"Gilets jaunes" : une mobilisation protéiforme et insaisissable
Combien de "gilets jaunes" le
17 novembre sur les routes de France ? La question taraude les
pouvoirs publics, qui naviguent à vue. Il faut dire que cette mobilisation
citoyenne, protéiforme et insaisissable née sur les réseaux sociaux déstabilise l'exécutif, mais aussi
les partis politiques et les syndicats.
La fronde des
mécontents
Le mouvement des "gilets jaunes",
une addition de colères, agrégées, amplifiées par les réseaux sociaux avant
d'être relayées par les médias traditionnels. "C'est un ras le bol général, la vie
est devenue trop chère", souffle un "gilet jaune". "On n'en a rien foutre de la droite de la
gauche. On a tous hâte d'aller enfin crier notre colère parce qu'on pète un
plomb", renchérit un autre.
Exutoire anti-élites et énième avatar d'une
jacquerie fiscale ancestrale, de la grande jacquerie paysanne du XIVe
siècle aux "bonnets rouges" bretons il y a cinq ans, en passant
par les "chemises vertes" des années 30 et les poujadistes des années
50. Sauf que cette fois, la fronde anti-impôts s'incarne dans la
virtualité du net, d'où émergent des figures comme la fameuse Jacline, hypnothérapeuthe morbihannaise, aux
cinq millions de vues sur Facebook.
Mouvement citoyen
Le mouvement compte des archétypes, à défaut
de leaders. "Depuis une
vingtaine d'années, on constate une apparition des mobilisations
collectives qui s'efforcent de se développer en dehors des cadres institués,
détaille Thierry Vedel, spécialiste des relations entre internet et
politique au Cevipof. Ce sont des
mouvements qu'on appelle en anglais grass-roots, des mouvements qui partent du
bas. C'est probablement lié à la défiance de plus en plus importante à l'égard
des partis, des syndicats et des
organisations professionnelles."
Pour le président du syndicat
CFE-CGC François Hommeril, cette défiance vis-à-vis des "corps intermédiaires", est
causée par Emmanuel Macron lui-même. "Le gouvernement a mis à distance les organisations syndicales en
refusant de jouer le jeu du partenariat syndical, de l'écoute, analyse
le syndicaliste. Il a crée un espace
de vide et dans cet espace des mouvements s'installent, dont la dimension
explosive empêche de bien définir les objectifs et surtout les origines",
complète-t-il.
Emmanuel Macron, désormais seul face à une
fronde incontrôlable qui peut-être réussira là où les traditionnels cortèges
ont échoué.
Le pouvoir
désarçonné, faute d'interlocuteur
Cette fois, pas de service d'ordre syndical,
pas non plus d'indicateur fiable pour évaluer la mobilisation. Simple manif ou
blocage des axes, les forces de l'ordre sont en plein brouillard. Une petite
centaine d'actions seraient à ce stade déclarées en préfecture, sur les
1 500 attendues.
Grand flou sécuritaire et grand flou
politique, la majorité ne cache pas son inquiétude. Pendant que sur les réseaux
sociaux, le contre-mouvement du 17 s'organise lui aussi, depuis le porte-avions
Charles-de-Gaulle, Emmanuel Macron contre-attaque. "Il y a beaucoup de gens qui veulent récupérer ce mouvement,
a prévenu le président mercredi 14 novembre lors d'un entretien. Je dis juste au français : 'on est en
train de vous mentir et de vous manipuler'".
Le spectre de la récupération, un classique
en politique qui s'incarne dans le gilet jaune endossé fièrement par Nicolas
Dupont-Aignan, filmé tract en main devant une station service. "Je vos invite à être le plus nombreux
possible. Et c'est tant
mieux si plusieurs mouvements politiques appellent à manifester",
se réjouit le patron de Debout la France face à la caméra. Nicolas
Dupont-Aignan n'a pas les pudeurs des autres partis. Celui de Marine Le
Pen diffuse des tracts depuis plusieurs semaines, mais se fera discret demain.
Pareil pour Les Républicains. La gauche, elle, est sur une ligne de crête entre
défense des petits contre les gros et engagement écolo.
Un mouvement
"irrécupérable"
Les "gilets jaunes" s'accomodent
mal des gros sabots des partis. Mais à défaut d'être récupéré, leur mouvement
peut infuser, explique Daniel Mouchard, spécialiste des mouvements sociaux et
enseignant à l'université Paris III. Ça
a des effets sur les thématiques qui vont être considérées comme prioritaires
aux élections suivantes, explique le politologue. C'est ce qu'on appelle en science politique le "vote sur enjeu". Ca va cristalliser à la fois dans
l'opinion publique au sens large, dans les prises de parole politiques et
également dans l'attention médiatique. Et c'est là que l'effet de ces
mouvement -qui peuvent être éphémères dans leur phase de mobilisation- ont des
conséquences plus durables."
Éphémères les "gilets jaunes", comme les
"bonnets rouges" ou "les Pigeons", autre mouvement anti-taxe sous Hollande ?
Ou phénomène durable, comme le Mouvement 5 étoiles, né sur un blog il y a
dix ans, désormais au pouvoir en Italie ? Ils n'en sont pas là les "gilets
jaunes", car demain "liker" ne suffira pas, il faudra
participer.