Publié par CEMO Centre - Paris
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POINT DE VUE. Ukraine : jusqu’où les Occidentaux peuvent-ils aller ?

lundi 02/mai/2022 - 04:47
La Reference
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« L’objectif de Kiev est simple : déloger l’occupant. Mais quel doit être le nôtre ? » Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, interroge le but poursuivi par les Occidentaux : rechercher l’affaiblissement de la Russie ? Sa défaite totale ? Est-ce dangereux ?
Il y a encore un mois, nombre d’observateurs suggéraient encore qu’un compromis raisonnable avec la Russie pouvait peut-être arrêter la guerre, au prix pour l’Ukraine du sacrifice d’une partie de son territoire. L’héroïque résistance du peuple ukrainien, la déroute des forces russes au nord et l’accroissement massif de l’aide occidentale ont changé la donne.
L’objectif de Kiev est simple : déloger l’occupant. Mais quel doit être le nôtre ? Le Secrétaire américain à la défense Lloyd Austin a troublé les esprits en affirmant que celui de Washington était désormais d’affaiblir la Russie. Va-t-il trop loin, au risque de briser la solidarité des quelque quarante pays, occidentaux et autres, qui forment la coalition d’assistance à l’Ukraine ? N’est-il pas risqué de sembler vouloir s’en prendre à l’État russe lui-même ? À n’en pas douter, cela nourrirait la paranoïa des élites russes et d’une opinion chauffée à blanc par les médias d’État, qui n’hésitent plus à brandir la menace nucléaire. Et M. Poutine, enfermé dans sa bulle, n’y serait probablement pas insensible…
En réalité, l’escalade verbale est davantage du fait de Moscou, qui ne cesse de dire qu’elle est en guerre contre l’Occident, que du côté américain. Et M. Poutine s’apprête sans doute, le 9 mai, jour sacré de commémoration de la Grande guerre patriotique, à annoncer une forme de mobilisation nationale. Mais l’Amérique ne souhaite surtout pas déstabiliser la Russie. Ce qu’a dit précisément M. Austin, c’est qu’elle souhaite la voir affaiblie au point de ne plus pouvoir faire le genre de chose qu’elle a fait en envahissant l’Ukraine. Nuance importante. Qui pourrait être en désaccord avec l’objectif de ce que la diplomatie américaine appelle un échec stratégique pour M. Poutine ?
Garder notre sang-froid
D’autant plus que cet objectif est en passe d’être partiellement rempli. À en croire le Pentagone, 25 % du potentiel de combat engagé par Moscou fin février avait déjà été neutralisé fin avril. Plus précisément, selon une évaluation indépendante, la Russie aurait perdu 500 chars, 300 véhicules blindés, 30 hélicoptères et 20 avions de combat. Dont nombre de matériels en état de marche récupérés par l’armée ukrainienne… On estime qu’il faudra au moins deux ans pour reconstituer cette capacité. Mais ce sera sans doute plus, car les sanctions affecteront la capacité de Moscou à produire rapidement des matériels modernes.
Comment cet échec stratégique pourrait-il se traduire ? La position des Occidentaux est de dire que l’Ukraine doit pouvoir recouvrer sa souveraineté et son intégrité territoriale. Idéalement, cela impliquerait la reconquête du Donbass dans son intégralité. Bien évidemment, toutefois, si Kiev se satisfaisait du retour au statu quo, celui d’un conflit de basse intensité autour d’une ligne de front qui ressemblerait à celle de février 2022, nous ne pourrions être plus ukrainiens que les Ukrainiens. À l’inverse, si M. Zelensky était grisé par le recul de l’armée russe à l’Est, devrions-nous soutenir un éventuel projet de reconquête de la Crimée ? Ce serait une autre paire de manches, car ce territoire a été annexé et cela voudrait donc dire s’attaquer au territoire russe. Avec, pour le coup, de vrais risques d’escalade.
Une chose est certaine : la plus grande prudence doit être de mise dans le discours public tenu par les gouvernements occidentaux quant aux objectifs poursuivis. À l’heure où les autorités russes perdent leur sang-froid, nous devons garder le nôtre.

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