Pourquoi le Burkina Faso est-il ciblé par le terrorisme?
Ali Bakr
Le Burkina Faso est devenu la
destination privilégiée des organisations terroristes, surtout celles affiliées
à Al-Qaïda, dans les régions du Sahel et du Sahara. Le pays est devenu le
théâtre d’attaques contre les intérêts occidentaux, avec à leur tête ceux de la
France, porte drapeau de la lutte anti-terroriste dans la région.
Il semblerait que le Burkina
Fasso soit dans la ligne de mire des groupes terroristes au Sahel et au Sahara,
surtout ceux affilés à Al-Qaïda. Ces groupes mènent des attaques sporadiques
sur le territoire burkinabé. La dernière en date était l’opération
non-conventionnelle contre plusieurs résidences officielles et diplomatiques,
dont le quartier général des forces armées, l'ambassade de France et l'Institut
français dans la capitale, Ouagadougou. Ces attaques simultanées ont fait 28 morts
dont huit assaillants tués par la sécurité, le 2 mars dernier.
Le groupe Nossret Al-Islam wal
Mosslemine (le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, GSIM) plus
grande alliance affiliée à Al-Qaïda au Sahel et au Sahara a revendiqué ces
attaques. Il s’agirait selon le groupe d’une « réponse à l'opération
militaire lancée par les troupes françaises au Mali ». Cette opération,
annoncée le 15 février par l’état-major français, et menée par des unités de
l’aviation et de l’armée de terre au Nord Est du Mali près de la frontière
algérienne, a fait 20 morts parmi les militants de l'organisation.
Ces opérations soulèvent une
question importante : quelles sont les motivations des organisations
terroristes qui opèrent au Burkina Faso ? Pourquoi visent-elles ce pays au
moment même où les puissances mondiales et régionales cherchent à y éradiquer
le terrorisme ? Rappelons que les cinq pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina
Faso, Niger, Tchad) ont formé une force militaire conjointe (la force du G5
Sahel). Celle-ci a été annoncée au sommet de Paris en Décembre 2017.
Notons aussi que le groupe Ansar
al-Islam wal Moslemine, proclamé début Mars 2017, comprend quatre factions
principales : l’Emirat de la grande région du Sahara, l’organisation Mourabitoun,
le groupe Ansar Aldine, et le Front de libération du Macina, dirigé par
Iyad Agha Ghali, chef d'Ansar Al-Dine. Il s’agit de la plus grande et de
la plus dangereuse alliance terroriste affiliée à Al-Qaïda dans la région du
Sahel. Elle se caractérise par sa diversité idéologique et ethnique. Le groupe Ansar
Al-Dine représente les tribus Touaregs, alors que le mouvement de
libération du Macina représente l’ethnie Peul. Les deux groupes brandissent des
slogans djihadistes. C’est pourquoi on peut dire qu’Al-Qaïda possède de longs
bras dans la région sahélo-saharienne.
Des cibles diversifiées
Bien que les attaques simultanées
au cœur de la capitale, Ouagadougou, soient les plus sanglantes que le Burkina
Faso n’ait jamais connues, elles ne représentent qu’un épisode dans la large
série d'attentats terroristes qui frappent le pays depuis trois ans.
Soulignons ici que l'activité terroriste au Burkina Faso n’est pas seulement
l’œuvre des groupes terroristes extérieurs affiliés à Al-Qaïda, mais également
celle des groupes internes comme Ansar Al-Islam, qui est un groupe
ethnique adoptant des idées djihadistes. Dirigé par Ibrahim Malam Dicko
(surnommé le premier ennemi du Burkina Faso), ce groupe est formé exclusivement
de l’ethnie Peul. Il s’est fait connaître le 22 Septembre 2016 en revendiquant
l’attentat de Nassoumbo au nord du pays, qui a tué 12 soldats. Le groupe a de
même attaqué deux commissariats de police à Parapoli et à Tungomayil le 27
janvier 2017.
Certains groupes affiliés à
Al-Qaïda dans la région du Sahel ont pris d’assaut le restaurant Cappuccino et
l’hôtel Splendid au centre de Ouagadougou en Janvier 2016. Les terroristes ont
séquestré 170 personnes. 30 d'entre elles ont été tuées durant l'attaque.
L’attentat a été revendiqué par Al-Qaïda. Les terroristes ont attaqué également
le restaurant-café turc, Aziz Istanbul, dans la région de Kwame Nkrumah dans la
capitale burkinabè le 14 Août, 2017 tirant de manière sporadique sur les
clients. L'attaque a provoqué la mort de 18 personnes de différentes
nationalités dont les assaillants tués par les forces de sécurité.
Le pays a également témoigné d’un
certain nombre d'attaques qui n’ont pas été revendiquées comme celle contre
deux postes de police en Mars 2017, qui a provoqué la mort de trois personnes.
Toujours au mois de Mars, deux personnes ont été enlevées et une école a été
incendiée. Tous ces incidents montrent que le Burkina Faso est désormais la
cible de plusieurs attaques terroristes.
Des motifs multiples
Il semblerait qu’un ensemble de
motifs soit derrière les attaques simultanées lancées par les groupes affiliés
à Al-Qaïda au Burkina Faso. Ces attaques, les premières du genre, coïncident
avec la recrudescence des activités des groupes terroristes dans la région du
Sahel et du Sahara, et leur souci d’étendre leurs activités au Burkina Faso.
Voici leurs principaux motifs :
La facilité de s’infiltrer au
Burkina Fasso
La multiplication des attaques
terroristes au Burkina Faso durant les trois dernières années, surtout par
certains groupes de l’extérieur, montre l’extrême faiblesse de la sécurité dans
ce pays. Fait révélateur : le groupe qui a mené l'attaque contre
l'état-major des forces armées du Burkina portait des uniformes de l'armée
burkinabè. Entre 2015 et début 2018, le pays a été le théâtre de 80 attaques
terroristes, qui ont provoqué la mort de 133 personnes, selon les données
officielles. Le Burkina Faso est devenu une cible hautement fragile, d’où la
multiplicité et la diversité des attaques terroristes qui visent
essentiellement des ressortissants étrangers et des bâtiments officiels. Ces
attaques ont clairement révélé l’extrême vulnérabilité de la sécurité au
Burkina Faso, ce qui a encouragé Al-Qaïda à mener sa dernière attaque.
Remettre en doute le G5 Sahel
Ces violentes attaques font suite
à l'annonce, par les cinq pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger
et Tchad), de la formation d'une force militaire conjointe en Décembre 2017
pour contrer les organisations terroristes déployées dans cette région, surtout
celles affiliées à Al-Qaïda. Cette force a suscité l’espoir d’une éradication
du terrorisme. Par conséquent, les récentes attaques terroristes constituent un
message adressé aux pays du Sahel, selon lequel cette force est inefficace et
n’est pas en mesure d’éliminer les groupes terroristes. La preuve en est
qu'elle est incapable d'arrêter les attaques ou de se prémunir contre elles. Le
ministre burkinabè de la sécurité, Clément Sawadogo, a déclaré que la dernière
attaque visait à priori une réunion du G5 Sahel qui devait avoir lieu dans une
salle. Or, celle-ci a été détruite par l’explosion d’une voiture piégée. Il y a
aussi le fait que ces attaques coïncident avec les attentats de plus en plus
nombreux contre les forces de maintien de la paix au Mali (Minusma). Le dernier
en date a tué quatre soldats le 28 février 2018.
L'hostilité grandissante envers
la France
L’attaque contre l’Institut et
l’ambassade de France à Ouagadougou montre que les intérêts français restent la
cible privilégiée des organisations terroristes au Sahel et au Sahara. En
effet, la France mène une âpre guerre contre le terrorisme dans cette région,
et c’est Paris qui a proposé la création de la force du G5 Sahel. Rappelons
aussi que la France a déployé quatre mille soldats pour soutenir les armées nationales
en Mauritanie, au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad contre les
groupes terroristes. Les récentes attaques sont survenues, après l'annonce, par
la ministre française des Armées, le 23 Février, de la liquidation par l’armée
française de 450 terroristes depuis le lancement de l'opération Barkhane en
août 2014, deux jours après la mort de deux soldats français au Mali.
Les soldats français sont donc
dans la ligne de mire des organisations terroristes. Ainsi, des soldats
français ont été visés le 28 Novembre 2017 par une bombe au centre de
Ouagadougou avant la visite du président français Emmanuel Macron, blessant
trois civils.
Viser les ressortissants
étrangers
Les attaques terroristes au
Burkina Faso montrent que les ressortissants étrangers sont devenus la cible
des groupes terroristes (Par exemple, le restaurant-café turc et l'hôtel
Splendid sont fréquentés en majeure partie par des citoyens étrangers). Ceci
est dû au fait que les attaques contre les ressortissants étrangers ont une
résonance internationale et régionale. C’est également une carte de pression
sur les gouvernements au Burkina Faso et à l’étranger. Le Burkina Faso est l'un
des pays les plus fréquentés par les étrangers dans la région.
Développer les capacités
d’Al-Qaïda
La zone attaquée par les
militants armés au centre de Ouagadougou se caractérise par une grande présence
sécuritaire car elle abrite de nombreux bâtiments officiels, ce qui laisse à
penser que l'attaque était plus une opération suicide qu’une opération traditionnelle.
Mais plus grave encore, ces attaques montrent le potentiel d'Al-Qaïda à évoluer
de façon spectaculaire. Si le Burkina Faso fait face aux attaques terroristes
depuis 2015, ces attaques n’avaient jamais atteint un tel niveau de perfection.
La dernière attaque contre l’état-major des armées au centre de Ouagadougou a
été lancée à travers deux groupes, se déplaçant simultanément à deux endroits
du centre-ville. Ils ont utilisé une voiture piégée. Les attaques ne sont plus
dirigées contre des cibles traditionnelles et faciles comme les hôtels et les
restaurants, mais portent plutôt sur des objectifs difficiles symbolisant le
pouvoir et l'influence. Il est clair qu’Al-Qaïda possède un service de
renseignement capable de recueillir des informations précises, et des éléments
parfaitement formés pour lancer ce genre d’attaques.
Enfin, on peut dire que le
Burkina Faso est devenu la destination privilégiée des organisations
terroristes, surtout celles affiliées à Al-Qaïda et qui opèrent dans la région
du Sahara. Le pays est devenu une arène permettant aux groupes terroristes de
viser les intérêts des pays occidentaux, avec à leur tête la France, devenue le
porte-drapeau de la lutte contre le terrorisme dans la région. Cette menace
contre les intérêts occidentaux risque de persister et même d’augmenter, tant
que les groupes affiliés à Al-Qaïda, se déplacent librement dans cette région.
Une coopération internationale et régionale est nécessaire pour lutter contre
ces organisations, tout en soutenant la force G5 Sahel. Une coopération est
aussi nécessaire avec les pays actifs dans la lutte contre le terrorisme, comme
l'Egypte et le Maroc, afin d’engager une confrontation globale, avant que le
danger de ces organisations ne s’aggrave et qu’il ne soit trop tard.