L’agression russe en Ukraine doit échouer
mercredi 13/avril/2022 - 04:08
« Aujourd’hui, c’est l’Occident qui doit consolider un statu quo territorial en Europe. L’agression russe en Ukraine doit donc échouer. » Le point de vue de Jean-Marie Guéhenno, ancien secrétaire général adjoint des Nations unies, membre de l’Association pour le soutien des principes de la démocratie humaniste.
« Les puissances nucléaires doivent éviter toute confrontation où l’adversaire n’aurait d’autre choix qu’une défaite humiliante ou une guerre nucléaire », aurait dit John Kennedy après la crise de Cuba en 1962. Cette pensée hante les dirigeants occidentaux, qui aident l’Ukraine tout en cherchant une porte de sortie pour Poutine.
Mais la guerre d’agression de la Russie les place devant un dilemme que Kennedy n’avait pas envisagé : ou bien le soutien militaire apporté à l’Ukraine empêchera la Russie de faire des gains territoriaux, et il est difficile de voir comment Poutine, après avoir mobilisé 200 000 hommes et subi des pertes significatives, ne verrait pas une telle situation comme une défaite humiliante ; ou bien, faute d’un soutien occidental suffisant, l’Ukraine sera obligé de faire à la Russie de nouvelles concessions territoriales. Dans la première hypothèse, le risque d’escalade – pas nécessairement nucléaire – existe ; dans la seconde, l’agression aura payé, et la Russie est encouragée à recommencer, mais mieux préparée.
Pas de place pour une paix durable entre la Russie et l’Ukraine
Poutine a énoncé avec clarté ses buts de guerre. La diabolisation de l’adversaire en nazi – qui crée le contexte politique et psychologique pour les atrocités commises par l’armée russe — ne laisse pas de place pour une paix durable entre la Russie et l’Ukraine, qui doit disparaître comme État indépendant. Et l’ordre européen que veut Poutine – et qu’il cherche à mettre en place par un soutien actif aux extrêmes droites européennes – porte en germe la destruction de l’Otan comme celle de l’Union européenne.
Vers l’incapacité de la Russie à diversifier son économie
Nous n’avons pas à proclamer, face à ce programme de changement de régime en Europe, notre propre programme de changement de régime à Moscou. Celui-là viendra de lui-même, provoqué par l’incapacité de la Russie à diversifier son économie, par l’exode des cerveaux qui rend plus difficile la diversification économique, par la décarbonisation de l’économie mondiale qui lui enlèvera son atout de grande puissance énergétique, et enfin par le déclin démographique. Ces différents facteurs, amplifiés par les sanctions occidentales, se conjuguent pour affaiblir structurellement la Russie. Mais nul ne peut dire quand ces tendances de fond déboucheront sur des changements politiques à Moscou.
Ces perspectives ne sont réjouissantes ni pour la Russie, ni pour l’Europe, qui serait plus forte face à la Chine si elle avait comme voisine une Russie démocratique et prospère. Mais elles doivent nous ouvrir les yeux sur la conduite à tenir aujourd’hui face à Poutine. Nous entrons dans une période dangereuse, où le leadership d’une Russie déclinante, conscient que le temps joue contre lui, peut être tenté de forcer l’histoire. Dans ces conditions, laisser croire à la Russie qu’elle pourrait tirer bénéfice de l’usage de la force est le choix le plus risqué.