
effet de vider les collections africaines des musées français et, en tout
premier lieu, celles du musée du Quai Branly-Jacques Chirac où elles seraient
remplacées par des copies ou des évocations virtuelles», s'inquiète
Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture, dans une tribune publiée
par Le Figaro dans son édition de samedi.
Depuis trois jours, le rapport Sarr-Savoy, dont une version a
fuité avant même sa remise officielle, créée un débat nourri - surtout en
France. Les deux universitaires sont assaillis de demandes d'interviews, en
Europe, en Afrique, mais aussi aux États-Unis. Preuve que la question est
«brûlante», signalent-ils. Preuve également que le document, nommé «Restituer
le patrimoine africain» - sans même l'ajout d'un point d'interrogation -
peut être lu comme univoque. «Nous n'avons jamais pensé qu'il serait appliqué à
la lettre, expliquent aujourd'hui les auteurs. Nous voulions montrer que si on
veut le faire, on peut le faire.»
Entre 85 à 90% du patrimoine africain serait hors du continent,
principalement dans les musées européens. Il y a environ 90.000 objets
africains dans les musées français, dont 70.000 au seul Quai Branly, et des
milliers au musée de l'Armée. Environ 46.000 sont entrés entre 1885 et 1960,
temps des colonies françaises, mais aussi des grandes expéditions scientifiques
et de l'émergence d'un marché.
Les deux universitaires jurent que leur intention n'est pas de
«créer un vase communiquant» entre les musées français et africains. Mais ils
préconisent un changement du code du patrimoine pour permettre des
restitutions, quand des États africains sont demandeurs. Pour l'instant, les
collections publiques, quelles qu'elles soient, sont inaliénables.
Outre le Bénin, qui a déposé une demande officielle en 2016, le
Cameroun, le Nigeria, le Sénégal, l'Éthiopie ou le Mali seraient prêts à
accueillir le retour de leur patrimoine.
«Nous ne sommes pas en guerre avec les musées français, explique
la directrice du musée des civilisations de Côte d'Ivoire, à Abidjan, Sylvie
Memel Kassi. L'essentiel est de travailler ensemble.»
L'inauguration du musée des Civilisations noires de Dakar, au
Sénégal, le 6 décembre, va être l'occasion de montrer ce que «travailler
ensemble» veut dire. À cette occasion, le gouvernement va à prêter un objet
prestigieux, actuellement au Musée de l'Armée. Attribué à El Hadj Omar
(1797-1864), un chef religieux et militaire, ce sabre a déjà été confié à deux
reprises au Sénégal, en 1998 et en 2008. Les militaires comptent bien l'exposer
à son retour dans les nouvelles salles du musée consacrées aux colonies.