L’agression russe en Ukraine marque le retour de la guerre impériale
dimanche 20/mars/2022 - 03:49
L’attaque lancée par le président russe, Vladimir Poutine, sur son voisin occidental traduit la volonté de restaurer un empire, tsariste et soviétique, perdu. Ce conflit néoimpérial pourrait inspirer d’autres puissances émergentes.
Analyse. L’Etat fait la guerre et la guerre fait l’Etat. L’agression russe contre l’Ukraine démontre une fois de plus toute la pertinence de l’équation du sociologue américain Charles Tilly. La guerre bouleverse l’environnement, refaçonne les mentalités et transforme les nations. C’est le cas des belligérants russes et ukrainiens qui, depuis l’invasion de l’Ukraine, ont changé de paradigme, les premiers passant de la fédération à l’empire, et les seconds, de la nation à l’Etat. En parallèle, la catastrophe qui se joue actuellement au cœur de l’Europe confirme la réémergence d’un type de guerre que l’on croyait révolu : la guerre néo-impériale.
Ce retour de la guerre impérialiste, qui pointait déjà sous les labels de « guerre hybride », « guerre invisible » ou « guerre d’influence », traduit l’ambition de puissances émergentes comme la Russie, la Chine et la Turquie de favoriser une nouvelle architecture des relations internationales. Héritiers de vieux empires qui, à leur apogée, ont couvert une bonne partie du globe, Russes, Chinois et Turcs réactualisent la guerre pour le contrôle de territoires. Ils profitent du reflux de l’Occident dans le monde pour exprimer leurs ambitions néo-impériales, comme si ce modèle de domination pouvait se substituer à l’Etat-nation en crise.
La Russie n’a jamais été une démocratie
A l’image des voisins de Moscou, l’Ukraine joue depuis la chute de l’Union soviétique son avenir en tant qu’Etat dans l’affrontement de deux processus de souveraineté. D’une part, une « souveraineté » ukrainienne, dans le prolongement de la Russie, où la logique du régime soumis à Moscou l’emporte sur l’idée d’Etat. L’Ukraine serait alors au pire une colonie russe, au mieux un Etat satellite. D’autre part, une véritable souveraineté ukrainienne autonome de la Russie, qui vise à distinguer le destin du pays de celui de la Russie. La logique de l’Etat indépendant l’emportant sur le régime. C’est ce qui sépare l’Ukraine de l’ancien président russophile Viktor Ianoukovitch de l’Ukraine de l’actuel président, Volodymyr Zelensky. L’issue de la guerre en Ukraine dira lequel des deux modèles l’emportera : la souveraineté limitée ou la souveraineté réelle ?
A Moscou, la notion d’Etat est là aussi ambiguë ; car la Russie n’a pas d’expérience du statut d’Etat-nation au sens européen du terme. Elle ne connaît que celui d’empire qui, par définition, n’a pas de frontières mais seulement des fronts. Qui dit Etat-nation dit démocratisation du pouvoir. Or, la Russie n’a jamais été une démocratie. Cette perspective n’a existé qu’après des échecs militaires : la défaite russe lors de la guerre de Crimée en 1856 a ouvert la voie aux réformes du tsar Alexandre II (1818-1881) ; la défaite russe lors de la guerre contre le Japon, en 1905, a débouché sur la création de la Douma (la Chambre basse du Parlement russe) et la libéralisation du régime tsariste de Nicolas II (1868-1918) ; enfin, la défaite soviétique lors de la guerre froide en 1991 a accouché de la Russie de Boris Eltsine, tentée par la démocratisation sur fond de chaos général. En dehors de ces trois moments de la déroute, la démocratie n’a jamais pris racine dans cette Russie qui, quel que soit le régime, tsariste, soviétique ou fédéral, reste fidèle à son mémoriel impérial.