L'équilibre de la cyber-terreur
L'institut Montaigne publie un
rapport sur le "cyber ouragan" qui nous menace. Et si les forces en
présence se neutralisaient?
Les Japonais, les Californiens
vivent dans cette incertitude-là : qu'un jour la terre s'entrouvre, que la mer
pique une colère cataclysmique, que la catastrophe les raye de la carte du
monde, eux et leur pays. Depuis qu'il est devenu un média de masse,
omniprésent, internet s'inquiète de même de sa propre disparition, craint le Big
One, le bug systémique ou la cyber-attaque qui mettra ses serveurs ou ses
hubs en rideau.
Dire qu'il s'amuse à se faire peur
serait très exagéré : la perspective d'une panne globale, majeure, accidentelle
ou provoquée, est terrifiante. Ce serait un désastre économique, sanitaire,
militaire, technologique et écologique tel qu'il ferait passer la crise de 1929
et ses conséquences pour une aimable blague de traders. La
généralisation des objets connectés, la montée en puissance de l'intelligence
artificielle, dans tous les secteurs d'activité, de la grosse industrie au
quotidien le plus trivial, rend la menace plus effrayante encore.
Qui dit menace, dit rapports, et
sur le sujet, ils sont légion. Signé par l'institut Montaigne, le dernier en
date est particulièrement alarmiste. Après s'être remémorés quelques agressions
d'envergure, en Estonie ou en Ukraine notamment, puis avoir imaginé des
scénarios funestes, ses auteurs proposent treize mesures censées mieux protéger
la France, ses habitants, sa défense, ses entreprises et ses intérêts contre ce
qu'ils appellent le "cyber ouragan" à venir. Honnêtement, à les lire,
on pense surtout à la ligne Maginot.
Les mesures préconisées ne sont pas
toutes des tigres de papier. Certaines sont pleines de bon sens, rappels utiles
à un niveau de protection minimal. Mais nombre d'entre elles relèvent au mieux
de l'incantation, au pire de l'usine à gaz, quand, notamment, les experts
demandent à faire marcher du même pas ou au sein de structures communes tous
les acteurs concernés. Les services de renseignement français, pour ne pas dire
européens, s'en amuseront sûrement.
L'institut Montaigne identifie
quatre types de méchants : les loups solitaires, les groupes militants, la
mafia et surtout les Etats, de loin les plus dangereux. On sait les dégâts
qu'ont déjà provoqués les hackers russes manipulés par Moscou aux Etats-Unis ou
en Grande Bretagne, leurs homologues israéliens en Iran, les Chinois un peu
partout, plus tous ceux, bien plus nombreux, engendrés par les Français,
Américains, Indiens, Nord-Coréens... dont personne n'a intérêt à ce qu'on les
rende publics.
Comme au bon vieux temps de la Guerre
Froide, le secret est une arme, d'autant plus performante que le secret est
associé à une publicité bien maîtrisée. Les principaux protagonistes de ce qui
est, depuis des années déjà, une cyberguerre la manient avec dextérité. Ils
alternent les actions symboliques et les contre-attaques dissuasives, dans le
secret le plus souvent, dans une transparence feinte quand il faut délivrer un
message. Ce message : "Ne m'emmerdez pas, j'ai aussi les moyens de vous
faire très mal". Dans les années 1950, on parlait d'équilibre de la
terreur, le concept n'a pas vieilli, son efficacité non plus.
Et les électrons libres, vous
demandez-vous, idéologues radicalisés, fous furieux ou groupe criminels ?
Contre eux aussi, nous sommes en guerre, une guerre asymétrique, comme celle
que mènent dans la vraie vie les démocraties contre le terrorisme ou la
délinquance organisée. Contre eux aussi, les solutions sont connues :
anticipation, surveillance, renseignement. Contre eux aussi, les mesures de
l'institut Montaigne ont leur limite. Comme l'Etat d'urgence, Vigipirate ou les
vigiles à l'entrée des magasins, elles servent moins à combattre qu'à
rassurer.