Les influenceurs prorusses en ordre de bataille
jeudi 09/juin/2022 - 01:44
Une étude de l’organisation indépendante Institute for Strategic Dialogue accuse ces personnes, réparties dans huit pays occidentaux, de disséminer la propagande du Kremlin. Depuis le début de la guerre en Ukraine, leur popularité ne cesse de croître alors que leurs liens avec Moscou restent flous.
La désinformation peut être payante sur les réseaux sociaux, comme le rappelle une étude de l’organisation indépendante Institute for Strategic Dialogue (ISD), spécialisée dans l’analyse des réseaux sociaux. L’organisme a identifié douze influenceurs répartis dans huit pays occidentaux qui « répandent des discours de désinformation prorusses ». Ces influenceurs cumulent plus de deux millions de followers sur Internet, majoritairement acquis depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février.
Parmi eux figurent deux Françaises. La plus populaire d’entre elles est Anne-Laure Bonnel, qui se présente comme enquêtrice. « Le soutien militaire et la présence américaine en Ukraine depuis 2014 ??? La preuve en image ! Les US arment depuis des années l’Ukraine. La face cachée d’une guerre… », tweete-t-elle, par exemple, le 30 mai, sur son compte, suivi par plus de 72 000 personnes – il n’en comptait que 26 000 au début de la guerre. Elle a produit en 2015 un documentaire sur la région du Donbass, exclusivement tourné du côté russe de la frontière et, de fait, critiqué par plusieurs journalistes présents sur place, dont le correspondant du Monde à Moscou, Benoît Vitkine. « Elle était trimballée dans les territoires séparatistes par… des responsables de ces mêmes territoires. C’est eux que l’on entendait, dans le film, poser des questions aux témoins, pas la journaliste. (…) Des choses fausses, qui ont été démontées à maintes reprises, des fables concoctées par la télévision russe et que les guides d’Anne-Laure Bonnel lui mettaient magiquement sous le nez », expliquait-il en mars 2022. Des critiques auxquelles l’enquêtrice a répondu auprès de nos confrères de Libération.
Christelle Néant, quant à elle, est la fondatrice du site d’informations prorusse Donbass Insider et vit depuis six ans dans cette région d’Ukraine. Régulièrement présente sur la chaîne RT (ex-Russia Today, financée par le Kremlin et désormais bannie en Europe), elle « continue de défendre le point de vue de Moscou et dénonce les “mensonges” des Occidentaux » comme l’écrivait, en mars, le site de critique des médias Arrêt sur images. Celle qui déclare que « les bataillons néonazis travaillent pour Kiev » est suivie par plus de 40 000 personnes sur sa chaîne YouTube et 26 000 sur son groupe Telegram.
Dons et recettes publicitaires
Le phénomène touche le monde entier : Etats-Unis, Canada, Italie ou encore Espagne sont concernés. Le gain de popularité pour ces influenceurs y est parfois vertigineux. L’un des exemples les plus marquants est celui d’Alina Lipp, une Allemande de 29 ans, ancienne membre du parti vert allemand, qui était encore récemment quasiment inconnue d’Internet. Sa chaîne Telegram comptait tout juste 2 000 followers au début de février. Elle est désormais à la tête d’une communauté de plus de 141 000 membres, pour laquelle elle publie en allemand et en russe. Elle affiche, par exemple, divers clichés où l’on voit un homme, un svastika tatoué sur le torse. « Photos sur le téléphone d’un soldat ukrainien tué. Mais il n’y a pas de nazis en Ukraine », ironise la légende.
Sur des plates-formes comme YouTube, au moins trois influenceurs arrivent à dégager des revenus de cette activité. Selon l’ISD, l’Espagnole Liu Sivaya gagne, par exemple, jusqu’à 2 000 dollars par mois grâce aux publicités placées devant ses vidéos. Ces influenceurs bénéficient également des dons de leur audience lors de diffusions en direct, qui « peuvent rapporter entre 20 à 700 euros par stream », toujours selon l’ISD. Eux aussi se sont souvent fait connaître après le début du conflit : ainsi « 70 % des abonnés de [l’influenceur américain] Patrick Lancaster ont commencé à le suivre après que la guerre a éclaté et 47 % de ses vues ont été réalisées après l’invasion », écrivent les auteurs de l’étude.
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Les contenus de ces influenceurs ont non seulement été partagés par les groupes populaires prorusses et pro-Chine de Facebook, mais aussi par des comptes proches du gouvernement russe ou chinois, comme l’ambassade de Russie à Paris. Ces relais leur ont permis d’atteindre une nouvelle audience, estimée à plus de 18 millions d’utilisateurs. Le lien entre ces Etats et les influenceurs n’est pas, pour autant, avéré. Les partages, assez espacés dans le temps, laissent plutôt penser à des actions non coordonnées, réalisées par des groupes de soutien qui voient en ces comptes un moyen supplémentaire de peser sur l’opinion publique.