« L’Iran toujours plus près du “seuil” du nucléaire »
vendredi 03/juin/2022 - 09:01
Dans sa chronique, Alain Frachon, éditorialiste au « Monde », souligne l’importance des négociations en cours, à Vienne, sur le nucléaire iranien et pointe « une urgente nécessité » : obtenir un accord avant que la République islamique ne dispose de « la » bombe.
La guerre fait rage en Ukraine, mais le Moyen-Orient reste fidèle à lui-même – toujours au point d’ébullition. Une question hante états-majors et chancelleries : la République islamique d’Iran est-elle « au seuil » du nucléaire ? Elle serait, aujourd’hui, capable en quelques semaines de disposer d’assez d’uranium enrichi pour « la » bombe.
En principe, Etats-Unis, Chine, Russie et Européens sont, dans cette affaire, sur la même ligne. Tous sont convaincus d’une urgente nécessité : faire aboutir la négociation en cours à Vienne pour empêcher Téhéran de franchir ce « seuil ». En contrepartie d’une levée des sanctions pesant sur la République islamique, celle-ci accepterait que ses activités nucléaires soient encadrées et surveillées de près. La guerre en Ukraine ne simplifie pas la situation. « Ces choses-là n’ont rien à voir, ne sont aucunement liées l’une à l’autre », jure, à la chaîne CBS, le secrétaire d’Etat Anthony Blinken. Pas sûr.
Dans la guerre d’agression russe contre Kiev, l’Iran et ses « alliés » arabes – Hezbollah libanais, régime syrien, Houthis yéménites, milices irakiennes – se sont rangés derrière Moscou. Quant à la Chine, elle a noué un « partenariat stratégique » avec la République islamique, posant les bases d’une étroite coopération bilatérale. Certains parlent d’un axe Moscou-Pékin-Téhéran. L’Iran n’est pas isolé.
Mais la République islamique est, une fois de plus, défiée de l’intérieur. Elle affronte une vague de colère qui, dans de nombreuses villes, fait descendre dans la rue une population épuisée, éreintée par une situation économique désastreuse – sous-produit de mauvaise gestion, de sanctions américaines et d’impact de la guerre russo-ukrainienne sur le prix des denrées alimentaires. L’inflation tourne autour de 40 % ; 33 % des Iraniens vivraient en dessous de seuil de pauvreté. La classe moyenne est laminée. A ces révoltes récurrentes, le régime – une théocratie dominée par sa branche militaire, les Gardiens de la Révolution – oppose toujours la même réponse : une impitoyable répression.
La route classique vers « la » bombe
Donald Trump est responsable de l’accélération du projet nucléaire iranien. Abrogeant unilatéralement, en 2018, un précédent accord conclu entre l’Iran et la communauté internationale, à Vienne en 2015, le président républicain a libéré l’Iran de ses obligations à l’égard de ce document. Plus de limites à la production des centrifugeuses de Téhéran…
Trump a soumis les Iraniens à un corset de sanctions destiné à étouffer l’économie du pays. Il voulait un « meilleur accord » avec Téhéran. Le document ne se limiterait plus à encadrer le nucléaire de l’Iran, il porterait aussi sur l’arsenal de missiles balistiques du pays et sur les ingérences iraniennes dans le monde arabe. Vaste ambition, restée lettre morte. La République islamique n’a pas cédé. Trump a été battu en novembre 2020. Le peuple iranien souffre.