Russie, "un nain aux pieds d’argile"
mercredi 20/avril/2022 - 03:20
Déjà fragilisée sur le plan économique par les sanctions prises à son encontre, la Russie demeure aussi particulièrement vulnérable dans le domaine technologique. Une tribune de Michel Santi, macroéconomiste, spécialiste des marchés financiers et des Banques centrales.
En 2014, Moscou subissait déjà les premières sanctions économiques de l’Europe, des Etats-Unis et du Canada en réponse à son annexion de la Crimée. Il s’agissait alors de gel d’actifs et de mesures restrictives touchant 185 personnes et 48 entités. Ces premières mesures ont impacté l’économie de la Russie, comme le rapporte La Revue de l’Otan publiée en juillet 2015, et dont les données ont confirmé l'entrée de la Russie en récession, avec une croissance du PIB de -2,2% au premier trimestre 2015 par rapport au premier trimestre 2014.
D’ailleurs, la plupart des chercheurs estiment que l'effet combiné de ces sanctions et de la chute des prix du pétrole a provoqué de très fortes pressions à la baisse sur la valeur du rouble et accru la fuite des capitaux. Résultats, des exportations en chute libre et les prix des denrées alimentaires en nette hausse.
Mais la Russie est également bien trop vulnérable dans le domaine technologique. Cette dépendance remonte à loin, à l’époque soviétique où l’URSS exportait plus de machines et de machines-outils qu’elle en importait, sachant que la valeur de ces importations dépassait de 7 voire parfois de 10 fois celle de ces exportations. Ce schéma se perpétue de nos jours dans la mesure où le pays ne peut produire de machines sophistiquées, en partie pour avoir laissé tomber en déliquescence ce qui restait des capacités industrielles héritées de l’époque communiste.
La hausse des prix pétroliers – du moins durant les deux premiers mandats de Poutine – a même achevé de condamner ce savoir-faire, car la Russie a privilégié l’investissement dans la production d’énergie, en faisant massivement appel à des achats énormes de technologie étrangère. Les entreprises russes du secteur importent en effet plus de la moitié de leurs équipements, et même 90% dès lors qu’il s’agit de technologie offshore et de fracturation hydraulique.
La défense russe elle-même importe toujours près de 30% de son électronique de pointe. Si l’industrie nationale produit, par exemple, plus de 80% de ses besoins en termes de construction, de cimenteries et de grues, elle doit en revanche importer 100% de ses machines à laser et à ultrasons. Au total, la politique visant à progressivement remplacer les importations par la production nationale grâce aux investissements s’est donc révélée à ce jour un échec.
De fait, l’Union européenne est le plus important fournisseur de la Russie en équipements stratégiques, et ce n’est pas la Chine qui va prendre la relève – même si un de ces équipements est vendu en moyenne 1.000 dollars, contre 100.000 pour son équivalent allemand ou suisse. La Chine manque en effet elle aussi de la haute technologie nécessaire à la fabrication de certains composants, notamment présents dans les jets, qu'elle importe à 40% d’Europe et des Etats-Unis.
Une situation d’autant plus problématique pour Moscou que processeurs, puces et autres instruments de pointe, indispensables notamment pour le système satellitaire russe Glonass (permettant d’opérer à la fois le GPS et les missiles de défense russes), ne peuvent être achetés en Chine, qui ne les produit pas, contraignant ainsi la Russie à freiner ses propres programmes.
Cette grande faiblesse de l’économie russe est structurelle car l’activité y est contrôlée par quelques conglomérats propriété de l’Etat ou par une minorité de personnages dépendants les uns des autres. Chacun se partageant avidement l’immense gâteau des matières premières. Dans un tel contexte, trop peu productif, alors même que les prix alimentaires avaient déjà flambé de plus de 30% avant le Covid à cause d’un secteur agricole lui aussi déficient et à cause des premières sanctions, la Russie risque d’avoir du mal à surmonter les effets des nouvelles mesures de rétorsion.