« Les pays frontaliers de la Russie gardent une mémoire très forte de la domination soviétique et de sa violence »
dimanche 03/juillet/2022 - 02:17
Pour la chercheuse Françoise Daucé, les exilés russes et biélorusses trouvent davantage de soutien dans les Etats de l’est de l’Europe avec lesquels ils partagent les codes d’un passé commun.
Directrice d’études à l’EHESS et au Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen, Françoise Daucé revient d’une mission à Vilnius, sur le thème de l’accueil aux opposants de Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko, les présidents russe et biélorusse. Dans un entretien au Monde, cette spécialiste de l’ex-URSS explique que les réseaux d’aide dans l’est de l’Europe se sont mis en place bien avant la guerre en Ukraine.
Où en est l’émigration russe générée par l’invasion de l’Ukraine ?
Des milliers de Russes ont quitté leur pays et rejoint l’Europe, surtout les Etats baltes, des pays d’Asie centrale, la Turquie… Tous ne sont pas des opposants. Certains avaient peur, pour eux ou pour leurs enfants, d’une conscription généralisée. D’autres sont partis parce qu’ils craignaient de ne plus pouvoir travailler, en particulier dans le domaine numérique. C’est le cas, notamment, en Géorgie, où 50 000 Russes sont arrivés très vite.
S’ajoutent aussi des chercheurs et des universitaires, une classe moyenne supérieure qui cherche à échapper au carcan qui lui est imposé. Nous sommes très sollicités par nos collègues des universités de Moscou et Saint-Pétersbourg, dans le cadre du programme « Pause » [programme d’aide à l’accueil en urgence des scientifiques en exil] créé en 2017 à l’origine pour les Syriens, avec le soutien du Collège de France.
Leur volonté de partir tient à deux raisons principales. Soit ils avaient pris position au début du conflit et ont été arrêtés ou se sentent menacés ; soit leur sujet de recherche est devenu trop sensible. Je connais une doctorante qui travaillait sur les territoires autoproclamés indépendants comme la Transnistrie ou l’Ossétie du Sud. On lui a clairement dit qu’elle ne pourrait pas soutenir sa thèse. Un autre a vu ses travaux sur les médias indépendants suspendus. Depuis le début de la guerre, trois cents chercheurs, russes mais aussi ukrainiens, ont adressé des demandes.