Irak : des manuscrits orientaux historiques immortalisés
jeudi 09/juin/2022 - 01:38
Le Centre Numérique des Manuscrits Orientaux (CNMO), à Erbil, au Kurdistan irakien, abrite des milliers de documents et des ouvrages d’une valeur inestimable, sauvés de la destruction ou du pillage des djihadistes.
« Ce sont les pièces magnifiques qui composent la grande mosaïque de l’Irak », indique Mgr Michaeel Najeeb en présentant les enluminures d’un manuscrit syriaque du Moyen Age. Ces manuscrits retracent ainsi toute l’histoire des chrétiens de cet antique berceau du christianisme en Mésopotamie.
Les trésors culturels et historiques conservés au CNMO, à Ankawa, banlieue chrétienne d’Erbil, sont de diverses traditions chrétiennes, et également musulmane et yézidie. Des pièces uniques remontent aux 12e et 15e siècles, dont « Sidra », un livre de prières liturgiques en araméen, rédigé autour des 14e et 15e siècles.
Un parchemin carolingien du 10e siècle figure au catalogue. Les documents étaient auparavant conservés à Qaraqosh, village chrétien à 40 minutes de voiture à l’est de Mossoul. Le père Najeeb est parti en emportant dans son véhicule les derniers manuscrits, quelques heures avant que Daech ne prenne la localité, dans la nuit du 6 au 7 août 2014.
La population qui fuyait les djihadistes, a été mise à contribution pour le transfert. Tout a été retrouvé intact à l’arrivée. Cet épisode et le combat de Mgr Najeeb ont été relatés dans le livre Sauver les livres et les hommes (Grasset, 2017).
Ce sont 850 manuscrits anciens, des archives, des correspondances datant de plusieurs siècles, des photographies et plus de 50.000 livres qui ont ainsi été sauvés. Mais les manuscrits d’Ankawa sont-ils définitivement en sécurité ? Si le climat sec de l’Irak permet de les préserver de l’humidité, les Irakiens sont toutefois habitués à ne pas compter sur la stabilité des situations, surtout politiques.
Le CNMO a donc mis en place un processus de numérisation de sa collection. Plus de 8.000 manuscrits issus de 112 collections différentes ont ainsi déjà été digitalisés, grâce à un partenariat – depuis 2009 – avec le Hill Monastic Manuscript Library (HMML) des bénédictins du Minnesota qui réalisent un travail colossal de conservation des archives de par le monde.
En outre, des aides obtenues d’organisations internationales, telles que l’UNESCO ou USAID, ont permis au CNMO de se doter récemment d’un matériel de numérisation plus sophistiqué, qui permet d’accélérer et de simplifier le processus.
Le père Michaeel Najeeb, archiviste au couvent dominicain de Mossoul, a fondé le Centre Numérique des Manuscrits Orientaux en 1990, et a sillonné le nord de l’Irak et les pays voisins pour y retrouver des documents. Il a réussi à sauver des pièces inestimables de la destruction de la part de propriétaires ignorant souvent leur valeur.
Durant leur occupation de la région, de 2014 à 2017, les djihadistes ont détruit ou vendu des milliers d’œuvres culturelles ou historiques. Après 2017, il a racheté des centaines de livres pillés dans les églises par Daech, parfois vendus sur les trottoirs. Les documents, hors ceux des collections dominicaine et bénédictine, ont été rendus à leurs propriétaires légitimes, après avoir été numérisés.
Le Centre des Manuscrits Orientaux a été contraint de déménager une première fois à Qaraqosh en 2007, face à l’hostilité grandissante envers les chrétiens à Mossoul. Pour son second déplacement dans l’urgence vers Ankawa, dans la nuit du 6 au 7 août 2014, la Providence semble avoir été à l’œuvre. Les dominicains avaient en effet acheté trois mois auparavant le bâtiment où les manuscrits ont finalement trouvé refuge.
Un atelier de restauration a également été installé. Une équipe de spécialistes a été recrutée par les dominicains principalement parmi les réfugiés chrétiens arrivés à Erbil en 2014. Ces personnes sont des professionnels qui ont perdu leur emploi après l’exode.
Mgr Michaeel Najeeb est mû par une conviction : « Avec ces projets, il s’agit d’éclairer les générations futures sur la beauté de la diversité de l’Irak. Cette lumière apportée par la mémoire et la connaissance de nos racines est nécessaire pour lutter contre les ténèbres de Daech », affirme-t-il.