Derrière la Russie... des pays alliés et des pays ambigus
mercredi 09/mars/2022 - 05:20
Si l’Europe et les États-Unis font bloc derrière l’Ukraine, il n’en est pas de même pour le reste du monde. Plusieurs alliés de la Russie ont déjà affiché ouvertement leur soutien, comme la Syrie ou le Venezuela. D’autres, comme l’Afrique du Sud ou de la Chine, ne condamnent pas l’offensive russe. Tous ont de bonnes raisons d'agir ainsi.
Depuis le 24 février, date du début de l’invasion russe en Ukraine, la médiatisation des positions de l’Union européenne et des États-Unis ont donné le sentiment d’une condamnation unanime du monde envers le Kremlin. En réalité, ce dernier peut compter sur le soutien de plusieurs pays et sur la non-condamnation d’autres. Explications.
LA SYRIE, L'ALLIÉ INDÉFECTIBLE
Outre la Biélorussie, l’autre soutien indéfectible de Vladimir Poutine est sans conteste la Syrie. Et pour cause : Bachar al-Assad lui doit très largement son maintien. La survie du régime – en proie à une guerre civile depuis 2011 – a essentiellement dépendu de l’intervention russe, enclenchée le 30 septembre 2015, pour lutter contre Daech. Dans les faits, plus de 63 000 Russes ont été envoyés dans le pays, et ont participé à l’élimination des groupes rebelles au régime. À l’heure actuelle, les troupes sont d’ailleurs toujours présentes sur le territoire syrien. Cette intervention a permis à Vladimir Poutine de devenir maître du jeu dans ce dossier et de se placer comme garant de la stabilité au Moyen-Orient.
En conséquence, le soutien de la Syrie semble inconditionnel, le président syrien allant même jusqu’à qualifier l’offensive russe en Ukraine de « correction de l’Histoire ». « Faire face à l’élargissement de l’Otan est un droit pour la Russie », a ajouté Bachar al-Assad, qui perçoit l’organisation transatlantique comme une « menace mondiale ». Si on remonte plus loin dans le temps, l’URSS avait déjà tissé des liens étroits avec le père de Bachar al-Assad, Hafez el-Assad, après sa prise de pouvoir en novembre 1970. En pleine Guerre froide, la Syrie a reçu de nombreuses armes soviétiques, ce qui a contribué à faire de son armée l’une des mieux équipées dans la région. Une alliance à toute épreuve, symbolisée par la signature en 1980 d’un traité d'amitié et de coopération pour 20 ans signé à Moscou par al-Assad père et Brejnev.
LE VENEZUELA, CONTRE L'IMPÉRIALISME AMÉRICAIN
En Amérique latine, plusieurs États ont marqué leur soutien à la Russie, par tradition non-alignée et anti-impérialisme américain. Même si le Venezuela s'est abstenu lors d'un vote au Conseil des droits de l'Homme en faveur d'une enquête internationale sur l'invasion de l'Ukraine par la Russie, ce pays « est avec Poutine, il est avec la Russie », car il « est avec les causes courageuses et justes dans le monde », a précisé Nicolás Maduro. Lors d’un appel téléphonique mardi 1er mars à Vladimir Poutine, le président vénézuélien en a profité pour rappeler que son prédécesseur Hugo Chavez avait soutenu le Kremlin lors de la crise géorgienne en 2008. Et en septembre 2009, le Venezuela avait été l’un des rares pays à reconnaître l’indépendance de l’Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Ce à quoi Dimitri Medvedev avait répondu : « Merci Hugo, tu as fait une série de déclarations sérieuses et importantes. » Toujours sous la présidence Chavez, plusieurs contrats d'armement et de coopération dans le domaine de l'énergie, ont été signés entre les deux pays, renforçant leurs liens commerciaux.
Fragilisé en 2018 après sa réélection controversée, soumis aux tentatives de déboulonnage des Américains, Nicolás Maduro sait qu’il peut compter sur Vladimir Poutine. Celui-ci n’avait d’ailleurs pas hésité à taxer les soutiens de Juan Guaido (une cinquantaine de pays) de « fous » en 2019.
CUBA, L'AMI SÛR
Autre soutien de la première heure : Cuba, dont la coopération étroite n’a pas faibli depuis l’époque soviétique. Dans un communiqué officiel, le gouvernement estime que « la détermination des États-Unis à imposer l'expansion progressive de l'OTAN vers les frontières de la Fédération de Russie constitue une menace pour la sécurité nationale de ce pays ainsi que pour la paix régionale et internationale ». Le régime cubain s’est logiquement montré très critique du déploiement, début février, des 3 000 militaires américains en Ukraine. Le 19 février, lors d’une visite à La Havane du vice-Premier ministre russe, Iouri Borissov, le vice-Premier ministre cubain, Ricardo Cabrisas Ruiz, « a renouvelé la solidarité du peuple [cubain] face aux constantes campagnes de désinformation et de guerre de propagande des États-Unis », contre la Russie. Sur son compte Twitter, le ministre des Relations extérieures, Bruno Rodríguez Parrilla, s’est quant à lui fendu d’un tweet incendiaire : « Nous rejetons énergiquement l’hystérie propagandiste et médiatique déclenchée par le gouvernement des États-Unis contre la Russie et nous nous opposons fermement à l’expansion de l’Otan aux frontières de ce pays frère. »
Depuis la chute de l’URSS, les pays ont maintenu des liens extrêmement étroits : Poutine a rencontré Castro à Cuba dès son arrivée au pouvoir en 2000 et a demandé la levée de l’embargo. Cuba a de son côté soutenu son homologue russe dans le dossier géorgien. Leur rapport, bien qu’asymétrique (la Russie reste le principal créancier de Cuba), est multifacettes. Le pan économique reste prépondérant ; en témoigne l’autorisation donnée à la Russie en 2008, de forer le pétrole offshore situé dans les eaux cubaines, et de permettre aux entreprises minières russes d'exploiter la mine de nickel à Cuba. Mais, cette même année, la Russie s’est révélée d'une aide précieuse quand Cuba a affronté trois ouragans. Elle a envoyé quatre avions transportant de la nourriture, du matériel médical et des matériaux de construction.
La liste des pays dits « ambigus » est plus longue que celle des alliés avérés. Elle se compose d’États qui certes ne soutiennent pas officiellement Vladimir Poutine mais qui se gardent bien de condamner l’invasion.
LA POSITION MÉDIANE DE LA CHINE
C’est le cas du gouvernement chinois qui veut se poser en médiateur, sans s’opposer frontalement au Kremlin. Partenaire privilégié mais pas forcément allié automatique, le gouvernement chinois a d’abord déclaré que la Chine avait « toujours respecté la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays », même si elle « comprend » l’offensive russe, à cause de son histoire « compliquée » avec l’Ukraine. Elle préfère parler d’« opération militaire » plutôt que d’invasion et plaide pour une résolution du conflit « à travers la négociation ». La crise ukrainienne est aussi l’occasion pour elle d'asseoir sa position de grande rivale des États-Unis, de critiquer l’Otan et, selon certains experts militaires, de décupler sa pression sur Taïwan.
ISRAËL DANS L'EMBARRAS
Le numéro d’équilibriste d’Israël est plus difficile à tenir, entre son affinité avec les États-Unis, son amitié envers la Russie qu’il doit préserver pour continuer de frapper les alliés de l'Iran en Syrie, et sa proximité avec l’Ukraine. Israël a voté pour la condamnation de la Russie, à l'ONU, mercredi 2 mars. Embarrassé à juste titre, Naftali Bennett souhaite pourtant, comme la Chine, jouer le rôle d'intermédiaire. C’est pourquoi il s’est déplacé pour rencontrer Vladimir Poutine le 5 mars, un jour de shabbat, avant de téléphoner à Volodymyr Zelensky. Il s’est ensuite rendu à Berlin pour s’entretenir avec Olaf Scholz. Quasiment aucun détail n’a fuité sur ces entretiens. On sait en revanche qu’il tient à cœur à l’État hébreu – dont 15 % (sur 9,2 millions d’habitants) des citoyens sont issus de l’immigration de l’ex-URSS –, d’accueillir les réfugiés juifs. Plus de 2000 Ukrainiens de confession juive ont déjà atterri en Israël, et ce chiffre devrait monter à 100 000.
L'INDE DANS LA TRADITION NON-ALIGNÉE
Du côté de l’Inde, le gouvernement du Premier ministre Modi se veut non-aligné. Tout en préconisant une solution diplomatique, il a promis une aide humanitaire à l’Ukraine, sans pour autant condamner la Russie. Ce qui déterminera l’inflexion (ou non) de sa ligne ? Les intérêts de l’Inde. « Nous devons attendre de voir quel impact auront ces sanctions sur nos intérêts nationaux. C’est un point que nous devons étudier attentivement parce que toute sanction aura des conséquences sur notre relation (avec la Russie) », a affirmé le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Harsh Shringla, le 24 février. C’est pourquoi New Delhi s'est abstenue lors du vote du Conseil de sécurité de l'ONU. Au niveau militaire, l’Inde se fournit majoritairement en Russie. Mais elle ne veut pas non plus compromettre sa relation de confiance avec la France, afin de promouvoir la stabilité dans l’Indo-Pacifique.
L'AFRIQUE DU SUD… ET LES SOUVENIRS DE L'APARTHEID
« Prudence ». Le maître mot de l’Afrique du Sud. Elle aussi a dégainé la carte « abstention » à l’ONU. Le 28 février, jour de l’anniversaire des 30 ans de relations diplomatiques entre les deux pays, le ministère des Affaires étrangères russe s'est permis d'infliger une piqûre de rappel à son allié : « Notre interaction [avec l’Afrique du Sud] se distingue par les solides liens d'amitié et de coopération établis pendant la lutte contre l'apartheid, qui continuent de se développer aujourd'hui. » Petit couac néanmoins dans le gouvernement sud-africain : le ministère des Relations internationales a semble-t-il pris des libertés en appelant clairement à un retrait des troupes russes, initiative qui a vraisemblablement déclenché la colère du président Cyril Ramaphosa.
Les relations entre l’Afrique du Sud et la Russie se sont resserrées pendant l’Apartheid. Durant cette période, le Congrès national africain, auquel appartenait Nelson Mandela et qui est aujourd’hui le parti au pouvoir, était en guerre contre le régime ségrégationniste. Au moins 2 000 de ses militants se sont exilés en URSS, pour recevoir une formation militaire. Réputée loyal envers ses alliés, l’Afrique du Sud ne devrait a priori pas se retourner contre la Russie.
LA TURQUIE, PAS EN POSITION DE FORCE
Peut-on en dire autant pour Recep Tayyip Erdogan ? Le dirigeant turc, proche de Vladimir Poutine, a avancé ses pions ces derniers jours, dans le but de jouer l’entremetteur entre les parties, en proposant d’organiser des pourparlers. La Turquie a beau appartenir à l’Otan (depuis 1952), elle a beau condamner l’invasion russe, elle ne souhaite pas se joindre aux sanctions contre Moscou. Conscient de la fragilité économique de son pays, Erdogan veut assurer ses arrières. Or, 25 % de ses touristes étrangers estivaux sont… des Russes et des Ukrainiens. Enfin, la Turquie reste dépendante de l’approvisionnement en gaz russe (55 %) et en pétrole (12 %), même si les chiffres fluctuent en fonction des années. Avec la chute de la livre turque en 2021, le pays connaît une forte inflation (plus de 48 % en un an), ce qui la place dans une position inconfortable.