Financement de l’EI en Syrie: en plaidant coupable, Lafarge paye 778 millions de dollars
Devant la justice américaine, Lafarge a plaidé coupable et devra payer 778 millions de dollars. Le cimentier était accusé d’atteinte à la sécurité nationale pour avoir financé l’État islamique en Syrie.
Le procureur fédéral de Brooklyn a résumé l'affaire en une phase : « Au milieu de la guerre civile, Lafarge a fait le choix impensable de mettre de l'argent entre les mains de l'EI, l'une des organisations terroristes les plus barbares au monde afin de continuer à vendre du ciment. »
Au cœur du problème : la cimenterie du groupe à Jalabiya, dans le nord de la Syrie, l'une des plus modernes et des plus importantes du Proche-Orient. Elle est entrée en activité en 2010, un an avant le début de la révolution syrienne qui s'est ensuite transformée en guerre civile. Cette zone de la Syrie fait rapidement partie des territoires visés par l'organisation État islamique, selon RFI.
Washington estime donc qu'en finançant le groupe terroriste, Lafarge a porté atteinte à la sécurité nationale des États-Unis. L'entreprise a depuis été avalée par le groupe suisse Holcim, en 2015. C'est donc à ce dernier de porter la responsabilité de certains des anciens dirigeants, notamment devant les autorités américaines. En plaidant coupable, il échappe à un long procès et clôt ainsi le volet américain de l’affaire.
L'ancien PDG de Lafarge, Bruno Lafont a d’ailleurs réagi à la nouvelle ce mercredi. Il accuse notamment Holcim d'avoir mené une enquête « exclusivement à charge contre lui ».
La discorde n'est pas nouvelle. Selon des fuites diffusées dans Le Parisien, l'année dernière déjà devant le juge d'instruction français, le PDG d'Holcim a accusé Bruno Lafont et ses collaborateurs d'avoir caché les activités délictueuses de Lafarge en Syrie au moment de la fusion en 2015. La stratégie d'Holcim est de détacher la responsabilité des personnes de la société qu'elle a rachetée. Mais ce mercredi 19 octobre, l'ancien PDG a réaffirmé qu'il n'avait pas été informé de paiements à des « groupes terroristes en Syrie ».
L'enjeu est de taille pour Bruno Lafont, puisqu'il est lui-même mis en examen pour financement du terrorisme en France.
L’information judiciaire a été ouverte en 2017 après des révélations du journal Le Monde. Aujourd'hui, Bruno Lafont souhaite être réentendu par les juges d'instruction pour « évoquer de nouveaux éléments » et « solliciter la déclassification de certains documents ».
De son côté, l’entreprise Lafarge est mise en examen pour « complicité de crimes contre l'humanité », « financement d’une entreprise terroriste » et mise « en danger de la vie d'autrui ». Ce dernier chef d'inculpation a été réclamé par les anciens salariés syriens constitués parties civiles. Outre les prises d'otages, ils ont dû se débrouiller seuls à la fermeture lors de la prise de la cimenterie par l'EI pour rejoindre la frontière turque. Ce volet-là pourrait créer une jurisprudence pour les groupes français installés à l'étranger qui font travailler leurs salariés locaux dans des conditions précaires ou à risque.
La mise en examen pour « complicité de crimes contre l'humanité » est également rarissime. L’affaire est scrutée par d'autres entreprises françaises qui pourraient être concernées dans d'autres pays. Sur ce chef d'inculpation, Holcim a annoncé avoir engagé un recours contre la confirmation en appel de cette mise en examen.
Des diplomates du Quai d'Orsay ainsi que le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Laurent Fabius, ont déjà été entendus comme témoins. Leur statut pourrait changer s'il était avéré qu'ils avaient connaissance des paiements de Lafarge en Syrie et n'en avaient pas avisé la justice. Contrairement aux États-Unis, l'entreprise ne pourra pas négocier en France une amende conter l'abandon des poursuites pénales. La loi ne le permet pas pour les soupçons de complicité de crime contre l'humanité.