Publié par CEMO Centre - Paris
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Hamas-Syrie : la normalisation après une décennie de rupture

vendredi 16/septembre/2022 - 11:15
La Reference
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Le mouvement islamiste au pouvoir dans la bande de Gaza a officiellement annoncé hier la reprise des relations avec le régime de Bachar el-Assad, après leur interruption à la suite du soulèvement populaire syrien de 2011. 
C’est une annonce qui fait le bonheur des autorités syriennes et crée un tollé auprès des opposants au pouvoir à Damas. Le Hamas, mouvement islamiste qui dirige la bande de Gaza, a annoncé hier le rétablissement de ses relations diplomatiques avec le régime de Bachar el-Assad. « Le Hamas confirme qu’il va de l’avant avec sa décision de rétablir les liens avec la République arabe syrienne pour servir les intérêts de la oumma (nation) arabe et islamique, et surtout la cause palestinienne, en particulier à la lumière de l’escalade des développements régionaux et internationaux concernant cette cause », indique le mouvement dans un communiqué qui s’est d’abord attardé sur la condamnation des récentes attaques aériennes attribuées à Israël en Syrie.
Le fait que le Hamas ait assorti son annonce de normalisation à une déclaration condamnant les attaques imputées à l’État hébreu en Syrie – qui datent pourtant de plusieurs années – ne semble pas anodin. « Ce faisant, le Hamas souligne qu’il partage un ennemi commun avec la Syrie, observe Aron Lund, chercheur sur le Moyen-Orient associé à l’Agence suédoise de recherche sur la défense (FOI). C’est probablement une bonne façon d’adoucir ce qui doit être une pilule très amère à avaler pour de nombreux sympathisants du mouvement palestinien. »
Indignation
Il y a plus de dix ans, début 2012, les bureaux du Hamas situés à Damas depuis la fin des années 1990 fermaient après que les dirigeants du groupe avaient condamné la répression par le régime Assad du soulèvement populaire ayant éclaté un an plus tôt. Le groupe s’était notamment indigné du siège de deux ans imposé dès l’été 2013 par les forces loyalistes aux Palestiniens du camp de réfugiés de Yarmouk (au sud de Damas), contrôlé par les forces d’opposition. Privés de nourriture et de tous les biens de première nécessité, 200 d’entre eux étaient notamment morts de faim, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.
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Le départ des dirigeants palestiniens de la capitale syrienne – qui avait ouvert la voie à l’établissement par le mouvement de bases au Qatar, en Égypte et dans la bande de Gaza – actait ainsi la rupture des relations entre les deux parties. Dix ans plus tard, l’annonce du Hamas a suscité l’indignation chez une grande partie des Syriens. « Aucune surprise. Ce n’est pas la première fois qu’une organisation palestinienne prend le parti d’un dictateur ou d’un criminel de guerre, dénonce un internaute sur Twitter. Ils ne se soucient même pas du bien-être des Palestiniens, ils veulent juste une crise sans fin pour justifier leur existence et alimenter la cause palestinienne, et Assad aidera à nourrir cela. »
Hezbollah et Iran
Si des inconnues existent toujours sur les raisons de ce revirement sur le dossier, des signes avaient été annoncés en juin dernier. « Les contacts avec la Syrie sont en train de s’améliorer pour revenir entièrement à ce qu’ils étaient, du fait de nombreuses visites de dirigeants du Hamas en Syrie », avait alors indiqué à l’AFP un haut responsable du mouvement palestinien, sous couvert d’anonymat. Dès le début de la révolution, des divergences au sein même du Hamas avaient émergé. Contrairement à la branche politique du mouvement palestinien, qui avait explicitement exprimé par le passé son soutien en faveur de la rébellion à Assad, la branche militaire du groupe est restée proche de Téhéran, son principal soutien militaire et parrain de Damas. Depuis hier, plusieurs observateurs ont suggéré que la normalisation annoncée émanait d’une pression du Hezbollah et de l’Iran, qui espéreraient ainsi reconstruire une nouvelle version de l’axe de la résistance avec Téhéran et Damas « comme principaux acteurs étatiques aux côtés de groupes armés comme le Hezbollah, le Hamas, le Jihad islamique palestinien et les houthis (rebelles soutenus par l’Iran au Yémen, NDLR) », estime Aron Lund.
 « La Syrie et le Liban sont les derniers États arabes de la ligne de front qui sont ouvertement en guerre avec Israël, et pour le Hamas, il s’agit donc d’une relation d’importance stratégique », poursuit le chercheur. Pour le mouvement palestinien, l’ouverture vers le régime syrien répond probablement à son isolement politique et à la marginalisation de la cause palestinienne dans les préoccupations réelles des pays arabes. En mai dernier, une délégation de la branche politique du Hamas s’était notamment rendue à Moscou, en pleine offensive contre son voisin ukrainien, signalant une volonté mutuelle de se rapprocher pour faire pression sur Israël. Si « le mouvement palestinien est conscient que le régime syrien a zéro crédibilité sur la scène mondiale et une faible marge de manœuvre – Damas ne servira en rien à faciliter de potentielles négociations futures entre le Hamas et Israël, un rôle assuré par l’Égypte–, la Syrie pourrait également servir de refuge aux dirigeants du Hamas (avec cette normalisation) », avance Radwan Ziadeh, chercheur à l’Arab Center de Washington.
Aux yeux du régime syrien, la normalisation revêt également plusieurs avantages, alors qu’elle « pourrait aider Assad à redorer son image ternie en le présentant à nouveau comme un défenseur de la cause palestinienne, malgré le fait que son armée ait détruit les camps de réfugiés palestiniens pendant la guerre », suggère Aron Lund. Un second objectif pour le régime serait de « créer de la confusion et des conflits parmi les islamistes de type Frères musulmans, qui constituent une part importante de l’opposition syrienne en général et des groupes soutenus par la Turquie en particulier », poursuit le chercheur. Les Frères musulmans, qui sont à l’origine de la création du Hamas, auraient d’ailleurs vivement réagi cet été aux rumeurs de normalisation, enjoignant le groupe palestinien à « revoir sa décision » n’étant pas conforme aux « principes, aux valeurs et aux normes légales » du mouvement frériste.

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