Publié par CEMO Centre - Paris
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Les stratégies du soufisme dans les pays arabes

mercredi 07/novembre/2018 - 06:35
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Aboul Fadl Isnawy, expert des études des pays du Maghreb nord

Les rapprochements tissés par les voies du soufisme entre elles dans le monde arabe depuis ‎‎2014, s’est reflété sur leur capacité à jouer leur rôle politique, sociale et de développement. Mais en dépit de ce rapprochement, les stratégies d’action de ces voies du soufisme ne sont pas uniformes dans tous les pays, du fait de leurs divergences sur le plan organisationnel et de l’ampleur des défis à relever, dans chaque pays.

Et étant donné la lourdeur du fardeau que certains politiciens dans les pays arabes, font porter au soufisme qu’ils considèrent comme un rempart contre la violence et l’extrémisme, il est désormais plus que nécessaire de se pencher sur les causes de la défectuosité du soufisme dans ce rôle afin de rectifier le tir et de s’inspirer des modèles ayant réussi dans certaines pays sous d’autres cieux.

A la lumière de ce qui précède, l’on pourra poser des questions dont les plus importantes sont celles de savoir quelles sont les limites d’action stratégique du soufisme dans les pays arabes ? Quels en sont les obstacles ? Quel est l’impact du rapprochement entre les voies du soufisme dans l’exécution de cette stratégie ? Et comment l’activer ? il incombe de signaler, pour répondre à ces questions, que les facteurs politiques, sociaux et les transformations qu’ont connues certaines sociétés arabes depuis la chute des Frères musulmans en Egypte en 2013, ont eu un impact positif considérable sur les rôles des confréries du soufisme, notamment dans les pays du Maghreb. Le soutien des autorités politiques dans ces pays au soufisme, a permis de réorienter l’action du soufisme pour faire face à la violence et l’extrémisme par le biais de la solidarité sociale et la lutte contre la pauvreté dans les zones rurales marginalisées, et aussi par la gestion des crises et des conséquences des catastrophes naturelles.

Pour répondre aux questions précédentes, nous allons développer trois point essentiels dont le premier traitera du niveau de rapprochement entre les différentes confréries du soufisme dans les pays arabes, le deuxième parlera des stratégies des confréries du soufisme depuis ‎‎2014 et le troisième s’attèlera sur les obstacles à la mise en exécution de ces stratégies et comment développer le rôle du soufisme dans le monde arabe.

Primo : Le rapprochement des confréries du soufisme dans les pays arabes.

Le soufisme est répandu dans les pays de l’Afrique du nord tels que l’Egypte, le Soudan, l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Libye, la Mauritanie, dans certains pays de l’Afrique d l’est comme la Somalie, et dans une certaine mesure, dans quelques pays du Golfe arabique comme les Emirats, l’Arabie saoudite, le Koweït, le Bahreïn, le Yémen, la Syrie et l’Irak.

Malgré l’éclatement - en près de 300 confréries- qu’a connu le soufisme ces derniers temps, le rapprochement et l’enchevêtrement entre elles sont en nette croissance depuis la montée en puissance des courants islamistes dans certains pays arabes depuis 2011. Ces rapprochements se manifestent par l’élargissement de la sphère d’action de ces confréries qui passent d’un niveau local à un niveau régional et international dans le but de se défendre conjointement contre les menaces qui pèsent sur elles. Ainsi ‘’l’Union internationale du Soufisme’’ a été créée en France. Elle vise à établir des liens de coopération entre les voies du soufisme au niveau mondial. Le Conseil mondial des voies du soufisme a également été créé dans le but de confédérer les différentes voies soufies dans le monde arabe pour faire face aux courants religieux extrémistes.

Mais les rapprochements ne se sont pas limités à la création des institutions mondiales du soufisme. En effet, les Cheikhs du soufisme se sont installé dans d’autres pays afin d’implanter leurs voies dans ces pays et en assurer le prolongement par la création d’une branche de leurs voies respectives dans les pays où chacun s’est installé. Parmi les voies qui ont réussi cette méthode, l’on peut citer le tidjanisme au soudan, le Rafaisme en Egypte, le Rahmanisme en Algérie, le Bourhanisme en Tunisie, l’Alaouisme au Maroc, le Chazlisme en Syrie, le Ayssawisme en Libye, l’Alaouisme et le Ghazakisme au Yémen.

Ainsi, sur la base de ce qui précède, l’on peut scinder les niveaux d’enchevêtrement et de rapprochement entre les confréries soufis, en deux niveaux : Le premier qui se rapporte à un mouvement dynamique interne, et le second qui se matérialise dans un prolongement transfrontalier.

(*) Rapprochement entre les voies exerçant dans le cadre d’une législation

Malgré l’ancienneté de ce type de rapprochement qui date de plusieurs décennies en Egypte et au Soudan et qui se manifeste dans les diverses occasions de rassemblement spirituels comme les maouleds, célébrés dans tous les gouvernorats en Egypte et dans toutes les régions du Soudan, les transformations que le monde arabe a subies depuis 2011- la violence des Frères musulmans et les menaces de Daech depuis 2014 - ont modifié la nature de ce rapprochement. Les adeptes du soufisme qui, jusque-là ne s’intéressaient qu’à la purification spirituelle individuelle, se sont tournés vers les problèmes de la société et ont adopté les politiques des régimes pour faire face à la violence et à l’extrémisme. Et pour cela, ils ont utilisé les mêmes slogans qui expriment leur union et leur force à l’instar des propos de Abdel Hady Qasby, le cheikh des Cheikhs des voies soufis, suite aux attentats contre la mosquée Al Rawda dans la péninsule du Sinaï en 2017 et dans lesquels il dit ‘’ Le terrorisme ne vise pas uniquement les soufis mais tous les Egyptiens’’. Il a à cette occasion, réuni les autres cheikhs du soufisme pour les inviter à adopter une position unique afin de soutenir l’Etat égyptien dans sa lutte contre le terrorisme. Et au Soudan, les confréries du soufisme se sont approchés pour prendre des décisions d’une importance vitale pour elles comme la réunion avec le président Omar el Bachir et l’accord sur sa candidature pour un nouveau mandat en 2020, et la création de ‘’l’Union mondiale des jeunes soufis’’ en octobre 2018.

Toutefois, en dépit de l’acceptation des voies du soufisme de se rapprocher entre elles, la réussite de cette initiative dépend de la position des autorités politiques sur les adeptes du soufisme et la volonté politique de les utiliser dans les affaires populaires en mettant à leur disposition des moyens financiers. En Egypte la capacité financière est remplacée par l’affinité tribale et familiale. Au Maroc, le soutien de l’Etat au soufisme dépend de tous les facteurs de motivation y relatifs. Au Soudan, l’affinité tribale et régionale, est le facteur le plus marquant dans le soutien du rapprochement entre les voies. Les saints et la recherche de leurs bénédictions lors des cérémonies de maouled, joue également un rôle important dans le dépassement du facteur tribal et régional face aux courants islamistes hostiles. C’est ce qui a permis au soufisme soudanais de s’implanter dans la société plus que n’importe courant religieux extrémiste.

(*)Rapprochements entre les confréries ayant les mêmes origines.

Ce qui est nouveau dans les relations soufis-soufis, c’est que, mû par l’Etat dans lequel il se trouve, le soufisme depuis 2014 a commencé à jouer un rôle parallèle à celui des institutions publiques en vue de renforcer les relations internationales (la diplomatie spirituelle). Ce phénomène est visible dans les régions à forte concentration soufi et influence la prise des décisions. Le rapprochement entre le Maroc- qui concurrence l’Algérie dans ce domaine- et les pays de l’Afrique de l’ouest est l’illustration de ce type de relation entre voies du soufisme en ‎‎2017 et 2018, contrairement à l’Egypte et le Soudan malgré l’importance des relations entre ces deux pays.

Les réseaux des relations entre les soufis sur le plan externe, se présentent sous plusieurs formes en fonction de leurs objectifs. Nous signalons, ici, qu’il existe des réseaux soufis transfrontaliers, que les pays n’ont pas jusque-là exploités, et des réseaux auxquels des missions précises – que l’Etat ne saurait exécutées- ont été assignées. Ces deux types de réseaux peuvent être traités de la manière suivante :

Les réseaux étendus

La voie essaye d’éduquer ces adeptes et ses partisans de par le monde, à l’instar de la Qadiriya. Ce type de rapprochement soufi-soufi est antérieur au soufisme dirigé (cas du Maroc et de l’Afrique de l’ouest. Ce type de relations entre soufis, se base sur la complémentarité des rôles des adeptes d’une seule voie et la création des avantages économiques et financiers pour la confrérie-mère. La Bourhaniya al Doussouqiya est l’une des plus importantes voies qui font recours à ce type de relation. Ses adeptes en Egypte, en Libye, en Algérie, au Maroc, au Yémen, en Tunisie, en Syrie, en Jordanie et au Soudan sont partis s’installer en Europe et ont eu d’autres adeptes notamment en Suède, en Norvège, au Danemark, en Allemagne, en Hollande, au Luxembourg, en Suisse, en Italie, en Russie mais aussi au Canada et aux États-Unis. Les disciples de cheikh Mohammad Bahaa El dine Naqchabandy en Egypte et en Syrie ont aussi migré vers les pays de l’Asie centrale. Ils ont pu exporter les mœurs et les croyances des leurs cheikhs respectifs vers des contrées différentes avec des cultures et des traditions différentes de celles des contrées où ils sont nés. Ainsi, ces voies sont passées de simples courants locaux et/ou régionaux, aux mouvements sociaux et économiques efficaces et transfrontaliers.

Les réseaux restreints :

Ces types de réseaux ont commencé à apparaitre dans le monde arabe après l’expansion des organisations extrémistes violentes, la concurrence interarabe et la ruée des puissances vers les régions riches et les grands marchés africains. Les voies qui sont dans ces types de réseaux, sont investies de certaines missions précises de la part des preneurs des décisions. Ce type de relations soufis-soufis est le plus important depuis 2014 parce qu’il se base sur des rôles bien précis et des stratégies bien étudiées. Les relations du soufisme marocain et le soufisme des pays de l’Afrique de l’ouest, est la plus marquante illustration des réseaux soufis transfrontaliers. Le soufisme marocain joue le rôle de l’Etat, dans l’harmonisation des relations entre le Maroc et l’Afrique pour assurer la stabilité et la sécurité nationale marocaine. Mais force est de constater que ce type de rapprochement entre soufis, est très limité dans le renforcement des relations arabo-arabes et arabo-africaines, peut-être à cause de la faible propagation du soufisme dans certaines régions ou du manque d’intérêt des autorités politiques

Secundo : les stratégies du soufisme.

Les domaines de la stratégie d’action du soufisme se sont étendus depuis 2014 pour englober la défense de l’identité nationale, la sécurité nationale contre les organisations terroristes, en plus des aspects concernant la gestion des crises internes dans certains pays, le soutien des relations stratégiques entre les pays.

(*)Les stratégies de défense et de protection de la sécurité nationale.

Depuis la période de la colonisation, le soufisme a joué un rôle prépondérant dans la défense de la sécurité nationale. Les sièges des confréries et les zawiyas du soufisme étaient des refuges des combattants et des résistants arabes en cette période. La confrerie du Sanoussisme en Libye avait porté les armes en 1912 face à l’occupation européenne tout comme la Qadiriya au Soudan et la Salihiyya en Somalie sous la houlette du Cheikh Mohammad Abdallah Hussein. Avec l’apparition de Daech en ‎‎2014, ce rôle s’est peaufiné davantage. En Egypte, les soufis en collaboration avec les tribus Sinawi ont porté main forte aux forces de sécurité et à l’armée égyptiennes dans leur lutte contre le terrorisme. Au Maroc, le soufisme joue aussi un rôle dans la lutte antiterroriste et l’application de la stratégie marocaine pour contrer l’expansion djihadiste. En Algérie, le soufisme véhicule un discours religieux modéré et au Soudan, il affronte les organisations extrémistes.

Les branches répandues du soufisme et le nombre de leurs adeptes dans le monde arabe ainsi que la solidité de leur base sociale, permettent au soufisme de jouer ce rôle. Contrairement aux organisations extrémistes, les liens qu’entretient le soufisme avec les grandes familles et les grandes tribus, constituent un facteur déterminant dans ses relations avec les institutions de l’Etat. En outre la satisfaction des autorités publiques de la présence du soufisme dans la société, pourrait permettre à ce courant de jouer un rôle non officiel de maintien de l’ordre public notamment dans les zones frontalières et les zones à composition confessionnelle variée.

(*) La stratégie sociale et la prise en compte de la dimension de la solidarité.

Malgré l’enracinement du rôle social des voies du soufisme, le niveau d’application de ces stratégies diffèrent d’un pays à un autre et d’une voie à une autre, pour diverses raisons dont : La capacité financière de la voie, les limites de son expansion territoriale dans le pays, le niveau de centralisation de son action et son mode d’organisation. Bien que la stratégie sociale du soufisme englobe un ensemble de rôles variés, la dimension de la solidarité sociale est la plus forte et la plus évidente car la géographie sociale des voies soufis et leur formation tribale et familiale, leur permettent d’accepter des subventions et des dons pour les redistribuer aux pauvres et aux nécessiteux. La pluralité des sièges sociaux des voies du soufisme font office des ambulances toujours prêtes à accueillir des réfugiés et des voyageurs. L’exemple du Soudan est le plus significatif à cet effet.

L’augmentation du nombre des adeptes du soufisme arabe chez les artisans, les marginalisés dans les villes et dans les campagnes, a contraint à jouer un rôle social de solidarité comme le fournissement des soins sociaux, la création des orphelinats, des fonds de la zakat, des internats pour les malades et les expatriés dans le but de rapprocher les adeptes des différentes voies du soufisme, des autres habitants sympathisants ou à la chercher du travail.

En dépit de l’importance de la stratégie sociale à l’heure actuelle- notamment après la flambée des prix dans bon nombre des pays arabes et l’augmentation du nombre des familles nécessiteuses depuis 2014-, cette stratégie reste inexistante dans la plupart des pays arabes. Cela peut être dû au manque de collaboration entre les voies du soufisme et les institutions de la société civile qui jouent le même rôle avec des moyens financiers plus importants et travaillant sur des listes précis des factions marginalisées et pauvres nécessitant une prise en charge.

Dans ce domaine de stratégie sociale, le Soudan et la Maroc sont les meilleurs car ils sont inclus dans leurs stratégies, l’organisation des mariages collectifs dans les sociétés rurales pauvres. La différence entre la stratégie soudanaise et celle marocaine réside dans le fait que la première est locale, ne dépassant pas les frontières de l’Etat – à l’exception de la Tijaniya et de la Qadiriya- et la deuxième va au-delà des frontières marocaines et s’infiltre à l’intérieur de l’Afrique depuis 2016. Mais en Égypte et dans les pays du Golfe, ce type de solidarité est en nette régression malgré l’augmentation du taux de pauvreté en Egypte et la diversité des institutions civiles ; et l’augmentation des dons offerts par les waqfs et les mosquées et certaines organisations de la société civile.

(*) La stratégie du développement et le soutien des institutions étatiques.

La stratégie de développement économique que veulent appliquer les voies du soufisme, reste limitée et inexistant sur le plan interne dans plusieurs pays arabes. Même si cette stratégie ne concerne que les voies transfrontalières, son impact reste tout de même limité dans le soutien de l’Etat à trouver des solutions aux problèmes économiques. Elle se limite essentiellement au développement du secteur financier de la confrérie.

Ainsi, l’on peut affirmer qu’il n’existe pas d’économie de développement soufi à part entière et qui a de l’influence dans un des pays arabes. Les régions habitées par les cheikhs soufis, sont les plus impactées par l’économie soufie qui, depuis ‎‎2018, occupe une place limitée dans l’économie nationale malgré un capital des milliards dans certains pays comme le Soudan. Force est de constater que la stratégie de développement économique prônée par les confréries soufies, n’inclue pas les initiatives nationales visant à pourvoir un capital mais se limite aux aides et aux dons. C’est la raison pour laquelle, elles échouent à créer une complémentarité avec les institutions économiques.

Même si la stratégie de développement prônée par les confréries soufies arabes, reste faible quant à la réalisation d’une autonomie financière, elle a tout de même réussi à jouer un autre rôle dans le développement notamment éducatif en aidant l’Etat dans l’éducation de certaines zones rurales très pauvres et marginalisées. Les confréries ont créé des établissements scolaires comme au Soudan où 15 instituts d’apprentissage du Coran et d’enseignements des sciences, ont été créés par ka confrérie Samaniya. Au Maroc et en Algérie, les confréries soufies jouent un rôle éducatif.

A côté de ce rôle éducatif, les confréries ont un autre rôle que certains pays comme l’Egypte, essayent de généraliser. Ce rôle qui consiste à construire l’homme est très exploité dans le soufisme soudanais qui combat la drogue et l’alcool et invite les gens à fréquenter les mosquées où des leçons de religion sont diffusées. La confrérie du cheikh Abdel Rahim Al Burae, est l’une des confréries qui ont exercé ce type d’action par le biais des conférences et des campagnes de sensibilisation contre l’addiction aux drogues.

(*) La stratégie politique et la tendance à créer des partis politique.

Les confréries soufies arabes sont en retard dans l’action politique par rapport aux autres confréries, sénégalaises, par exemple. Ce n’est qu’en 2012, un an après le début des révolutions arabes que les partis politiques soufis ont commencé à voir le jour, notamment en Egypte où les partis ‘’Libération égyptienne’’, ‘’la Renaissance de l’Egypte’’ et ‘’la victoire soufie’’ ont été créés. Les confréries égyptiennes ont exercé l’action politique et ont soutenu la candidature du président Abdel Fattah al Sissi et ont même formé une coalition lors des législatives de 2012. Ce modèle d’action politique des confréries n’existe nulle part dans les autres pays arabes. En Algérie, beaucoup de personnalités soufies ont rejoint des partis politiques sans toutefois fonder de parti politique. Au soudan, la stratégie politique se limite à la simple participation aux élections et au soutien du président El Bachir pour sa candidature de 2020.

Même si les confréries soufies ont échoué à former des partis politiques, elles ont su tout de même entretenir de meilleures relations jamais observées avec le régime. En Egypte, on trouve beaucoup des cheikhs soufis à la tête des institutions étatiques. On peut citer, Al Asyed Mahmoud Cherif, Sous-secrétaire du parlement égyptien, Abdel Hady Al Qassy, président de la ‘’Coalition de soutien à l’Egypte’’ qui soutient inconditionnellement le régime au parlement. En Algérie, les confréries ont aussi créé des alliances fructueuses avec le pouvoir.

Au Maroc, le régime royal utilise les confréries pour faire face à l’expansion du djhadisme dans le Maghreb et la région sahélo-saharienne qui constitue la porte d’entrée de la sécurité nationale du Maroc.

(*) La stratégie de la gestion des crises et des catastrophes naturelles

Le Soudan et le Maroc se sont distingués dans cette stratégie. Le soufisme égyptien quant à lui, n’en fait usage que dans la résolution des conflits locaux. Cette stratégie consiste à gérer et à résoudre les conflits entre les tribus dans les zones rurales.

L’Egypte et le Soudan sont les pays où la gestion des conflits est le plus visible par rapport aux pays du Maghreb. En Haute-Egypte, les cheikhs soufis jouent un rôle très important dans la résolution des conflits entre les tribus, grâce à la place centrale qu’occupe le soufisme dans ces sociétés. Au Soudan, les confréries règlent les différends par le biais des commissions de réconciliation composées des arbitres d’une très haute sagesse. Les différends les plus récurrents concernent l’irrigation, l’agriculture, l’élevage, l’héritage et l’état civil.

En plus de la gestion et de la résolution des conflits, les confréries soufies donnent également un coup de main aux gouvernements dans la gestion des catastrophes naturelles comme les inondations, les crues et le soutien des sinistrés agricoles. Cette stratégie est inexistante dans le soufisme égyptien à cause de la faiblesse de ses moyens financiers, mais est très présente au soudan, au Maroc et en Algérie où la partie sud est souvent exposée aux inondations et aux crues chaque année. Il importe de signaler que les confréries ne construisent pas d’habitations aux sinistrés mais leur pourvoient un logement dans leurs sièges et les zawiyas.

Sur la base de ce qui précède, l’on pourra dire que la réussite des confréries dans la gestion des conflits et des catastrophes naturelles, a permis de véhiculer la coexistence pacifique entre les différentes composantes de la société et a contribué à la stabilité et la tolérance entre les différentes religions dans ces pays. En Egypte, les adeptes du soufisme sont très présents dans les célébrations religieuses des coptes à l’instar de la fête de la nativité à la cathédrale d’Abbassia, dans le but de répandre l’esprit et la culture de la paix sociale entre les musulmans et les coptes. Il en est de même au Soudan et au Maroc.

(*) Le soutien des relations stratégiques entre les pays.

Grace à leur prolongement géographique et leur capacité à passer les frontières entre les pays, les confréries soufies ont contribué au renforcement des relations stratégiques entre les pays voisins. L’exemple du Tijanisme et de l’Alouisme qui ont joué un grand rôle dans le renforcement des relations entre le Maroc et l’Algérie sur la crise du Sahara. Toutefois, la confrérie Alouiste a bifurqué et ne joue plus le rôle de rapprochement mais de confrontation entre la branche marocaine dirigé par le cheikh Said Yassine et la branche algérienne sous la houlette de Dr. Khaled Ibn Youness.

Les instances internationales soufies comme l’Union mondiale des confréries soufies, contribue également à renforcer les relations entre les pays. En dépit de l’importance de cette stratégie dans le rapprochement entre l’Egypte et les pays africains, elle n’a pas été mise à contribution jusqu’à l’heure actuelle.

Tertio : les défis auxquels font face les stratégies d’action soufie et leurs limites

Les tentatives de certaines confréries soufies pour généraliser les stratégies d’action et transmettre celles qui ont le mieux réussi, aux autres confréries, font face aux multiples défis et obstacles. On peut citer :

Premièrement : Les défis internes

Ces défis internes sont liés à structure organisationnelle des confréries comme le rigorisme de la centralisation dans le travail et aussi aux problèmes dans lesquels ces confréries sont impliquées. Le cas de l’Egypte est le plus marquant dans ce domaine, et ci-après les défis à relever :

1.    L’aspect classique et traditionnel de la gestion du capital soufi, comme il a été constaté que la plupart des confréries dans les pays arabes ne possèdent pas d’institutions économiques leur permettant de financer les stratégies sus évoquées. En dépit de la multiplicité des sources de revenus dont elles disposent – dons, aides, financement interne et externe – les confréries gèrent leurs fonds de manière stéréotypée et erronée.

2.    Les désaccords et les divergences entre les confréries soufies elles-mêmes d’une part, et entre les confréries et les organisations de la société civile qui possèdent les moyens de financement, d’autre part, le manque de coordination entre les cheikhs soufis, l’absence d’une position commune face aux problèmes de société dans la plupart des pays arabes, tout ceci entrave la voie aux sympathisants du soufisme (citoyens ordinaires et donateurs)

3.    La régression du soutien financier de la part des gouvernements à l’exception du Maroc et de l’Algérie et certains pays du Golfe comme les Emirats. Ce qui pose un véritable problème financier pour les confréries. Le soutien du gouvernement égyptien aux confréries n’est que moral et ne leur permet pas, par conséquent, de mettre en œuvre leurs stratégies qui consistent aussi à combler le vide laissé par les courants islamistes extrémistes. Les adeptes se contentent de se rassembler pour les maouleds.

4.    La concentration de la plupart des confréries soufies. 90% des confréries soufies dont le nombre atteint près de 300 se concentrent dans une ère géographique très restreinte ou se trouvent dans des endroits à faible quantité de leurs adeptes. Certaines confréries n’exercent qu’au niveau du village et d’autres au niveau régional où se trouvent leurs sièges principales. En outre, bon nombre de confréries n’apparaissent que lors des célébrations officielles comme les maouleds. Ce qui les met à l’écart de la société en perpétuel changement depuis 2014. Les dissensions et les désaccords nés des crises de leadership à la tête des confréries, réduisent considérablement le nombre de leurs adeptes et finissent par étouffer et faire disparaitre bon nombre des confréries.

5.    La mauvaise conception des limites de leur rôle politique, social et de développement de la part de certaines confréries car la plupart des cheikhs soufis limitent leurs rôles à l’action spirituelle, croyant que le soufisme n’a rien à voir avec la politique et l’assistance sociale. Cette conception erronée aussi bien chez les non soufis que chez les soufis, doit nécessairement changer par l’entremise du soufisme international qui revivifie la culture sociale dans ces confréries.

6.    Le retard dans l’utilisation et l’exploitation des réseaux sociaux car malgré l’importance de la communication entre les confréries soufies arabes, elles restent influencées par la réalité et les crises du monde arabe, alors que les courants islamistes extrémistes ont réussi à exploiter l’Internet et les réseaux sociaux à leurs fins. Le recours aux réseaux sociaux pourrait développer et varier les sources de financement des confréries et de créer des réseaux de rapprochement non couteux entre elles.

7.    Le patriarcat et l’absence du rôle de la femme en dépit du fait que cette dernière est dorénavant, incontournable sur la scène politique dans le monde arabe, en occupant des postes de ministre et juge. L’absence de la femme dans les confréries, prive ces dernières d’une partie de financement provenant des femmes d’affaires. Ce qui peut se répercuter sur l’action sociale des confréries.

8.    Les attaques des organisations islamistes extrémistes. Depuis 2014, les confréries soufies sont sous la menace des organisations terroristes qui ont détruit les mausolées en Libye, en Irak, au Yémen et dans le Sinaï égyptien. Ces menaces ont contraint certains cheikhs soufis de quitter leurs régions pour d’autres régions, provoquant ainsi la dislocation de leurs adeptes.

Deuxièmement : les défis externes et comment y faire face

1.    La pluralité des associations du soufisme sur le plan international. Cette pluralité permettra aux différentes confréries de se rapprocher au niveau régional et mondial. Il a été constaté récemment, la création de bon nombre d’associations dont les objectifs sont divergents. On peut citer ‘’l’Union mondiale des confréries soufies’’ sise à Paris et dirigée par Al Sayed Alaa El dine Madi Aboul Azaem, le ‘’conseil international du soufisme’’, également sous la houlette d’une personnalité égyptienne, le cheikh Mohammad Chahawy, ‘’l’Association soufie’’ en Jordanie et au Soudan, et ‘’l’Association mondiale des jeunes soudanais.’’

2.    La faiblesse du soutien de la part des pays du golfe. Bien que ces pays dépensent beaucoup d’argent dans la lutte contre le terrorisme, le soutien financier qu’ils accordent aux confréries soufies en Afrique et dans les pays arabes, est extrêmement dérisoire comparativement au soutien qu’ils accordent aux fondations et organisations arabes. Les États-Unis et l’Europe ont également diminué leurs aides aux confréries depuis la montée en puissance des courants de l’islam politique dans certains pays arabes.

3.    L’impact des relations internationales sur les confréries. Malgré l’unité affichée des confréries arabes, elles ont subi de plein fouet les conséquences des divergences et des bouilles dans les relations internationales entre les pays. Ce qui a fini par créer un conflit entre les courants soufis dans certaines régions. En guise d’exemple, la confrérie Alouite en Algérie et au Maroc qui soutenait et favorisait le renforcement des relations entre les deux pays, est devenu une des composantes du conflit qui les oppose. 

 

Un certain nombre des mesures s’impose pour pouvoir relever les défis qui entravent la voie du soufisme dans les pays arabes et les empêchent de mettre en exécution leurs stratégies d’action.

§  Transférer le modèle économique du soufisme sénégalais – qui a assuré son autonomie financière -vers les pays arabes et généraliser le modèle économique des confréries transfrontalières qui consiste à créer des sociétés par action pour les adeptes et les sympathisants. Ainsi elles se transforment en mouvements sociaux dynamiques en contact avec le monde extérieur et capables de concurrencer les organisations de la société civile.

§  Développer électroniquement les confréries soufies en favorisant le transfert et l’échange des expériences et des rôles dans le monde arabe en vue de créer un courant soufi très puissant qui s’occuperait des problèmes sociaux des adeptes en collaboration avec les gouvernements dans tous les pays de la région.

§  La généralisation du modèle soufi marocain par la prolifération des centres et des zawiyas, notamment dans les régions africaines instables et vulnérables en perpétuel conflits, afin que les gens puissent se réfugier dans ces centres en cas de catastrophes ou d’épidémies. L’action du Tijanisme dans le sud du Kordofan, en est la parfaite illustration.

 

En conclusion, l’on pourra affirmer que le soutien des stratégies d’action du soufisme est une nécessité extrêmement urgente de nos jours, notamment eu égard de nouveaux rôles qu’on demande aux confréries soufies de jouer et qui consiste à moderniser le discours religieux dans le monde arabe, à combattre le terrorisme et l’extrémisme et à s’infiltrer dans les girons de la société de l’islam politique radical.

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