Norouz en Afghanistan et en Iran: garder le moral malgré tout
samedi 19/mars/2022 - 02:05
Pour les Afghans comme pour les Iraniens, cette année, les festivités de Norouz – le Nouvel An du calendrier persan – sont entachées de préoccupations financières, sociales et politiques. À quelques jours du début du printemps, la crise économique en Iran oblige en effet la population à la résilience, tandis que les Afghans ne savent toujours pas si les talibans autoriseront les célébrations.
« Les gens ont très envie de célébrer Norouz. […]. C’est une tradition de notre peuple, surtout à Hérat. Les gens font tous les préparatifs, le ménage de printemps, le Haft Sin [table garnie de sept éléments symboliques qui commencent par la lettre S, NDLR], le Haft Miwa [salade de fruits secs], on cuit le Samanak [pâte sucrée à base de graines germées], on fait bouillir les œufs pour les colorer… », énumère Mehrara*, 43 ans, qui vit à Hérat, dans l’ouest de l’Afghanistan. « Les bazars sont pleins de monde, les gens achètent des vêtements… », ajoute Omeira* à Kaboul, la capitale.
Pourtant, les Afghans ne savent pas vraiment s’ils pourront réellement célébrer Norouz comme chaque année, car ils attendent toujours l’annonce officielle des talibans. Selon la télévision afghane Sahar TV, un des porte-parole du gouvernement afghan a affirmé qu’il n’y a que « deux fêtes dans l'islam : l'Aïd al-Fitr et l'Aïd al-Adha. […] Il n'y a pas de célébration appelée Norouz dans l’islam. » Il aurait également précisé que le gouvernement ne voyait pas la nécessité de célébrer Norouz.
Lorsqu’ils étaient au pouvoir il y a plus de vingt ans, les talibans avaient déjà interdit les célébrations du Nouvel An. « Nous n’avons pas été autorisés à organiser la fête du feu ou à lancer des pétards, comme c’est la tradition lors du Tchaharchanbé-Souri », regrette Mehrara, faisant référence à la fête du feu, qui a normalement lieu la veille du dernier mercredi de l’année. Selon un article de DW le 15 mars, la ville de Mazar-i-Sharif, dans la province de Balkh, connue pour ces célébrations du Nouvel An et notamment pour son festival des fleurs rouges, a déjà tout préparé pour les festivités, mais attend encore l’autorisation du régime.
Pas de finances, pas le moral
Pour Mehrara et Omeira, les talibans ne pourront toutefois pas tout interdire. En effet, une partie des préparatifs se fait dans le huis clos des maisons. « On peut aussi aller faire nos achats sans qu’ils sachent pourquoi on achète. S’ils comprennent qu’on fait les courses pour Norouz, ils pourraient sûrement l’interdire », pense Mehrara.
Pour éviter de s’attirer des ennuis, les familles s’organisent différemment. « Normalement, après Norouz, on fête aussi le Sizdah bedar [13e jour du Nouvel An, NDLR] : on va se connecter à la nature. Généralement, on sort de la ville. Mais cette année, on n’ira pas très loin, au cas où ce serait interdit, pour ne pas risquer de nous retrouver face aux talibans », regrette la mère de famille.
« On a très envie de célébrer, mais peut-être qu’on en fait moins cette année, parce qu’économiquement on a pris un coup. Les femmes sont à la maison, donc le revenu est divisé par deux, on ne peut pas se permettre de faire comme avant. Nous, nous sommes cinq à la maison et seulement deux d’entre nous travaillent. Financièrement, c’est difficile », déplore quant à elle Omeira, 51 ans.
Cette année, l’ancienne journaliste de la télévision nationale afghane n’a pas vraiment le moral : « J’ai étudié pendant vingt ans, j’ai sept diplômes, mais je suis à la maison… ça m’a bouleversée psychologiquement et physiquement », reconnaît-elle.
En Iran : augmentation des prix et la résignationJe m'abonne
L’aspect financier, c’est aussi ce qui freine les Iraniens à quelques jours des célébrations. « Cette année est pire que l’année dernière et que l’année d’avant. Cela fait plus de quarante ans que la situation est de pire en pire », s’indigne Vali*, Téhéranaise de 41 ans. « Moi, je vis seule. J’ai un appartement à moi et je n’ai pas de famille à nourrir. Donc, j’arrive à m’en sortir. Mais je vois autour de moi des gens qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Le prix de certains produits a parfois été multiplié par quatre ou cinq. […] J’étais chez le boucher, il m’a dit qu’il avait mis ses viandes dans le frigo. Beaucoup ne peuvent plus acheter et la viande reste là », raconte-t-il.
Dans les rues de la capitale, l’heure est tout de même à la fête. Dans le quartier de Tajrish, au nord de Téhéran, les habitants improvisent des danses de rue avec Haji Firouz, un personnage du folklore iranien. Pour certains Iraniens, même si les prix ont augmenté, il faut faire avec et garder le moral. Ali, par exemple, a fait les courses pour Norouz. « J’ai acheté 10 kg de viande pour environ 70 euros, 10 kg de riz pour 34 euros et 2 kilos de noix pour le même prix. C’est cher, mais je n’ai pas le choix ! », dit-il, résigné. Le salaire moyen mensuel d’un Iranien est 270 euros.
L’ombre du coronavirus
Niloufar*, enseignante de français à Téhéran, constate une augmentation généralisée des prix qui permet néanmoins à certains de maintenir leur niveau de vie. « Avec l’inflation, le prix de mes cours particuliers a un peu augmenté, les prix dans l’immobilier aussi ont augmenté… Il y a certains métiers et certaines personnes qui s’en sortent en augmentant leurs prix, ils maintiennent ainsi leur pouvoir d’achat », analyse-t-elle. Elle observe également un retour à la production locale, dû à la chute du rial, la monnaie du pays. « Ceux qui ne cherchent pas de marques peuvent trouver des vêtements Made in Iran de plutôt bonne qualité à un prix raisonnable », explique-t-elle. Le coronavirus pèse aussi sur les esprits. Le masque reste obligatoire dans les rues et les familles semblent faire très attention. Niloufar a cependant l’impression que malgré la dégradation de l'économie, la situation est tout de même meilleure qu’il y a deux ans. « Peut-être qu’on est devenu tellement résilient qu’on ne ressent plus rien ? », s’interroge-t-elle.