Royaume-Uni : les quatre défis qui attendent le nouveau roi Charles III
En mai 2022, il avait remplacé sa mère, empêchée par des « problèmes de mobilité », pour le discours du trône devant le Parlement britannique, pourtant l’un des moments les plus solennels de la monarchie constitutionnelle. Pour de nombreux commentateurs, cet évènement résonnait comme un passage de flambeau.
« Dans les jours qui viennent, il aura à la fois beaucoup et peu à faire », relève auprès de Public Sénat le journaliste britannique Adam Sage, correspondant à Paris du Times. « Beaucoup, parce que devenir roi est l’aboutissement de toute sa vie, c’est un rôle pour lequel il est préparé depuis toujours. Et peu, parce que la monarchie est protocolaire et symbolique. Les règles sont déjà écrites, il n’a qu’à les suivre », explique-t-il. Avec une certaine pression toutefois : « Ses gestes seront scrutés de très près, la moindre mimique surinterprétée ».
Faut-il, dans les prochains mois, s’attendre à un changement de style ? La personnalité de Charles peut laisser présager d’une monarchie plus ouverte, moins renfermée sur elle-même. Elizabeth II avait fait de la retenue la pierre angulaire de son règne, prenant soin de ne jamais exprimer en public ses opinions personnelles, et restant finalement un mystère pour ses sujets qui, au-delà des bruits de couloir, n’ont jamais rien su des passions et des animosités de leur reine. À rebours, Charles a largement eu l’occasion au cours des décennies écoulées de s’exprimer. On le sait épris de jardins, amoureux d’architecture mais très critique sur l’art contemporain. « C’est un garçon sensible, ce qui n’a pas manqué de rendre son enfance dans un pensionnat écossais très difficile », relève Adam Sage. Son image est celle d’un prince tiré à quatre épingles, et plutôt conservateur.
En mai 2015, vingt-sept lettres envoyées par Charles à des responsables de l’administration Blair ont été rendues publiques. Le prince héritier est accusé de lobbying. Dans ces échanges, il est question d’urbanisme, d’agriculture mais aussi d’écologie, une cause qu’il défend depuis de très longues années, et pour laquelle il a souvent été moqué avant que le réchauffement climatique n’impose le sujet dans le débat public. « Il va devoir trouver un équilibre entre sa personnalité et une monarchie des temps modernes qui n’est plus politisée. J’espère qu’il suivra l’exemple de sa mère et misera sur le silence et la retenue, car même s’il venait à s’exprimer et à prendre position sur un sujet aussi global que l’écologie, mais désormais très politique, cela pourrait être interprété comme un retour vers un pouvoir royal autoritaire », souligne Adam Sage. « Je ne pense pas qu’il y aura un grand changement dans la façon de faire avec le règne précédent », estime pour sa part Pauline Schnapper, professeure de civilisation britannique à l’université Sorbonne Nouvelle. « À présent qu’il est roi, il ne s’exprimera plus de la même manière. Cette nécessité du silence, incarnée avec brio par sa mère, va s’imposer à lui. L’institution royale devrait reprendre le dessus sur la personne. »
Charles III va également devenir le nouveau pilier de la famille royale. Il devra garantir sa cohésion et protéger sa réputation. D’autant que l’image de « la firme » – comme se surnomment les Windsor -, n’a pas manqué d’être écornée ces derniers mois, d’abord par les polémiques qui ont accompagné l’éloignement du prince Harry et de Meghan Markle, et plus récemment par les accusations d’agression sexuelle à l’encontre d’Andrew, le frère de Charles. Lui-même a vu à plusieurs reprises son aura entachée par une série d’affaires et de scandales, abondamment relayés et commentés par une presse britannique qui n’a pas toujours eu à son égard la même déférence que pour la reine. En 1992, durant les années Diana, la divulgation d’enregistrements de conversations téléphoniques grivoises avec Camilla Parker-Bowles l’enferme durablement dans le rôle du mari adultère. Il n’en sortira que très progressivement, après avoir fait accepter par la reine, au début des années 2000, un remariage avec son premier amour.
En 2017, Charles a été cité dans l’affaire des Paradise papers. En juillet dernier, The Sunday Timesindique qu’il aurait accepté pour l’une de ses fondations un don d’un million d’euros de la part de la famille d’Oussama Ben Laden. À la veille de la disparition d’Elizabeth II, la popularité de l’héritier bat de l’aile : il est seulement crédité de 42 % d’opinions positives, contre 24 % d’opinions négatives (30 % des personnes interrogées se disent sans avis), selon le sondagier britannique YouGov. Toujours selon cet institut, Charles n’arrive qu’à la septième place dans le classement des personnalités royales les plus populaires. « Ce serait une erreur de courir après les sondages », balaye néanmoins le journaliste Adam Sage. « On ne va pas changer de roi parce qu’il n’est pas populaire. L’institution n’est pas suffisamment remise en cause par l’opinion et la classe politique pour être menacée par une éventuelle impopularité, même si elle devait devenir très importante au fil des années. » Et Pauline Schnapper d’indiquer que la mort d’Elizabeth II, d’une certaine manière, remet les compteurs à zéro : « Il va bénéficier, au moins à court terme, d’une large sympathie au vu de la grande émotion qui saisit le pays depuis jeudi. »
L’accession au trône du prince Charles survient dans un contexte de crise, à la fois politique, économique et même internationale. L’inflation, la démission de Boris Johnson puis l’élection sans enthousiasme de Liz Truss, les velléités indépendantistes de l’Ecosse ou encore les difficultés sur la mise en œuvre du protocole nord-irlandais accentuent d’une manière inédite le risque de fracture sociale et territoriale outre-Manche. Ironie du sort, le Royaume-Uni voit la même semaine deux « débutants » prendre la tête du pays : « Charles aurait sans doute préféré se retrouver face à un Premier ministre plus expérimenté. Sa mère a fait ses débuts de reine sous l’œil de Winston Churchill. Les premiers rapports avec Liz Truss seront peut-être hésitants, ils vont sans doute tâtonner, mais les secrétaires de la Couronne seront là pour recadrer les choses », note Adam Sage.
Pendant 70 ans, Elizabeth II a fait figure de pivot entre les Etats qui formaient, avant guerre, l’immense empire britannique. Ses nombreux déplacements à travers le Commonwealth ont été une manière d’entretenir un sentiment de proximité, culturelle et historique, entre des territoires très divers. « Il est vrai que la reine a vraiment su incarner de façon magistrale l’unité de la couronne. C’était sa grande force, à la fois dans le Royaume-Uni et dans le Commonwealth. Il y a un vrai défi pour Charles d’arriver à incarner à ce niveau l’unité de la nation », pointe Pauline Schnapper. Se risquerait-il à endosser un rôle diplomatique plus poussé devant une menace de rupture au sein du Royaume-Uni ? « Il pourra s’investir de manière discrète, sans doute. Mais il serait difficile de l’utiliser comme une arme diplomatique sans s’engager dans une bataille politique. Ni les diplomates anglais, ni la cour ne verraient ça d’un bon œil », avertit Adam Sage. En revanche, Liz Truss pourrait tirer avantage de la situation, capitaliser sur le sentiment de communion qui a saisi ses concitoyens après la disparition d’Elizabeth II pour asseoir son autorité et faire taire les divisions qui minent le pays depuis le Brexit. « Elle est peu connue, ne dispose pas de nombreux partisans. Et d’un coup la voilà plongée dans le grand bain, confrontée à quelque chose d’énorme. Si elle arrive à traverser cette période sans faux pas, elle en ressortira renforcée », prédit le correspondant du Times.