Poutine visé à travers le Nobel de la Paix (même si le comité s’en défend)
vendredi 07/octobre/2022 - 12:55
Les deux ONG et le militant bélarusse récompensés ce vendredi ont tous un lien plus ou moins direct avec la résistance contre le maître du Kremlin.
PRIX NOBEL - Ils s’en défendent, et pourtant… Ce vendredi 7 octobre, les membres du Comité du prix Nobel ont choisi de récompenser un trio : le militant bélarusse des droits humains Ales Bialiatski, et les ONG Memorial et Center for Civil liberties, respectivement russe et ukrainienne. Des représentants de la société civile qui tous, à leur manière, s’opposent à la vision du monde de Vladimir Poutine, même si le Comité a assuré ne pas viser le président russe avec son choix de lauréat.
Au moment de l’annonce faite par la présidente du Comité norvégien Berit Reiss-Andersen, celle-ci s’est bien gardée de mentionner directement le maître du Kremlin. Et quand elle a été interrogée sur le fait qu’il puisse s’agir d’un cadeau empoisonné à l’occasion du 70e anniversaire du chef de l’État russe ce vendredi, elle a répondu que ce prix n’était pas dirigé contre Vladimir Poutine. Tout juste s’est-elle contentée de dire que le régime « autoritaire » russe, tout comme celui du Bélarus, devait cesser de réprimer les militants des droits humains.
« Ce prix ne s’adresse pas à Vladimir Poutine ni pour son anniversaire ni dans un autre sens, sauf que son gouvernement, comme le gouvernement bélarusse, constitue un gouvernement autoritaire qui réprime les militants des droits humains », a-t-elle détaillé.
Les premiers « opposants au régime russe »
Pourtant, en creux, force est de constater que l’ombre d’un geste de défi en direction de Moscou plane sur la décision du Comité norvégien.
Il faut ainsi rappeler que le Centre pour les Libertés civiles en Ukraine est l’une des organisations les plus en pointe dans la traque des crimes de guerre commis depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes. Depuis des mois et comme l’a encore rappelé Berit Reiss-Andersen ce vendredi, les membres de l’ONG recensent sur le terrain et auprès de la population les preuves d’exactions commises dans le cadre de la guerre.
Même chose au travers de la récompense attribuée à l’ONG Memorial, qui, en plus de lutter pour faire vivre la mémoire des victimes de l’époque soviétique, a notamment alerté sur les violations des droits humains en Tchétchénie sous la présidence de Vladimir Poutine. Ainsi, l’organisation est frappée par un ordre de dissolution des autorités russes qui ne laisse guère de doute quant à la position du Kremlin par rapport à cette ONG.
À l’occasion de l’attribution du prix, nombreux sont ceux qui ont d’ailleurs salué la mémoire de Natalia Estemirova, directrice de la branche tchétchène de Memorial assassinée en 2009 pour avoir dénoncé les agissements du régime russe et de ses alliés, parmi lesquels le très autoritaire Ramzan Kadyrov. « Memorial, c’est la mise en lumière des crimes du passé et du présent, c’est la défense des victimes tchétchènes, syriennes, ukrainiennes, russes du poutinisme, c’est le courage incroyable de porter plainte en Russie contre Wagner », a par exemple applaudi l’eurodéputé Raphaël Glucksmann. « Memorial, ce sont les premiers des résistants au régime russe. »
Une critique aussi par ricochet
Enfin, en choisissant Ales Bialiatski, le Comité Nobel a encore par ricochet atteint Vladimir Poutine. L’homme, fervent défenseur des droits de l’Homme en Biélorussie depuis les années 1980, est effectivement un opposant majeur au régime du « dernier dictateur d’Europe », Alexandre Loukachenko.
Un dirigeant autoritaire qui est aujourd’hui, à l’heure de la guerre en Ukraine, l’un des derniers partenaires de Vladimir Poutine, avec qui il partage une vision de l’exercice du pouvoir et de la répression des oppositions. Ainsi, en exhortant Minsk à libérer Ales Bialiatski, emprisonné sans procès et de manière arbitraire en 2020, le Comité s’attaque-t-il aux pratiques du régime biélorusse.
En effet, alors qu’il est vivement contesté dans son pays depuis le milieu des années 1990, Alexandre Loukachenko est ardemment défendu par la Russie de Vladimir Poutine. Et en mettant en lumière les emprisonnements de militants pro-démocratie et l’absence de justice libre dans le pays, ce prix Nobel de la Paix devrait venir écorner encore un peu plus le pouvoir en place. Et par extension ceux qui le protègent.