La Syrie : matrice de la stratégie Russe en Ukraine ?
mercredi 23/mars/2022 - 08:00
Lancées le 30 septembre 2015, les actions militaires russes sur le territoire syrien s’inscrivent dans le cadre d’une demande formelle de Bachar al-Assad « de recevoir une assistance militaire dans la lutte qu’il mène contre l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) et d’autres groupes terroristes opérant en Syrie ». L'occasion pour la Russie de valider l'emploi de matériels et d'entraîner ses militaires, autant de retours d'expérience aujourd'hui observables en Syrie.
La Syrie, préparation russe à l'Ukraine
Le conflit en Syrie a été le cadre d’une coopération bilatérale entre les forces russes et syriennes, mais surtout, le terrain d’expérimentation du matériel d’armement russe. Plusieurs années après, le 24 février 2022, la Russie lance son offensive sur le territoire ukrainien et semble non seulement user d’un modus opérandi similaire à celui développé en Syrie, mais elle déploie également du matériel militaire testé et entraîné lors de ses actions militaires sur ce territoire.
Médecin humanitaire français ayant observé le conflit syrien pendant près de 10 ans, Raphaël Pitti, lors de son intervention sur le plateau de C à vous le 8 mars dernier affirme que « Nous n’avons jamais tiré les leçons de ce qui s’est passé en Syrie. » Selon lui, « Il y a une stratégie Russe qui a très bien fonctionné en Tchétchénie, qui a très bien fonctionné en Syrie et qui fonctionne en Ukraine ». Il confiera à l’AFP son analyse de la stratégie russe, consistant à encercler puis bombarder une ville importante (Kiev ou Alep) de manière intensive tous les jours, puis d’attendre que les gens capitulent par la faim, le froid, l'absence d'eau potable. Depuis le début de l'invasion russe, plus de 2,8 millions de personnes ont déjà fui l'Ukraine. Assad et Poutine, avaient également fait ce choix de laisser sortir la population. Le 9 mars dernier, à Marioupol, un hôpital pédiatrique a été dévasté par une bombe. Ici encore, cela fait échos à des tactiques militaires utilisées en Syrie avec la destruction de nombreux hôpitaux. On peut également noter que la Russie a établi des listes de 40 000 combattants de l’armée syrienne et de milices alliées, prêts à être déployés en Ukraine, a affirmé l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). Enfin selon un rapport du Syrian Network for Human Rights, l’implication de la Russie dans le conflit syrien a largement dépassé le cadre de la coopération bilatérale, enfreignant ainsi les résolutions 2139 et 2254 du conseil de sécurité ainsi que le droit international des droits de l’Homme, en s’attaquant à des populations civiles non armées. La Russie aurait ainsi tué 2549 civils dont 647 enfants et 374 femmes entre 2015 et 2016 selon ce même rapport. A titre de comparaison, Daech, serait responsable de la mort de 5043 civils entre 2011… et 2022, toujours selon la SNHR. En Ukraine, les populations civiles sont également celles visées par les bombardements de l’armée Russe.
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Pour ce qui est du domaine militaire, le secteur aérien apparaît comme étant celui ou les russes se sont le plus imposés lors de ce conflit en Syrie. En effet, plus des trois quarts des pilotes et équipages des forces aériennes russes ont survolé la Syrie (Ceci inclus des pilotes d’appareils de combat, d’avions de transport et d’aviation stratégique). Depuis le début des opérations Russes en Syrie et jusqu’en 2016, des appareils russes effectuaient jusqu’à 100 sorties par jour, soit une moyenne de 3 à 4 sorties par appareil. Un maximum de 139 sorties aurait été atteint le 20 novembre 2015 selon France 24.
Viser les civils, un "écart" récurrent
Selon le médecin humanitaire français Raphaël Pitti : « Nous n’avons jamais tiré les leçons de ce qui s’est passé en Syrie (…) Il y a une stratégie Russe qui a très bien fonctionné en Tchétchénie, qui a très bien fonctionné en Syrie et qui fonctionne en Ukraine ». « On a vu comment les Russes ont conduit la capitulation d'Alep. Ils l'ont fait en trois temps : encercler, ensuite bombarder la ville de manière intensive tous les jours (...) puis attendre que les gens capitulent par la faim, le froid, l'absence d'eau potable". Depuis le début de l'invasion russe, plus de 2,8 millions de personnes ont déjà fui l'Ukraine : « C'est exactement ce qu'ont fait Assad et Poutine, laisser sortir la population ». Le 9 mars dernier, à Marioupol, un hôpital pédiatrique a été dévasté par une bombe. Ici encore, cela fait échos à des tactiques militaires utilisées en Syrie avec la destruction de nombreux hôpitaux. D'après des auditions du conseil de sécurité de l'ONU, la Russie a notamment ciblé 46 établissements de santé dans l'attaque de Edleb malgré le partage de l'emplacement de ces installations par les ONG, à tel point que ces dernières se sont interrogées sur la pertinence du partage des coordonnées des lieux : "il est important de savoir si les informations fournies sont effectivement utilisées pour protéger les civils, ou au contraire pour les cibler."
On note la mise en œuvre d’un certain nombre d’appareils de dernière génération, tels le chasseur de 5ème génération Su-57 (Felon). Malgré les retards subis en cours de développement, ce chasseur a été déployé en Syrie début 2018, pour quelques journées d’essai en conditions de combat. Le processus a cependant connu des retards dans son développement et sa mise en service officielle ne s’effectuera que vers 2025. Pour le moment, aucune source sûre ne permet de prouver avec certitude la présence de cet appareil dans l’espace aérien ukrainien. Cependant, une vidéo relayée sur twitter, puis dans la presse suscite le doute quant à sa présence dans le nord du pays, alors que la Turquie s'apprête à négocier des pourparlers de paix entre Moscou et Kiev.
En Syrie, la base aérienne d'Hmeimim a servi de point central pour l’arrivé de chasseurs tels que des Su-25 d’appuis au sol, des Su-30 et SU34. Ces trois appareils ont été identifiés avec certitude en action dans les combats sur le territoire ukrainien, avec la perte confirmée d'au moins 7 Su-25, 3 Su-30 et 4 Su-34, le chiffre réel étant probablement supérieur à ce qui est disponible par les images partagées sur les médias sociaux. La perte d’un Su-24 en Syrie, lequel a été abattu par la Turquie en 2015, conduira la Russie à y déployer les Su-35, des chasseurs de supériorité aérienne qui est également visible dans des images officielles du Ministère de la Défense russe concernant l'Ukraine. On observe également l'utilisation massive des hélicoptères, dont le Kamov Ka-52 reconnaissables à leur double rotor ou le Mi-28 d'attaque au sol. Les Ka-52 ont notamment été achetés par l’Égypte suite à l’acquisition des deux BPC « Mistral » destinés à l’origine à la Russie. Ici encore, on dénombre de nombreuses pertes, avec au total au moins 34 hélicoptères détruits côté russe, dont six Ka-52 et un Mi-28.
Ces nombreuses similitudes dans le modus opérandi Russe en Syrie et aujourd’hui, en Ukraine, semblent démontrer que la Syrie a été le terrain d’entrainement voire de préparation à cette guerre. La Russie est rentrée de Syrie avec un matériel validé, des soldats entraînés et un allié de taille capable de lui fournir des hommes (la Russie a établi des listes de 40 000 combattants de l’armée syrienne et de milices alliées, prêts à être déployés en Ukraine, a affirmé l’Observatoire syrien des droits de l’Homme). Force est de constater que l’occident n'a pas pris au sérieux la menace de l'invasion, et ne peut aujourd'hui que se limiter à soutenir l'Ukraine dans sa guérilla contre les forces russes (voir notre article sur le sujet), n'osant pas fournir de matériels lourds comme des Mig-29 réclamés par Kiev (voir notre article). Quoi qu'il en soit, la perte avérée de 1670 équipements militaires à ce jour par la Russie confirme la pertinence du choix (tardif) des alliés de l'Ukraine : l'armée russe connaît une attrition qui rend difficilement imaginable une guerre de plusieurs mois sur le sol ukrainien.