Publié par CEMO Centre - Paris
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Avec la perte du croiseur Moskva, la Russie coule encore un peu plus

mardi 19/avril/2022 - 08:31
La Reference
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Il est tentant de voir dans la perte du croiseur russe Moskva le symbole d'un naufrage plus large: celui de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
D'abord, cet événement a une portée opérationnelle, d'autant plus que la flotte russe de la mer Noire ne peut être renforcée par la flotte du Nord via les détroits des Dardanelles et du Bosphore, que la Turquie a fermés depuis le début de l'«opération militaire spéciale» lancée par le Kremlin. Mais il a, surtout, une signification politique: la perte du principal navire russe à proximité des côtes ukrainiennes paraît illustrer le renversement progressif du rapport de force militaire, médiatique et stratégique entre l'Ukraine et la Russie.
Sur le plan militaire, un rapport du faible au fort
Qu'elle résulte d'une attaque ukrainienne (comme l'affirme Kiev) ou d'un incendie accidentel (comme le prétend Moscou), la disparition du croiseur Moskva, navire amiral de la Flotte de la mer Noire, met en évidence plusieurs aspects essentiels de la confrontation militaire en cours.
Admis au service actif en 1983, ce navire de plus de 12.000 tonnes, initialement baptisé «Slava» («Gloire»), est un héritage de l'URSS, conçu dans les années 1970 par les ingénieurs soviétiques pour mener la deuxième guerre froide, celle de l'ère Brejnev, à une époque où les forces armées soviétiques étaient déployées sur tous les continents. Retiré du service pendant une décennie, de 1990 à 2000, il a contribué au renouveau des armées russes consacré par le grand plan de modernisation lancé en 2009 par Vladimir Poutine.
Son naufrage constitue le symbole des limites de cette modernisation des forces armées conduite pendant plus d'une décennie dans toutes les dimensions (air, terre, mer, cyber) pour affirmer la puissance de la Russie au loin (en Syrie depuis 2015) mais aussi à proximité de ses frontières (Caucase, Baltique, mer Noire, Atlantique Nord). En d'autres termes, la combinaison de l'héritage militaire soviétique et de la modernisation poutinienne des forces ne suffit pas à emporter une victoire militaire, décisive, nette et incontestable.
Depuis le début de l'invasion, en février, malgré les importantes pertes civiles et militaires subies par l'Ukraine, malgré la destruction de plusieurs villes et de nombreuses infrastructures, et malgré la supposée supériorité des forces armées russes, Moscou n'a pas atteint ses objectifs avoués: changer le gouvernement ukrainien et imposer au pays un statut de stricte neutralité.
Pour l'Ukraine, qui revendique d'avoir coulé le navire comme une action d'éclat, cet épisode constitue tout un symbole d'espoir sur le plan militaire: longtemps critiquée, très récemment réformée et ne bénéficiant jusqu'à récemment que d'un soutien limité de la part des Occidentaux, l'armée ukrainienne prend ainsi sa revanche sur la supposée invincibilité de l'armée russe et sur un bâtiment qui a paralysé son action en mer. Au prix de nombreuses pertes, elle a en effet mis en échec une invasion déployée sur au moins quatre axes, appuyée par une aviation de premier rang et rompue aux opérations extérieures.
La Russie peut-elle gagner cette guerre en Ukraine?
En outre, la disparition du Moskva a un effet direct sur la dimension maritime de l'invasion russe. Si Marioupol à l'est et Odessa à l'ouest sont des objectifs stratégiques de la Russie, c'est parce que la conquête de ces villes constituerait pour Moscou le parachèvement stratégique de l'annexion de la Crimée. En effet, elle lui permettrait de refaire de la mer Noire le «lac russe» qu'il était durant l'ère soviétique et de priver l'Ukraine de façade maritime. Mais une telle conquête repose largement sur la capacité des navires russes à appuyer depuis la mer l'assaut mené sur la terre ferme…
Du naufrage d'un croiseur de 40 ans à la victoire sur la Russie, il y a un saut important, mais cet épisode souligne l'évidence: sur le plan militaire, l'Ukraine parvient à établir un rapport du faible au fort qui prive la Russie de la victoire qu'elle cherche depuis près de deux mois.
Dans l'espace médiatique, un conflit de générations
Le sort du Moskva est rapidement devenu l'enjeu d'un conflit bien éloigné de la mer Noire et des opérations navales. Depuis plusieurs heures, il incarne l'affrontement des récits.
D'un côté, la Russie minimise l'événement comme elle essaie d'atténuer l'impression de son isolement international, de minimiser le nombre de ses soldats tués en Ukraine et de récuser les accusations de crime de guerre.
La communication de guerre de Moscou est rodée par l'expérience: elle avait déjà donné sa mesure dès le début de l'opération russe en Syrie. Elle est également appuyée sur la maîtrise d'«usines à trolls» omniprésents sur les réseaux sociaux, et relayée par des médias traditionnels de plus en plus contrôlés par le gouvernement au nom de l'union sacrée, de l'effort de guerre et de la fidélité à la patrie.
Toutefois, dans le cas de la perte du Moskva, la communication officielle russe s'illustre par son archaïsme: puisant sa matrice dans la propagande officielle issue de l'URSS, retrempée au culte de la personnalité télévisé du président russe, elle répète des thèmes si classiques qu'ils paraissent rabâchés et peinent à mobiliser.

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