Publié par CEMO Centre - Paris
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ENTRETIEN. Guerre en Ukraine : « Une très forte récession est à prévoir en Russie »

jeudi 10/mars/2022 - 03:50
La Reference
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Selon l’économiste Christophe Destais, les sanctions économiques prises par l’Occident, en réponse à l’offensive du Kremlin en Ukraine vont engendrer « une vraie désorganisation » de l’économie russe.
L’Union européenne et les États-Unis ont annoncé des représailles à l’encontre de la Russie depuis que Vladimir Poutine a décidé de passer à l’offensive en Ukraine. Gel des comptes bancaires des oligarques russes, action sur les systèmes bancaires, réduction des importations de gaz… Cela suffira-t-il à faire infléchir le maître du Kremlin, à la tête d’une des plus grandes puissances du monde ? Une question régulièrement posée ces derniers jours par nos lecteurs.
Pour répondre à cette question complexe, nous avons interrogé l’économiste Christophe Destais, directeur adjoint du Centres d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Ce dernier dresse un état des lieux de l’économie russe, alors que le pays est visé par de nombreuses sanctions, deux semaines après le déclenchement de la guerre en Ukraine.
L’impact sera très fort. L’accès des Russes à des devises est rendu beaucoup plus compliqué, sans être complètement inexistant dans la mesure où les Européens continuent malgré tout à leur acheter du gaz et du pétrole. Entrent aussi en compte des décisions unilatérales d’entreprises de ne plus travailler avec la Russie. Les Européens peuvent ne plus exporter, ne plus continuer à envoyer des pièces de rechange pour des véhicules, ou ne plus fournir de service de coopération auprès des Russes sur certaines franges de la production. Par exemple, si la maintenance des équipements allemands n’est plus assurée dans les usines russes, cela va engendrer une vraie désorganisation.
Quels enchaînements économiques cela va-t-il engendrer ?
Une très forte récession est à prévoir en Russie. Les Russes prendront des mesures pour atténuer cette récession, par exemple en augmentant les dépenses budgétaires, en créant de la monnaie, comme on l’a fait pendant la pandémie. En parallèle, il y aura une très forte inflation sur les biens importés. Les biens locaux, c’est moins sûr car tout va dépendre de la demande. Est-ce que le coût de la coupe de cheveux à Saint-Pétersbourg va augmenter ou baisser ? A priori, une récession fait baisser les prix. Si les gens sont moins riches, ils iront moins chez le coiffeur. En revanche, si le processus de création monétaire est mal contrôlé, l’inflation sera forte.


Le financement extérieur de la Russie est-il menacé ?
Oui, si les Occidentaux arrivent à se passer du pétrole et du gaz russe. Ces jours-ci, il est question de mettre en place un embargo. Pour les États-Unis, c’est plus simple, car ils ne sont pas du tout dépendants aux Russes.
Les impôts étant relativement faibles, une part très importante des revenus du gouvernement russe provient de la rente pétrolière. Pour l’instant, nous achetons plutôt moins de gaz et de pétrole, mais plus cher, donc les recettes ne diminuent pas. Mais si la Russie venait à être coupée de cette source de devises, elle sera très pénalisée.
L’Europe devra être prête à supporter les coûts d’un renoncement au gaz russe.
Cela peut-il compromettre le financement de l’effort de guerre ?
Je ne pense pas que l’économie russe soit dépendante de ses importations pour son effort de guerre. L’histoire a montré que dans des économies de guerre, on peut rediriger la production civile vers la production militaire. Le meilleur exemple est celui de l’Allemagne nazie, qui n’a commencé à se réarmer qu’au début des années 1930. Nous avons vu ce dont elle était capable trois ou quatre ans plus tard…
Les Russes ont beaucoup de ressources naturelles, et ils peuvent entrer dans une logique d’économie de guerre qui leur donnerait de quoi financer les équipements dont ils ont besoin. Et la Russie produit déjà elle-même la quasi-totalité de ses armes.
Est-ce que les appels à réduire notre dépendance au gaz russe sont réalistes ?
Sur le long terme, oui, mais encore faudra-t-il une volonté politique. Si la transition énergétique était à court terme favorable au gaz russe, qui produit moins de gaz à effet de serre que le charbon – charbon dont il faudra un jour se passer également – ce ne sera pas le cas à long terme. L’Europe devra être prête à supporter les coûts d’un renoncement au gaz russe. Ce que l’on peut imaginer à moyen terme est que l’effort d’économie d’énergie, relâché malgré l’enjeu climatique, soit relancé.
La meilleure énergie, c’est celle qu’on ne dépense pas ! Celle-là nous permet de ne dépendre de personne. L’Europe a beaucoup de mal à avoir des visions stratégiques et s’y tenir, sinon elle n’aurait jamais accepté la construction de Nordstream 2, qui ne faisait rien d’autre qu’accroître la dépendance à la Russie.

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