L’invasion de l’Ukraine pourrait précipiter le Soudan dans une crise alimentaire aiguë
mardi 22/mars/2022 - 05:29
À cause notamment de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, principaux exportateurs de blé, près d’un Soudanais sur deux pourrait souffrir de la faim cette année, prévient David Wright, de Save the Children, redoutant déscolarisation et mariages de mineurs.
D’ici la fin de l’année, assure à l’AFP le chef des opérations de cette ONG, «20 millions de personnes seront en insécurité alimentaire» sur 45 millions de Soudanais, dans l’un des pays les plus pauvres au monde.
D’une part, car «86 à 87% du blé du pays provient de Russie et d’Ukraine», et de l’autre, parce que l’invasion de l’Ukraine par Moscou a fait flamber les prix mondiaux au-delà des records de 2008 qui avaient déjà conduit à des émeutes de la faim, poursuit-il.
Déjà, selon l’ONU, un Soudanais sur trois a besoin d’aide humanitaire dans un pays où l’inflation frôle les 260%, la monnaie est en chute libre et le prix du pain a été multiplié par dix depuis le coup d’État militaire d’octobre qui a privé le pays de tout soutien politique ou économique international.
Du jour au lendemain, l’État a perdu 40% de ses recettes: la Banque mondiale a suspendu deux milliards de dollars d’aide et les États-Unis, 700 millions.
Pire encore, Washington, qui avait envoyé 300 000 tonnes de blé en 2021, n’acheminera pas les 400 000 tonnes promises en 2022.
«La rencontre de tous ces événements» va mener à «la sérieuse détérioration d’une situation qui n’était déjà pas bonne», souligne M. Wright.
Aide redirigée vers l’Ukraine
Des familles pourraient «recourir à de mauvaises stratégies pour faire face» à cette situation, comme la déscolarisation ou le travail des enfants ou le mariage d’adolescentes ou de fillettes.
Le Soudan est déjà l’un des plus mauvais élèves du monde arabe, avec des taux de scolarisation de 76% au primaire mais de seulement 28% au secondaire, selon l’Unicef.
Et, une fois de plus, ceux qui souffriront le plus sont les 3,3 millions de déplacés du pays, principalement au Darfour (ouest) ravagé depuis des décennies par des conflits, ainsi que le million de réfugiés venus du Soudan du Sud, de l’Éthiopie et de l’Érythrée, pays voisins eux aussi en proie à la violence, prévient M. Wright.
Il y a une semaine, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, avait mis en garde contre le risque d’»un ouragan de famines» dans de nombreux pays, citant notamment le Soudan.
Car avec la guerre en Ukraine, l’aide humanitaire pourrait être redirigée cette année vers l’Europe où l’ONU estime que 12 millions de personnes en Ukraine auront besoin de protection, de même que quatre millions d’autres ayant fui vers les pays voisins.
«Nous voyons une solidarité magnifique entre Européens», dit M. Wright, «mais notre inquiétude est qu’une grande partie de l’argent du système humanitaire mondial va être absorbé».
«Nous espérons que cela n’affectera pas nos budgets, mais cela risque d’arriver: nous pourrions avoir moins d’argent investi au Soudan ou ailleurs alors même que la situation s’aggrave avec l’inflation» en hausse partout dans le monde, ajoute-t-il.
«Si vous êtes un Soudanais qui vit dans un camp de déplacés à al-Geneina, au Darfour, cela aura un double impact pour vous», assure l’humanitaire.
«D’un côté, votre situation va empirer et, de l’autre, il y aura moins de ressources pour vous aider».