« La Russie a déjà perdu la guerre de l’image, et c’est une très mauvaise nouvelle »
Propagande sur les chaînes d’État russes, usage des réseaux sociaux par le
président ukrainien Volodymyr Zelensky… La guerre en Ukraine n’est pas
seulement un conflit armé, c’est une véritable
guerre de la communication. Le but ? Gagner la bataille de l’opinion publique.
Quel camp l’a gagnée pour l’instant ? Quelles sont les stratégies respectives ?
Éléments de réponse avec Arnaud Mercier, professeur en communication à
Paris-Panthéon-Assas, et auteur d’Armes de communication massive (éditions
CNRS).
Dans quelle mesure assiste-t-on à une guerre de communication ?
Comme lors de toutes les guerres, l’enjeu de l’image est
très important. Chaque belligérant essaye de maîtriser ce qui se diffuse de
façon à préserver ses intérêts tactiques sur le terrain et à mobiliser
l’opinion publique. Cela permet d’entretenir l’esprit de défense, c’est-à-dire
le soutien de l’effort de guerre au sein de la population. Mais bien sûr, les
enjeux de cette communication changent si on est l’agresseur ou l’agressé.
Justement, dans ses prises de parole,
Vladimir Poutine a adopté une position de chef de guerre froid et distant, au
contraire de Volodymyr Zelensky qui se montre sur le terrain, près de la
population et des soldats, qui refuse de se faire exfiltrer par les Occidentaux.
Qu’est-ce que cela dit de leur communication respective ?
Poutine est entravé dans sa communication. Pour des
raisons tactiques, il a caché à l’opinion publique nationale et internationale
ses réels objectifs. Il a laissé entendre qu’il allait intervenir dans le
Donbass, or il a attaqué au sud, par la Crimée, et au nord par le Belarus dans
le but de prendre Kiev le plus vite possible et décapiter le pouvoir. De plus,
il a euphémisé cette intervention en parlant « d’opération spéciale » avec des
frappes sur des sites militaires ukrainiens ciblés. Il n’y a donc pas de raison
de faire une communication de guerre puisque ce n’est pas officiellement la
guerre. En réalité, la propagande russe s’orchestre depuis des années, depuis
le soulèvement fomenté chez les Ukrainiens russophones du Donbass. Elle
explique aux Russes qu’il faudra bien intervenir un jour en Ukraine pour
arrêter un « génocide » là-bas. C’est une propagande de justification.
Et pour le président Zelensky ?
La position de Zelensky est plus « facile » que celle de
Poutine car le pays est la victime. L’Ukraine a une légitimité à défendre son
territoire car c’est un État souverain, protégé par le droit international. Le
président Zelensky a été élu en 2019 avec 72 % des voix au second tour, son
parti a la majorité au Parlement ukrainien. La propagande ukrainienne peut se
construire sur la figure du pays agressé et servir à entretenir l’esprit de
résistance. Dans ce contexte, il est facile d’héroïser le président lui-même :
il fait donc savoir qu’il a refusé de se faire exfiltrer par les armées
françaises ou américaines, il reste sur le terrain au milieu de ses soldats et
de la population, il interpelle les chefs d’État du monde entier pour obtenir
un soutien.
Comment le passé de comédien du président
Volodymyr Zelensky l’aide dans sa communication avec le peuple ukrainien ?
Il a un art certain de la mise en scène et de la
captation de l’attention. Il a d’ailleurs fait campagne avec une équipe qui
l’avait accompagné dans son passé d’acteur, et le nom de son parti créé ex
nihilo était celui de la série dans laquelle il incarnait le
président de l’Ukraine : Serviteur du peuple. En
même temps, à l’instar de ses compatriotes, il est habité par un véritable
réflexe patriotique. Le peuple ukrainien n’a pas envie de revivre sous la botte
des Russes, donc ils sont réceptifs au discours de celui qui leur promet d’être
le héros de la résistance.