Syrie : « Jusqu’au bout de l’oubli
À ce titre, la Syrie fait partie, comme le Yémen ou la région du Tigré au nord de l’Éthiopie, de ces lointains conflits tombés aux oubliettes de l’actualité. Avec le Covid et maintenant les combats en Ukraine, un profond silence s’est installé autour de ce pays ravagé depuis 2011 par une interminable guerre : « On a parfois l’impression que si la Syrie disparaissait de la carte, personne ne s’en apercevrait. Les mêmes avions russes qui écrasaient Alep-Est sous des tapis de bombes suscitèrent-ils autant d’émoi que ceux qui frappent Kiev et Marioupol ? s’interrogent certains Syriens. Nous prions pour le peuple Ukrainien, nous savons ce qu’il vit : les bombardements, les privations, l’exode… nous l’endurons depuis onze ans. »
« Nos enfants n’ont plus de rêve »
Avec près de 500 000 morts, 7 millions de déplacés internes, 6 millions de réfugiés, 90 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté et des métropoles entières réduites à néant, le bilan humain et matériel de la guerre en Syrie est l’un des pires depuis la Seconde Guerre mondiale. La Syrie est sous sanction des États-Unis (« César Act ») et de l’Union européenne, dont les conséquences sur les conditions de vie de la population sont terribles. Le pays est pillé de l’intérieur par les milices armées et est dépourvu de liberté d’expression. Les Syriens survivent désormais au rythme du marché noir et des pénuries sous fond de crise humanitaire : « Cela fait des années que nous vivons sans électricité ni chauffage. Nous avons à peine de quoi nous nourrir. Nos enfants n’ont plus de rêve. Nous vivons comme des chiens ! » s’indigne une habitante de Damas à bout de nerfs.
… qu’une aube renaisse
Pour son malheur, la Syrie se trouve au cœur d’un nœud politique inédit dans l’histoire des guerres modernes : les alliés du régime, l’Iran et la Russie, n’ont ni les moyens financiers, ni l’ambition de reconstruire ce pays – estimé par les Nations unies à 400 milliards de dollars – et le camp occidental ne souhaite pas investir un euro dans la reconstruction tant que Bachar el Assad est au pouvoir. Hormis quelques chantiers çà et là, les champs de ruine restent en l’état. « Nous n’y faisons même plus attention », avoue un habitant de Homs.
Pourtant, la résilience et le sursaut de vie des Syriens forcent l’admiration. En raison du service militaire, qui continue de vider la société civile de ses hommes jeunes, les femmes jouent un rôle accru au sein de la société syrienne. À travers ses œuvres de charité, ses centres de santé, ses associations et ses écoles, la minorité chrétienne joue un rôle actif pour retisser du lien et soulager les souffrances de la population : « Paradoxalement, malgré l’hémorragie de notre communauté – les deux tiers ont pris la route de l’exil depuis le début du conflit – nous croyons que les chrétiens ont un rôle moteur à jouer pour le devenir de la Syrie, en particulier dans le dur et long travail de réconciliation », explique Mgr Joseph Tobji, l’évêque maronite d’Alep.
Pour ma part, je continuerai de me rendre en Syrie afin d’accompagner et soutenir ces communautés. Parce que c’est la mission de l’Œuvre d’Orient depuis sa création en 1856 : être présent dans la nuit aux côtés des peuples d’Orient, en dépit de l’oubli, jusqu’à ce qu’une aube renaisse. »