Les stratégies du soufisme dans les pays arabes
Aboul
Fadl Isnawy, expert des études des pays du Maghreb nord
Les
rapprochements tissés par les voies du soufisme entre elles dans le monde arabe
depuis 2014, s’est reflété sur leur
capacité à jouer leur rôle politique, sociale et de développement. Mais en dépit de ce rapprochement, les stratégies
d’action de ces voies du soufisme ne sont pas uniformes dans tous les pays, du fait de leurs
divergences sur le plan organisationnel et de l’ampleur des défis à relever, dans chaque pays.
Et étant
donné la lourdeur du fardeau que certains politiciens dans les pays arabes,
font porter au soufisme qu’ils considèrent
comme un rempart contre la violence et l’extrémisme, il est désormais plus que nécessaire de se pencher sur les
causes de la défectuosité du soufisme dans ce
rôle afin de rectifier le tir et de s’inspirer des modèles ayant réussi dans
certaines pays sous d’autres cieux.
A la
lumière de ce qui précède, l’on pourra poser des questions dont les plus
importantes sont celles de savoir quelles sont les
limites d’action stratégique du soufisme dans les pays arabes ? Quels en sont les obstacles ? Quel est l’impact du
rapprochement entre les voies du soufisme dans l’exécution de cette stratégie ? Et comment
l’activer ? il incombe de signaler, pour répondre à ces questions, que les facteurs politiques,
sociaux et les transformations qu’ont connues
certaines sociétés arabes depuis la chute des Frères musulmans en Egypte en
2013, ont eu un impact positif
considérable sur les rôles des confréries du soufisme, notamment dans les pays du Maghreb. Le soutien des autorités
politiques dans ces pays au soufisme, a permis de réorienter l’action du soufisme pour faire face
à la violence et l’extrémisme par le biais de
la solidarité sociale et la lutte contre la pauvreté dans les zones rurales
marginalisées, et aussi par la gestion des
crises et des conséquences des catastrophes naturelles.
Pour
répondre aux questions précédentes, nous allons développer trois point
essentiels dont le premier traitera du niveau de
rapprochement entre les différentes confréries du soufisme dans les pays arabes, le deuxième parlera des stratégies
des confréries du soufisme depuis 2014 et
le troisième s’attèlera sur les obstacles à la mise en exécution de ces
stratégies et comment développer le rôle du
soufisme dans le monde arabe.
Primo :
Le rapprochement des confréries du soufisme dans les pays arabes.
Le
soufisme est répandu dans les pays de l’Afrique du nord tels que l’Egypte, le
Soudan, l’Algérie, la Tunisie, le Maroc,
la Libye, la Mauritanie, dans certains pays de l’Afrique d l’est comme la Somalie, et dans une certaine mesure, dans
quelques pays du Golfe arabique comme
les Emirats, l’Arabie saoudite, le Koweït, le Bahreïn, le Yémen, la Syrie et
l’Irak.
Malgré
l’éclatement - en près de 300 confréries- qu’a connu le soufisme ces derniers
temps, le rapprochement et l’enchevêtrement
entre elles sont en nette croissance depuis la montée en puissance des courants islamistes dans certains pays
arabes depuis 2011. Ces rapprochements se manifestent par l’élargissement de la sphère d’action
de ces confréries qui passent d’un niveau
local à un niveau régional et international dans le but de se défendre
conjointement contre les menaces qui pèsent sur
elles. Ainsi ‘’l’Union internationale du Soufisme’’ a été créée en France. Elle vise à établir des liens de coopération
entre les voies du soufisme au niveau
mondial. Le Conseil mondial des voies du soufisme a également été créé dans le
but de confédérer les différentes voies
soufies dans le monde arabe pour faire face aux courants religieux extrémistes.
Mais les
rapprochements ne se sont pas limités à la création des institutions mondiales
du soufisme. En effet, les Cheikhs
du soufisme se sont installé dans d’autres pays afin d’implanter leurs voies dans ces pays et en assurer le prolongement
par la création d’une branche de leurs voies respectives dans les pays où chacun s’est installé.
Parmi les voies qui ont réussi cette méthode,
l’on peut citer le tidjanisme au soudan, le Rafaisme en Egypte, le Rahmanisme
en Algérie, le Bourhanisme en
Tunisie, l’Alaouisme au Maroc, le Chazlisme en Syrie, le Ayssawisme en Libye, l’Alaouisme et le Ghazakisme au Yémen.
Ainsi,
sur la base de ce qui précède, l’on peut scinder les niveaux d’enchevêtrement
et de rapprochement entre les confréries
soufis, en deux niveaux : Le premier qui se rapporte à un mouvement dynamique interne, et le second qui se matérialise
dans un prolongement transfrontalier.
(*) Rapprochement entre les voies exerçant dans le
cadre d’une législation
Malgré
l’ancienneté de ce type de rapprochement qui date de plusieurs décennies en
Egypte et au Soudan et qui se manifeste
dans les diverses occasions de rassemblement spirituels comme les maouleds, célébrés dans tous les gouvernorats en
Egypte et dans toutes les régions du Soudan,
les transformations que le monde arabe a subies depuis 2011- la violence des Frères
musulmans et les menaces de Daech
depuis 2014 - ont modifié la nature de ce rapprochement. Les adeptes du soufisme qui, jusque-là ne
s’intéressaient qu’à la purification spirituelle
individuelle, se sont tournés vers les problèmes de la société et ont adopté
les politiques des régimes pour faire
face à la violence et à l’extrémisme. Et pour cela, ils ont utilisé les mêmes slogans qui expriment leur union et
leur force à l’instar des propos de Abdel Hady Qasby, le cheikh des Cheikhs des voies soufis, suite
aux attentats contre la mosquée Al Rawda
dans la péninsule du Sinaï en 2017 et dans lesquels il dit ‘’ Le terrorisme ne
vise pas uniquement les soufis mais tous
les Egyptiens’’. Il a à cette occasion, réuni les autres cheikhs du soufisme pour les inviter à adopter une position
unique afin de soutenir l’Etat égyptien dans sa lutte contre le terrorisme. Et au Soudan, les confréries
du soufisme se sont approchés pour prendre
des décisions d’une importance vitale pour elles comme la réunion avec le président
Omar el Bachir et l’accord sur sa
candidature pour un nouveau mandat en 2020, et la création de ‘’l’Union mondiale des jeunes soufis’’ en octobre
2018.
Toutefois,
en dépit de l’acceptation des voies du soufisme de se rapprocher entre elles,
la réussite de cette initiative dépend
de la position des autorités politiques sur les adeptes du soufisme et la volonté politique de les utiliser dans les
affaires populaires en mettant à leur disposition
des moyens financiers. En Egypte la capacité financière est remplacée par
l’affinité tribale et familiale. Au Maroc,
le soutien de l’Etat au soufisme dépend de tous les facteurs de motivation y relatifs. Au Soudan, l’affinité tribale et régionale,
est le facteur le plus marquant dans le
soutien du rapprochement entre les voies. Les saints et la recherche de leurs bénédictions lors des cérémonies de maouled, joue également
un rôle important dans le dépassement
du facteur tribal et régional face aux courants islamistes hostiles. C’est ce
qui a permis au soufisme soudanais de
s’implanter dans la société plus que n’importe courant religieux extrémiste.
(*)Rapprochements entre les confréries ayant les mêmes
origines.
Ce qui
est nouveau dans les relations soufis-soufis, c’est que, mû par l’Etat dans
lequel il se trouve, le soufisme depuis 2014 a
commencé à jouer un rôle parallèle à celui des institutions publiques en vue de renforcer les relations
internationales (la diplomatie spirituelle). Ce phénomène est visible dans les régions à forte
concentration soufi et influence la prise des décisions. Le rapprochement entre le Maroc- qui
concurrence l’Algérie dans ce domaine- et les pays de l’Afrique de l’ouest est l’illustration de ce
type de relation entre voies du soufisme en 2017 et 2018, contrairement à l’Egypte et le Soudan
malgré l’importance des relations entre ces deux pays.
Les
réseaux des relations entre les soufis sur le plan externe, se présentent sous
plusieurs formes en fonction de leurs
objectifs. Nous signalons, ici, qu’il existe des réseaux soufis transfrontaliers, que les pays n’ont pas jusque-là
exploités, et des réseaux auxquels des missions précises – que l’Etat ne saurait exécutées- ont
été assignées. Ces deux types de réseaux
peuvent être traités de la manière suivante :
Les
réseaux étendus :
La voie
essaye d’éduquer ces adeptes et ses partisans de par le monde, à l’instar de la Qadiriya. Ce type de rapprochement soufi-soufi est
antérieur au soufisme dirigé
(cas du Maroc et de l’Afrique de l’ouest. Ce type de relations entre soufis, se base sur la complémentarité des rôles des adeptes
d’une seule voie et la création
des avantages économiques et financiers pour la confrérie-mère. La Bourhaniya al Doussouqiya est l’une des plus importantes
voies qui font recours à ce
type de relation. Ses adeptes en Egypte, en Libye, en Algérie, au Maroc, au Yémen, en Tunisie, en Syrie, en Jordanie et au Soudan
sont partis s’installer en Europe
et ont eu d’autres adeptes notamment en Suède, en Norvège, au Danemark, en Allemagne, en Hollande, au Luxembourg, en
Suisse, en Italie, en Russie
mais aussi au Canada et aux États-Unis. Les disciples de cheikh Mohammad Bahaa El dine Naqchabandy en Egypte et en Syrie
ont aussi migré vers les pays de l’Asie centrale.
Ils ont pu exporter les mœurs et les croyances des leurs cheikhs respectifs vers des contrées
différentes avec des cultures et des traditions
différentes de celles des contrées où ils sont nés. Ainsi, ces voies sont passées de simples courants locaux et/ou régionaux, aux
mouvements sociaux et économiques
efficaces et transfrontaliers.
Les
réseaux restreints :
Ces
types de réseaux ont commencé à apparaitre dans le monde arabe après l’expansion des organisations extrémistes violentes, la
concurrence interarabe et la ruée
des puissances vers les régions riches et les grands marchés africains. Les voies qui sont dans ces types de réseaux, sont investies
de certaines missions précises
de la part des preneurs des décisions. Ce type de relations soufis-soufis est le plus important depuis 2014 parce qu’il se base sur
des rôles bien précis et des stratégies
bien étudiées. Les relations du soufisme marocain et le soufisme des pays de l’Afrique de l’ouest, est la plus marquante
illustration des réseaux soufis
transfrontaliers. Le soufisme marocain joue le rôle de l’Etat, dans l’harmonisation des relations entre le Maroc et l’Afrique
pour assurer la stabilité et la sécurité
nationale marocaine. Mais force est de constater que ce type de rapprochement entre soufis, est très limité dans le
renforcement des relations arabo-arabes
et arabo-africaines, peut-être à cause de la faible propagation du soufisme
dans certaines régions ou du manque d’intérêt des autorités politiques
Secundo
: les stratégies du soufisme.
Les
domaines de la stratégie d’action du soufisme se sont étendus depuis 2014 pour englober la défense de l’identité nationale, la sécurité
nationale contre les organisations
terroristes, en plus des aspects concernant la gestion des crises internes dans certains pays, le soutien des relations stratégiques
entre les pays.
(*)Les stratégies de défense et de protection de la sécurité
nationale.
Depuis
la période de la colonisation, le soufisme a joué un rôle prépondérant dans la défense de la sécurité nationale. Les sièges des
confréries et les zawiyas du soufisme étaient des refuges des combattants et des résistants arabes en
cette période. La confrerie du Sanoussisme
en Libye avait porté les armes en 1912 face à l’occupation européenne tout comme la Qadiriya au Soudan et la
Salihiyya en Somalie sous la houlette
du Cheikh Mohammad Abdallah Hussein. Avec l’apparition de Daech en 2014, ce rôle s’est peaufiné davantage. En Egypte, les
soufis en collaboration avec les
tribus Sinawi ont porté main forte aux forces de sécurité et à l’armée égyptiennes dans leur lutte contre le terrorisme. Au
Maroc, le soufisme joue aussi un
rôle dans la lutte antiterroriste et l’application de la stratégie marocaine pour contrer l’expansion djihadiste. En Algérie,
le soufisme véhicule un
discours religieux modéré et au Soudan, il affronte les organisations extrémistes.
Les
branches répandues du soufisme et le nombre de leurs adeptes dans le monde arabe ainsi que la solidité de leur base sociale,
permettent au soufisme de jouer
ce rôle. Contrairement aux organisations extrémistes, les liens qu’entretient le soufisme avec les grandes familles et
les grandes tribus, constituent un facteur déterminant
dans ses relations avec les institutions de l’Etat. En outre la satisfaction
des autorités publiques de la présence du soufisme dans la société, pourrait permettre à ce courant de jouer
un rôle non officiel de maintien
de l’ordre public notamment dans les zones frontalières et les zones à composition confessionnelle variée.
(*) La stratégie sociale et la prise en compte de la
dimension de la solidarité.
Malgré
l’enracinement du rôle social des voies du soufisme, le niveau d’application de ces stratégies diffèrent d’un pays à un
autre et d’une voie à une autre,
pour diverses raisons dont : La capacité financière de la voie, les limites de son expansion territoriale dans le pays, le niveau de
centralisation de son action
et son mode d’organisation. Bien que la stratégie sociale du soufisme englobe un ensemble de rôles variés, la dimension de la
solidarité sociale est la plus
forte et la plus évidente car la géographie sociale des voies soufis et leur formation tribale et familiale, leur permettent
d’accepter des subventions et des dons
pour les redistribuer aux pauvres et aux nécessiteux. La pluralité des sièges sociaux des voies du soufisme font office des ambulances
toujours prêtes à accueillir des réfugiés et des
voyageurs. L’exemple du Soudan est le plus significatif à cet effet.
L’augmentation
du nombre des adeptes du soufisme arabe chez les artisans, les marginalisés dans les villes et dans les campagnes, a
contraint à jouer un rôle social
de solidarité comme le fournissement des soins sociaux, la création des orphelinats, des fonds de la zakat, des internats pour
les malades et les expatriés dans le
but de rapprocher les adeptes des différentes voies du soufisme, des autres habitants sympathisants ou à la chercher du
travail.
En dépit
de l’importance de la stratégie sociale à l’heure actuelle- notamment après la flambée des prix dans bon nombre des pays arabes
et l’augmentation du nombre des familles nécessiteuses
depuis 2014-, cette stratégie reste inexistante
dans la plupart des pays arabes. Cela peut être dû au manque de collaboration entre les voies du soufisme et les
institutions de la société civile qui jouent
le même rôle avec des moyens financiers plus importants et travaillant sur des listes précis des factions marginalisées et
pauvres nécessitant une prise en
charge.
Dans ce
domaine de stratégie sociale, le Soudan et la Maroc sont les meilleurs car ils sont inclus dans leurs stratégies, l’organisation
des mariages collectifs dans les
sociétés rurales pauvres. La différence entre la stratégie soudanaise et celle marocaine réside dans le fait que la première est
locale, ne dépassant pas les frontières
de l’Etat – à l’exception de la Tijaniya et de la Qadiriya- et la deuxième va au-delà des frontières marocaines et
s’infiltre à l’intérieur de l’Afrique
depuis 2016. Mais en Égypte et dans les pays du Golfe, ce type de solidarité est en nette régression malgré l’augmentation
du taux de pauvreté en Egypte
et la diversité des institutions civiles ; et l’augmentation des dons offerts par les waqfs et les mosquées et certaines organisations
de la société civile.
(*) La stratégie du développement et le soutien des
institutions étatiques.
La
stratégie de développement économique que veulent appliquer les voies du soufisme, reste limitée et inexistant sur le plan interne
dans plusieurs pays arabes. Même si cette stratégie
ne concerne que les voies transfrontalières, son impact reste tout de même limité dans le soutien de
l’Etat à trouver des solutions
aux problèmes économiques. Elle se limite essentiellement au développement du secteur financier de la confrérie.
Ainsi,
l’on peut affirmer qu’il n’existe pas d’économie de développement soufi à part entière et qui a de l’influence dans un des pays
arabes. Les régions habitées par les
cheikhs soufis, sont les plus impactées par l’économie soufie qui, depuis 2018, occupe une place limitée dans l’économie nationale
malgré un capital des milliards
dans certains pays comme le Soudan. Force est de constater que la stratégie de développement économique prônée par les
confréries soufies, n’inclue pas les initiatives
nationales visant à pourvoir un capital mais se limite aux aides et aux dons. C’est la raison pour laquelle,
elles échouent à créer une complémentarité
avec les institutions économiques.
Même si
la stratégie de développement prônée par les confréries soufies arabes, reste faible quant à la réalisation d’une
autonomie financière, elle a tout de même réussi
à jouer un autre rôle dans le développement notamment éducatif en aidant l’Etat dans l’éducation de certaines
zones rurales très pauvres et marginalisées.
Les confréries ont créé des établissements scolaires comme au Soudan où 15 instituts d’apprentissage du Coran et
d’enseignements des sciences, ont été
créés par ka confrérie Samaniya. Au Maroc et en Algérie, les confréries soufies jouent un rôle éducatif.
A côté
de ce rôle éducatif, les confréries ont un autre rôle que certains pays comme l’Egypte, essayent de généraliser. Ce rôle qui
consiste à construire l’homme
est très exploité dans le soufisme soudanais qui combat la drogue et l’alcool et invite les gens à fréquenter les mosquées où
des leçons de religion sont
diffusées. La confrérie du cheikh Abdel Rahim Al Burae, est l’une des confréries qui ont exercé ce type d’action par le biais
des conférences et des campagnes
de sensibilisation contre l’addiction aux drogues.
(*) La stratégie politique et la tendance à créer des
partis politique.
Les confréries
soufies arabes sont en retard dans l’action politique par rapport aux autres confréries, sénégalaises, par exemple. Ce
n’est qu’en 2012, un an après le
début des révolutions arabes que les partis politiques soufis ont commencé à voir le jour, notamment en Egypte où les
partis ‘’Libération égyptienne’’, ‘’la Renaissance de
l’Egypte’’ et ‘’la victoire soufie’’ ont été créés. Les confréries égyptiennes ont exercé l’action politique
et ont soutenu la candidature du président Abdel
Fattah al Sissi et ont même formé une coalition lors des législatives de 2012. Ce modèle d’action
politique des confréries n’existe
nulle part dans les autres pays arabes. En Algérie, beaucoup de personnalités soufies ont rejoint des partis politiques
sans toutefois fonder de parti
politique. Au soudan, la stratégie politique se limite à la simple participation aux élections et au soutien du président El
Bachir pour sa candidature de 2020.
Même si les
confréries soufies ont échoué à former des partis politiques, elles ont su tout
de même entretenir de meilleures relations jamais observées avec le régime. En
Egypte, on trouve beaucoup des cheikhs soufis à la tête des institutions étatiques.
On peut citer, Al Asyed Mahmoud Cherif, Sous-secrétaire du parlement égyptien,
Abdel Hady Al Qassy, président de la ‘’Coalition de soutien à l’Egypte’’ qui
soutient inconditionnellement le régime au parlement. En Algérie, les confréries
ont aussi créé des alliances fructueuses avec le pouvoir.
Au
Maroc, le régime royal utilise les confréries pour faire face à l’expansion du
djhadisme dans le Maghreb et la région sahélo-saharienne qui constitue la porte
d’entrée de la sécurité nationale du Maroc.
(*) La
stratégie de la gestion des crises et des catastrophes naturelles
Le
Soudan et le Maroc se sont distingués dans cette stratégie. Le soufisme égyptien
quant à lui, n’en fait usage que dans la résolution des conflits locaux. Cette stratégie
consiste à gérer et à résoudre les conflits entre les tribus dans les zones
rurales.
L’Egypte
et le Soudan sont les pays où la gestion des conflits est le plus visible par
rapport aux pays du Maghreb. En Haute-Egypte, les cheikhs soufis jouent un rôle
très important dans la résolution des conflits entre les tribus, grâce à la
place centrale qu’occupe le soufisme dans ces sociétés. Au Soudan, les confréries
règlent les différends par le biais des commissions de réconciliation composées
des arbitres d’une très haute sagesse. Les différends les plus récurrents concernent
l’irrigation, l’agriculture, l’élevage, l’héritage et l’état civil.
En plus
de la gestion et de la résolution des conflits, les confréries soufies donnent également
un coup de main aux gouvernements dans la gestion des catastrophes naturelles
comme les inondations, les crues et le soutien des sinistrés agricoles. Cette stratégie
est inexistante dans le soufisme égyptien à cause de la faiblesse de ses moyens
financiers, mais est très présente au soudan, au Maroc et en Algérie où la
partie sud est souvent exposée aux inondations et aux crues chaque année. Il
importe de signaler que les confréries ne construisent pas d’habitations aux
sinistrés mais leur pourvoient un logement dans leurs sièges et les zawiyas.
Sur la
base de ce qui précède, l’on pourra dire que la réussite des confréries dans la
gestion des conflits et des catastrophes naturelles, a permis de véhiculer la
coexistence pacifique entre les différentes composantes de la société et a
contribué à la stabilité et la tolérance entre les différentes religions dans
ces pays. En Egypte, les adeptes du soufisme sont très présents dans les célébrations
religieuses des coptes à l’instar de la fête de la nativité à la cathédrale
d’Abbassia, dans le but de répandre l’esprit et la culture de la paix sociale
entre les musulmans et les coptes. Il en est de même au Soudan et au Maroc.
(*) Le
soutien des relations stratégiques entre les pays.
Grace à
leur prolongement géographique et leur capacité à passer les frontières entre
les pays, les confréries soufies ont contribué au renforcement des relations stratégiques
entre les pays voisins. L’exemple du Tijanisme et de l’Alouisme qui ont joué un
grand rôle dans le renforcement des relations entre le Maroc et l’Algérie sur
la crise du Sahara. Toutefois, la confrérie Alouiste a bifurqué et ne joue plus
le rôle de rapprochement mais de confrontation entre la branche marocaine
dirigé par le cheikh Said Yassine et la branche algérienne sous la houlette de
Dr. Khaled Ibn Youness.
Les
instances internationales soufies comme l’Union mondiale des confréries
soufies, contribue également à renforcer les relations entre les pays. En dépit
de l’importance de cette stratégie dans le rapprochement entre l’Egypte et les
pays africains, elle n’a pas été mise à contribution jusqu’à l’heure actuelle.
Tertio :
les défis auxquels font face les stratégies d’action soufie et leurs limites
Les
tentatives de certaines confréries soufies pour généraliser les stratégies
d’action et transmettre celles qui ont le mieux réussi, aux autres confréries,
font face aux multiples défis et obstacles. On peut citer :
Premièrement :
Les défis internes
Ces
défis internes sont liés à structure organisationnelle des confréries comme le
rigorisme de la centralisation dans le travail et aussi aux problèmes dans
lesquels ces confréries sont impliquées. Le cas de l’Egypte est le plus
marquant dans ce domaine, et ci-après les défis à relever :
1. L’aspect
classique et traditionnel de la gestion du capital soufi, comme il a été
constaté que la plupart des confréries dans les pays arabes ne possèdent pas
d’institutions économiques leur permettant de financer les stratégies sus
évoquées. En dépit de la multiplicité des sources de revenus dont elles
disposent – dons, aides, financement interne et externe – les confréries gèrent
leurs fonds de manière stéréotypée et erronée.
2. Les désaccords
et les divergences entre les confréries soufies elles-mêmes d’une part, et
entre les confréries et les organisations de la société civile qui possèdent
les moyens de financement, d’autre part, le manque de coordination entre les
cheikhs soufis, l’absence d’une position commune face aux problèmes de société
dans la plupart des pays arabes, tout ceci entrave la voie aux sympathisants du
soufisme (citoyens ordinaires et donateurs)
3. La régression
du soutien financier de la part des gouvernements à l’exception du Maroc et de
l’Algérie et certains pays du Golfe comme les Emirats. Ce qui pose un véritable
problème financier pour les confréries. Le soutien du gouvernement égyptien aux
confréries n’est que moral et ne leur permet pas, par conséquent, de mettre en
œuvre leurs stratégies qui consistent aussi à combler le vide laissé par les
courants islamistes extrémistes. Les adeptes se contentent de se rassembler
pour les maouleds.
4. La concentration
de la plupart des confréries soufies. 90% des confréries soufies dont le nombre
atteint près de 300 se concentrent dans une ère géographique très restreinte ou
se trouvent dans des endroits à faible quantité de leurs adeptes. Certaines confréries
n’exercent qu’au niveau du village et d’autres au niveau régional où se trouvent
leurs sièges principales. En outre, bon nombre de confréries n’apparaissent que
lors des célébrations officielles comme les maouleds. Ce qui les met à l’écart
de la société en perpétuel changement depuis 2014. Les dissensions et les désaccords
nés des crises de leadership à la tête des confréries, réduisent considérablement
le nombre de leurs adeptes et finissent par étouffer et faire disparaitre bon
nombre des confréries.
5. La
mauvaise conception des limites de leur rôle politique, social et de développement
de la part de certaines confréries car la plupart des cheikhs soufis limitent
leurs rôles à l’action spirituelle, croyant que le soufisme n’a rien à voir avec
la politique et l’assistance sociale. Cette conception erronée aussi bien chez
les non soufis que chez les soufis, doit nécessairement changer par l’entremise
du soufisme international qui revivifie la culture sociale dans ces confréries.
6. Le
retard dans l’utilisation et l’exploitation des réseaux sociaux car malgré l’importance
de la communication entre les confréries soufies arabes, elles restent
influencées par la réalité et les crises du monde arabe, alors que les courants
islamistes extrémistes ont réussi à exploiter l’Internet et les réseaux sociaux
à leurs fins. Le recours aux réseaux sociaux pourrait développer et varier les
sources de financement des confréries et de créer des réseaux de rapprochement
non couteux entre elles.
7. Le
patriarcat et l’absence du rôle de la femme en dépit du fait que cette dernière
est dorénavant, incontournable sur la scène politique dans le monde arabe, en
occupant des postes de ministre et juge. L’absence de la femme dans les confréries,
prive ces dernières d’une partie de financement provenant des femmes
d’affaires. Ce qui peut se répercuter sur l’action sociale des confréries.
8. Les
attaques des organisations islamistes extrémistes. Depuis 2014, les confréries
soufies sont sous la menace des organisations terroristes qui ont détruit les
mausolées en Libye, en Irak, au Yémen et dans le Sinaï égyptien. Ces menaces
ont contraint certains cheikhs soufis de quitter leurs régions pour d’autres régions,
provoquant ainsi la dislocation de leurs adeptes.
Deuxièmement :
les défis externes et comment y faire face
1. La
pluralité des associations du soufisme sur le plan international. Cette pluralité
permettra aux différentes confréries de se rapprocher au niveau régional et mondial.
Il a été constaté récemment, la création de bon nombre d’associations dont les
objectifs sont divergents. On peut citer ‘’l’Union mondiale des confréries
soufies’’ sise à Paris et dirigée par Al Sayed Alaa El dine Madi Aboul Azaem,
le ‘’conseil international du soufisme’’, également sous la houlette d’une
personnalité égyptienne, le cheikh Mohammad Chahawy, ‘’l’Association soufie’’ en
Jordanie et au Soudan, et ‘’l’Association mondiale des jeunes soudanais.’’
2. La
faiblesse du soutien de la part des pays du golfe. Bien que ces pays dépensent
beaucoup d’argent dans la lutte contre le terrorisme, le soutien financier
qu’ils accordent aux confréries soufies en Afrique et dans les pays arabes, est
extrêmement dérisoire comparativement au soutien qu’ils accordent aux
fondations et organisations arabes. Les États-Unis et l’Europe ont également
diminué leurs aides aux confréries depuis la montée en puissance des courants
de l’islam politique dans certains pays arabes.
3. L’impact
des relations internationales sur les confréries. Malgré l’unité affichée des confréries
arabes, elles ont subi de plein fouet les conséquences des divergences et des
bouilles dans les relations internationales entre les pays. Ce qui a fini par
créer un conflit entre les courants soufis dans certaines régions. En guise
d’exemple, la confrérie Alouite en Algérie et au Maroc qui soutenait et
favorisait le renforcement des relations entre les deux pays, est devenu une
des composantes du conflit qui les oppose.
Un
certain nombre des mesures s’impose pour pouvoir relever les défis qui
entravent la voie du soufisme dans les pays arabes et les empêchent de mettre
en exécution leurs stratégies d’action.
§
Transférer le modèle économique du
soufisme sénégalais – qui a assuré son autonomie financière -vers les pays
arabes et généraliser le modèle économique des confréries transfrontalières qui
consiste à créer des sociétés par action pour les adeptes et les sympathisants.
Ainsi elles se transforment en mouvements sociaux dynamiques en contact avec le
monde extérieur et capables de concurrencer les organisations de la société
civile.
§
Développer électroniquement les confréries
soufies en favorisant le transfert et l’échange des expériences et des rôles
dans le monde arabe en vue de créer un courant soufi très puissant qui s’occuperait
des problèmes sociaux des adeptes en collaboration avec les gouvernements dans
tous les pays de la région.
§
La généralisation du modèle soufi
marocain par la prolifération des centres et des zawiyas, notamment dans les régions
africaines instables et vulnérables en perpétuel conflits, afin que les gens
puissent se réfugier dans ces centres en cas de catastrophes ou d’épidémies.
L’action du Tijanisme dans le sud du Kordofan, en est la parfaite illustration.
En
conclusion, l’on pourra affirmer que le soutien des stratégies
d’action du soufisme est une nécessité extrêmement urgente de nos jours,
notamment eu égard de nouveaux rôles qu’on demande aux confréries soufies de
jouer et qui consiste à moderniser le discours religieux dans le monde arabe, à
combattre le terrorisme et l’extrémisme et à s’infiltrer dans les girons de la société
de l’islam politique radical.