« La guerre en Ukraine est une guerre médiatique à “visages humains” »

L’historienne et sociologue des médias Isabelle Veyrat-Masson décrypte le traitement médiatique de la guerre en Ukraine et ses spécificités par rapport à d’autres conflits.

Alors que le conflit en Ukraine entre dans son troisième mois, le récit traditionnel de la guerre par les médias est percuté par l’irruption des visages des victimes de la guerre permise par les réseaux sociaux, explique Isabelle Veyrat-Masson, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique et spécialiste de la communication politique.

En quoi le traitement médiatique de la guerre en Ukraine vous paraît-il différer du traitement observé lors de précédents conflits ?

Une étude systématique des travaux portant sur les traitements médiatiques des conflits contemporains m’a conduite à proposer une typologie des différentes relations, manières ou constructions ayant organisé les images de guerre à la télévision. On les retrouve tous dans cette guerre en Ukraine.

Il y a le modèle fictionnel, qui cumule structure du récit, aspect feuilletonnant de l’information et suspense – les Russes vont-ils attaquer ? Gagner Kiev ? Marioupol va-t-elle tomber ? –, mais aussi la présence d’un héros – Volodymyr Zelensky, le président ukrainien. Il y a le paradigme politique – « La guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens », selon la formule de Clausevitz –, qui s’empare de la guerre pour façonner le récit médiatique avec ses techniques habituelles que sont le contrôle de l’information, la censure, la propagande, etc.

Le modèle que j’appelle « sportif », est apparu pendant la guerre du Golfe en 1991, quand CNN a prétendu filmer la guerre en direct, installer ses caméras comme s’il s’agissait d’un match à suivre. Enfin, on trouve le modèle militaire, qui était déjà présent au moment du Vietnam mais surtout de la guerre d’Irak, avec ses experts sur les plateaux de télévision et ses journalistes sur le terrain « embedded » (« intégrés » à l’armée) : il s’agit de voir le conflit avec un filtre particulier. Le conflit actuel cumule tous ces modèles, tout en ajoutant un élément complètement nouveau : l’irruption des visages. La guerre en Ukraine est une guerre médiatique à « visages humains ». Le pluriel est important !