Ibn Taymiyya... soufisme ou salafisme ?!
Sara Rachad
Le 12 Dhû al-Qa’da de l’année 728 de l’Hégire, le muezzin de la
prison de la Citadelle de Damas annonça le décès de l’un des prisonniers, et
deux heures plus tard, les marchés se vidèrent et toute la ville se précipita à
la prison pour faire ses adieux au défunt, qui n’était autre que Taqiy ad-Dîn
Abûl-‘Abbâs Ahmad Ibn ‘Abdel Halîm Ibn Taymiyya, surnommé « le Cheikh de
l’islam ». Et les salafistes et djihadistes qualifient dans leurs ouvrages
le jour de sa mort de « jour mémorable ».
Quant au savant en sciences religieuses Ibn Kathîr, il décrit le
jour de sa mort ainsi : « Une foule de gens se dirigèrent vers la prison
pour tirer bénédiction du Cheikh et l’embrasser, puis ils récitèrent le Coran
pour lui et se partagèrent l’eau de sa toilette mortuaire.
La ville pleura pendant des jours, et les gens se succédèrent
nuit et jour sur sa tombe après son enterrement, pour en tirer bénédiction,
tandis que des séances de récitation du Coran furent organisées dans la plupart
des pays arabes de l’Irak jusqu’en Egypte et en Syrie.
Ibn Taymiyya – décrit comme l’un des maîtres à penser des
salafis et dont s’inspire l’organisation terroriste Daech - ne s’attendait sans
doute pas à ce que ses funérailles donnent lieu à de tels rituels, lui qui
passa sa vie à combattre les soufis, en interdisant de tirer bénédiction des
morts, et de visiter leurs tombes y compris celle du Prophète. Or, voilà que
ceux qui assistaient à ses funérailles visitaient sa tombe et buvaient l’eau de
sa toilette mortuaire. On raconte même que certains vendirent le fil qui entourait
son cou pour cent cinquante dirhams et que quelqu’un acheta sa toque blanche
pour cinq cents dirhams, dans l’intention d’en tirer bénédiction et de s’en
servir comme moyen d’obtenir des faveurs de Dieu.
Ibn Taymiyya, entre soufisme et salafisme
Les salafis à leur tour, qui considèrent Ibn Taymiyya comme leur
maître le plus éminent, ont justifié ce qui était arrivé durant les funérailles
comme devant être attribué aux participants, mais que le Cheikh ne l’aurait pas
accepté. Cependant, cela ne contredit pas le fait que le soufisme, dont Ibn
Taymiyya réfute les idées dans ses ouvrages et qu’il condamne, était alors un
mode de vie social que les gens du peuple adoptaient spontanément, surtout que
le huitième siècle de l’Hégire, siècle où est mort Ibn Taymiyya, fut celui de
l’expansion du soufisme.
Et si le soufisme était à cette époque un mode de vie social qui
avait réussi à séduire les gens, aujourd’hui, malgré sa faiblesse, il a
conservé une partie de son influence, ce qui est cohérent avec les critiques adressées
aux Salafis accusés d’être influencés par la conception soufie, s’agissant de
la sacralisation des saints et des cheikhs, et de l’interdiction de se révolter
contre eux.
Les adeptes de cette opinion s’appuient sur le fait qu’un grand
nombre de Salafis sont totalement soumis à leurs cheikhs et il se peut qu’ils
passent leur vie à critiquer un autre cheikh pour la simple raison qu’il
s’oppose à celui qu’ils suivent sur une question mineure, s’appuyant en cela
sur le verset : « Le faux ne l’atteint ni par devant ni par
derrière ».
Les Frères et la méthode d’Ibn Taymiyya
Les Salafis ne sont pas les seuls à ce propos, et ils ont été
précédés en cela par le groupe des Frères fondé en 1928 et qui s’attribue le
nom de « groupe-mère des groupes de l’islam politique ». En effet, le
fondateur du groupe Hassan Al-Bannâ (1906-1949) a abordé dans ses mémoires « La
Prédication et le prédicateur » sa formation au sein d’une confrérie
soufie nommée la Hasâfiyya, et comment il a été influencé par son cheikh et le
fréquentait, ainsi que sa visite des tombes.
En outre, Al-Bannâ a imposé à son groupe des invocations -
composées par le groupe - qui sont répétées lors des réunions du groupe
jusqu’aujourd’hui, et l’on dit que ce sont l’un des aspects de l’influence des
Frères par la méthode soufie, qui adopte ces invocations, de même que le groupe
suit la logique de l’éducation dans la formation de ses membres, pour garantir
leur soumission.
Le soufisme est considéré comme étant le premier à avoir lancé
l’idée de l’éducation des adeptes, et à avoir élaboré un programme dans le but
de les aider au renoncement (aux biens matériels) et au voyage vers Dieu, et si
les soufis éduquent leurs membres à devenir prisonniers de leurs cheikhs, les
Frères en tant que groupe politico-religieux n’ont pas d’autre ambition.