Changements radicaux Les aspects des transformations des organisations al-Qaïda et Daech dans la région
Les organisations al-Qaïda et
Daech ont subi des transformations diverses ces dernières années étant donné les
développements liés à la guerre contre le terrorisme, qui a conduit à
l’assèchement de nombre de sources de financement de ces organisations et les a
obligées à tenter de s’adapter pour pouvoir survivre, d’une part, et s’étendre
d’autre part, en trouvant des mécanismes alternatifs pour affronter les
nouveaux défis. C’est ainsi qu’elles ont dû élaborer de nouvelles stratégies.
La question est donc : quels sont donc les traits principaux de ces
transformations, de façon à cerner la situation de ces organisations dans la
période à venir.
Premièrement : les
transformations chez al-Qaïda
Al-Qaïda traverse une étape sans
précédent de son histoire, étant donné la montée en puissance de ses branches,
qui représentent la vraie force de l’organisation, au vu du recul
d’al-Qaïda-mère dirigée par Ayman az-Zawahiri, qui est devenue un simple
symbole et une façade médiatique autour de laquelle se regroupent les branches,
plus qu’une entité organisationnelle véritable capable de se déployer et de
mener des attaques terroristes.
Ces branches ont cherché à
exploiter ce recul de Daech dans la région, pour étendre leur influence dans
les zones où elles sont présentes. Cela les a poussées à adopter une nouvelle
politique, différente de celle d’al-Qaïda-mère, car moins centrée sur le
ciblage des intérêts américains, qui étaient la cible préférée d’al-Qaïda. Elles
sont ainsi devenues la force réelle de l’organisation.
D’autre part, ces branches sont
parvenues à créer une « duperie idéologique » en se focalisant sur
certains concepts essentiels de l’idéologie d’al-Qaïda, comme celui d’
« ennemi proche » qui signifie le fait de cibler les régimes
politiques, qu’elles ont transformé en lutte contre tous ceux qui entravent
leur expansion, même s’il s’agit d’organisations extrémistes. Cela a incité des
branches d’al-Qaïda à combattre les groupes dépendant de Daech dans leurs zones
d’influence, en considérant ce combat comme passant avant celui contre les
régimes politiques. C’est ainsi que l’organisation « al-Qaïda dans les
pays du Maghreb islamique » est la première à avoir adopté cette méthode,
en créant un groupe militaire professionnel, appelé « Katibat al-Fath
al-Mubin » (Brigade de la victoire éclatante), comprenant quelque 100
combattants, dont la mission était de poursuivre les groupes daéchiens et de
les liquider. Ce qui arriva de fait avec le groupe de « Skikda » qui
avait fait scission avec al-Qaïda et déclaré son allégeance à al-Baghdadi en mars
2016. Cette orientation a été confirmée par un membre du Conseil de la Choura
de l’organisation, Abou Hicham Abou Akram, qui a déclaré en janvier 2017 que
Daech avait disparu de la région pour toujours.
En Somalie, la direction du mouvement
des Chebabs Moudjahidines prit la décision en avril 2017 de tuer tout membre
dissident se rattachant à Daech, et elle fit plus d’efforts pour récupérer le
groupe qui était allé rejoindre Daech que pour recruter de nouveaux membres, du
fait qu’elle pensait que la chute de l’organisation en Irak et en Syrie
conduirait à l’effondrement de sa branche en Somalie, et que ce groupe n’aurait
plus d’autre choix que de retourner dans le mouvement.
Le rôle des branches dans la
protection de l’organisation
Nous pouvons dire que les
branches de l’organisation d’al-Qaïda ont en général protégé cette dernière,
que ce soit en diffusant son idéologie dans ses zones d’influence, après être
parvenues à la protéger contre la disparition, en particulier après les
attaques idéologiques lancées contre elle par Daech. Elles ont également pu la
protéger du point de vue organisationnel, en lui permettant de frapper, grâce à
ces bras, de nombreuses régions, après que l’organisation-mère fut devenue
incapable de mener des opérations terroristes, du fait de la disparition de la
plupart de ses éléments et cadres, et de l’incapacité de ceux qui restaient de
se déplacer, ce qui l’a empêchée de recruter de nouveaux éléments. C’est ainsi
que ces branches ont pu faire revenir al-Qaïda sur le devant de la scène
djihadiste, après que Daech fut parvenue pendant longtemps à tirer le tapis
sous ses pieds.
Cette force croissante dont
jouissent les branches de l’organisation d’al-Qaïda a rendu leurs cadres plus
puissants et influents d’un point de vue organisationnel – malgré leur
affirmation du rang symbolique d’az-Zawahiri – étant donné que chacune d’elles
est devenue semblable à une organisation indépendante, possédant une structure
militaire et organisationnelle. Certaines sont même devenues transfrontalières,
comme l’organisation d’al-Qaïda dans les pays du Maghreb islamique, qui est
active dans plus d’un Etat (comme le Niger, le Mali, la Tunisie ou la Libye).
D’autres sont parvenues à contrôler de grands territoires, comme les Chebabs
Moudjahidines de Somalie. Il est donc possible d’affirmer que l’organisation
d’al-Qaïda est devenue un ensemble de branches puissantes et dynamiques, sans
lesquelles elle n’existerait pas. A la différence de Daech, qui était une
organisation présente sur le terrain, et menant de nombreuses opérations –
avant la perte de ses bastions principaux en Irak et en Syrie – ce qui lui a
permis de créer de nombreuses branches à l’étranger.
Les principaux traits de ces
transformations
Le fait que chacune de ces
branches ait des avantages relatifs et des points de force particuliers a joué
en faveur de l’organisation d’al-Qaïda, qui a pris ainsi la tête des
organisations terroristes dans le monde. Par conséquent, les développements
dans la région et en particulier le recul de Daech et la montée d’al-Qaïda et
de ses branches ont imposé à ces dernières un ensemble de transformations
importantes, qui se sont manifestées clairement en 2018, et cela pour éviter
les coups prévisibles de la communauté internationale, d’une part, et pouvoir
s’étendre, d’autre part. Ces transformations peuvent se résumer ainsi :
-
Décentralisation organisationnelle : l’organisation d’al-Qaïda
avec ses diverses branches a été soucieuse ces dernières années de multiplier
ses groupes, dans le cadre de la décentralisation organisationnelle suivie par
l’organisation dans la gestion de ses branches. « Al-Qaïda dans les pays du
Maghreb islamique », la plus grande branche de l’organisation et la plus
puissante, étant donné sa présence importante dans le nord et l’ouest de
l’Afrique, possède de nombreux groupes terroristes, ce qui lui a permis une
extension sans précédent durant les dernières années. Cela s’est fait d’abord
par le biais de ses groupes locaux comme le groupe « Imarat
as-Sahra », « Al-Mawqufun bil ad-dima », « At-Tawhid
wal-djihad », ou « l’organisation Oqba ibn Nafie ». Ou encore
par le biais d’alliances fortes avec nombre d’organisations armées proches d’elle
idéologiquement comme Ansar ad-Din au
nord du Mali, ou le mouvement Tahrir Massina, ce qui a conduit à l’apparition
d’un groupe nouveau du nom de « Nusrat al-Islam wal-Mouslimin » en
mars 2017, sous la direction d’Iyad Agha Ghali, chef d’Ansar ad-Din, et ces
alliances ont permis à al-Qaïda d’étendre son influence à de nombreuses régions
du Sahel et du Sahara, en traduisant en outre sa puissance et son influence
dans cette région, puisqu’elle a pu contraindre tous les membres du nouveau
groupe à lui prêter allégeance.
-
Le camouflage et la fusion : parmi les ruses utilisées
par al-Qaïda pour éviter les frappes militaires, de façon à pouvoir obtenir une
certaine marge de liberté et de manœuvre, figure le fait d’exercer ses
activités sous des noms divers autres que « al-Qaïda », comme c’est
le cas des groupes dépendant d’elle en Libye, travaillant sous les noms de
« Ansar ach-Charia » ou « Saraya ad-Difa’ ‘an Benghazi »,
qui ont été ouvertement soutenus par al-Qaïda le 2 juin 2016. De même, elle a
annoncé son lien avec l’organisation Ansar ach-Charia, dans son communiqué
annonçant la création du groupe « « Nusrat al-Islam
wal-Mouslimin » et qui fait l’éloge de Mohammad az-Zahawi, ex-chef de
l’organisation en Libye. Mais malgré cela, ces groupes nient tout lien avec
al-Qaïda, ce qui rend la présence de cette organisation en Libye floue d’un
point de vue organisationnel.
Cette présence se caractérise également par la fusion et l’interaction
avec les groupes d’al-Qaïda dans la zone du Sahel et du Sahara. Cela a permis à
ces groupes de pénétrer facilement en Libye, soit en créant des camps
d’entraînement dans les zones d’influence des groupes locaux, soit en leur
fournissant des aides pour renforcer la présence invisible d’al-Qaïda dans le
pays. Comme cela est arrivé lors des confrontations du port de Raas Lanouf en
mars 2017, lorsqu’al-Qaïda a incité nombre de groupes extérieurs à soutenir les
groupes locaux lors de ces combats. Par conséquent, ces groupes sont soucieux
de cacher leur présence dans le pays, ce qui s’accorde avec les efforts de
l’organisation pour dissimuler son influence, considérant que cela lui
permettra de travailler en Libye sans attirer l’attention, pour éviter les
frappes futures des forces internationales de lutte contre le terrorisme.
-
Restructuration : les frappes de l’aviation
américaine contre certaines branches d’al-Qaïda les ont obligées à une certaine
restructuration organisationnelle, et c’est ce qu’a fait récemment l’Organisation
d’al-Qaïda dans la péninsule arabe, qui a choisi le Yémen pour siège. C’est
l’une des branches d’al-Qaïda les plus puissantes du point de vue de la
cohésion organisationnelle, et c’est ce qui lui a permis de survivre malgré les
coups que lui ont portés les Etats-Unis ou le gouvernement légal du Yémen, soutenu
par les forces de la coalition arabe. En effet, l’organisation possède de
nombreux cadres aux compétences organisationnelles élevées, et cela lui permet
de remplacer rapidement ceux qui sont tués, comme dans le cas de Nasser
al-Wahichi, ex-chef de l’organisation, tué en juin 2015 : l’organisation a
aussitôt nommé Qassem ar-Rimi, qui n’était pas moins compétent que son
prédécesseur. De même, les alliances tribales et la présence de certains
combattants étrangers ont contribué à cette cohésion, comme l’a fait comprendre
Qassem ar-Rimi dans l’entretien publié par l’organisation en avril 2017, au
cours duquel il a fait l’éloge du rôle des tribus et des « moudjahidines
émigrés » (combattants étrangers) en aidant l’organisation à faire face
aux dangers qu’elle doit affronter.
-
Elargissement du champ de la violence : il semble que
l’organisation-mère vise à élargir le champ de sa présence pour inclure des
régions stratégiques comme l’Afrique de l’est. C’est ce qu’a révélé une
séquence vidéo du chef de l’organisation Ayman az-Zawahiri en avril 2018, portant
le titre « L’Afrique de l’est : la frontière sud de l’islam » et
publiée par le bras médiatique de l’organisation, as-Sahab, et dans laquelle il
parle de l’importance de cette région pour renforcer la force de l’organisation
si elle parvenait à y accroître son influence.
Ce désir poussa le mouvement des Chébabs Moudjahidines de Somalie à
élargir nettement le champ de la violence, ce qui conduisit à le considérer
comme l’une des branches d’al-Qaïda les plus sanguinaires. Cela est apparu
nettement lors de ses opérations successives qui n’ont épargné ni les
militaires ni les civils. Ce fut le cas lors de ses attaques contre les villes,
comme celle menée le 12 septembre 2018 contre la ville de Merca dans la région du
Bas-Chébéli, à 90 kms de Mogadiscio. Citons aussi les attaques ayant visé les
forces armées somaliennes et qui ont montré la capacité du mouvement à menacer
la stabilité du pays, comme celle exécutée le 23 juillet 2018 contre une base
militaire au sud du pays, et qui a tué 27 soldats. A la suite de quoi, le
mouvement est parvenu à imposer son contrôle sur la base, distance de 50 kms du
port de Kismayo.
La violence du mouvement s’est étendue également aux voisins de la
Somalie. C’est ainsi que les autorités kenyanes ont révélé au début d’octobre
2018 que le mouvement était parvenu à augmenter le rythme de ses attaques et de
son recrutement de jeunes dans les régions nord du Kenya frontalières de la
Somalie. Et Ali Roba, gouverneur du comté de Mandera, a affirmé que les
combattants de l’organisation mènent actuellement une vaste opération de
recrutement aux frontières et dans l’intérieur du pays, ce qui représente une
menace réelle pour son pays.
-
L’activité souple : al-Qaïda se distingue
essentiellement de Daech par le fait qu’elle ne cherche pas à contrôler un lieu
donné et se contente d’une activité organisationnelle, par une présence opérationnelle
et organisationnelle dans des régions déterminées, sans les contrôler ni s’y
installer de façon permanente. Cela lui a permis d’éviter de subir des coups
qui auraient provoqué son effondrement organisationnel, ce que Daech a cherché
à appliquer récemment, après avoir perdu
quasiment tous ses bastions principaux en Syrie, ce qui l’a obligée à
redéployer ses combattants dans le désert syrien s’étendant jusqu’aux
frontières irakiennes, comme point de départ pour mener ses attaques éclairs.
Cette souplesse a encouragé l’organisation à s’étendre jusqu’à de
nouvelles régions, et à revenir dans les régions dont elle était sortie, comme
sa tentative récente de revenir en Tunisie, révélée par le meurtre de Bilal
al-Qibi, l’un des auxiliaires les plus importants de Abdel Malek Drudkal, chef
d’al-Qaïda dans les pays du Maghreb islamique, par les forces tunisiennes au
début de février 2018 : cela indique en effet le désir de l’organisation
de s’étendre dans la période à venir en tentant d’exploiter le recul de Daech, et
ceci en déployant géographiquement ses groupes de façon à rendre difficile sa
liquidation directe.
-
Elargissement des alliances : parmi les outils les plus
importants utilisés par al-Qaïda durant les dernières années pour renforcer son
influence figure l’élargissement de ses diverses alliances, comme les alliances
organisationnelles établies par l’organisation « al-Qaïda au Sahel et au
Sahara » et ses divers groupes, considérée comme la branche d’al-Qaïda qui
a conclu le plus d’alliances avec les tribus. En effet, elle a conclu des
alliances fortes et directes avec les organisations armées rattachées aux
principales tribus et ethnies de cette région, et qui affichent des tendances
djihadistes et religieuses bien qu’il s’agisse d’organisations ethniques et
tribales. C’est ainsi qu’elle est
parvenue à rassembler le mouvement Ansar ad-Din, au nord du Mali, rattaché aux
tribus touaregs, et le Front de libération du Macina qui représente les Tribus
Foulanis (Peuls), dans un même groupe appelé « Nusrat al-Islam wal Muslimin »,
dont la création a été annoncée en mars 2017, sous la direction d’Iyad Agha
Ghali, chef d’Ansar ad-Din. Cette alliance permit à al-Qaïda d’étendre son
influence dans de nombreuses régions du Sahel et du Sahara.
-
L’expansion idéologique : les alliances tribales
d’al-Qaïda facilitent la diffusion des idées des branches de l’organisation parmi
les membres de ces tribus ou des autres tribus qui sont proches d’elles, étant
donné le contexte de liberté exempt d’obstacles majeurs dans lequel elles sont
diffusées. D’autant plus que le recul de l’idéologie daéchienne encourage
l’organisation à occuper le sommet de l’idéologie djihadiste, et lui a permis de
faire parvenir ses idées jusqu’à des zones nouvelles, comme le Burkina Faso.
Dans ce pays, est apparu le groupe Ansar al-Islam, qui adopte dans une large
mesure l’idéologie d’al-Qaïda, et a mené des opérations terroristes dont l’une
des plus connues est l’attaque contre des postes de police en mars 2017. Or, si
ce groupe a adopté l’idéologie d’al-Qaïda, c’est parce qu’elle est répandue au
sein de l’ethnie foulanie, à laquelle il est rattaché ainsi que son grand frère
le « Front de libération du Macina », l’un des principaux alliés
d’al-Qaïda dans la région du Sahel et du Sahara.
Deuxièmement : les
transformations chez Daech
Les défaites de l’organisation
Daech dans nombre de régions ont poussé ses combattants à fuir vers de
nouvelles zones, comme en Irak et en Syrie, où elle a perdu près de 98% des territoires
qu’elle contrôlait, ce qui a conduit ses éléments à se redéployer dans d’autre
zones, pour faire face aux pressions militaires croissantes. Ainsi, en Irak,
les combattants de l’organisation se sont redéployés dans des zones comme Wadi
Houran, ou le Désert occidental, et certains se sont dirigés vers des zones
reculées de nombreux gouvernorats, comme Ninive, Salaheddine, ou al-Anbar, où
se trouvaient encore des poches daéchiennes, que l’organisation parvint à
exploiter pour reconstituer ses rangs. Et en Syrie, ses éléments sont parvenus à
s’implanter dans des régions comme la Ghouta orientale et le camp de Yarmouk, dans
la zone du quartier d’al-Qadam au sud de Damas, et dans nombre de zones d’al-Boukamal,
outre la tentative de certains d’entre eux de revenir dans la ville de Dayr
az-Zor, et dans d’autres endroits du pays.
Ces défaites ne se sont pas
limitées à l’organisation-mère et se sont étendues à certaines de ses branches
et groupes. Ainsi, en Libye, l’organisation a perdu son fiel principal dans la ville
de Syrte qu’elle contrôlait depuis 2015, après que le gouvernement d’entente
nationale eut lancé une opération militaire en mai 2016 pour la récupérer. L’organisation
a aussi été chassée de nombre d’autres régions, à Derna et Benghazi, entre 2015
et 2017. Cela a poussé ses éléments à se replier sur le sud, lors de la plus
grande opération de redéploiement.
Dans la zone du Sahel et du
Sahara, Daech représentée par le groupe Aboul Walid as-Sahrawi a pu fuir vers
nombre de zones du nord du Mali, et vers certaines régions de Tunisie difficiles
d’accès, comme al-Mghila et Samama, dans les gouvernorats d’al-Qasrayn et Sidi
Bouzayd, après les coups que lui ont portés al-Qaïda. Cela explique peut-être
la tentative d’Abou Walid as-Sahrawi de calmer les craintes de l’organisation
après son retour dans la région en janvier 2018, en déclarant sa
disposition à coopérer avec al-Qaïda pour affronter la force conjointe du
Sahel.
En Somalie, Daech, qui annonça son
existence en octobre 2015 après que le chef Abdel Qader Momen ait quitté le
mouvement des Chebabs Moudjahidines avec quelque 200 adeptes, a été obligée de
fuir dans certaines zones de la côte comme celle d’Il Mado au nord-est de la
Somalie après l’attaque du mouvement contre ses positions en 2014, ou dans le
village de Qandala qu’elle n’a pu contrôler que jusqu’à la fin du mois de
décembre 2016. Et cela pour éviter les coups des Chebabs Moudjahidines, d’une
part, et les frappes des drones américains, d’autre part, comme l’attaque menée
contre l’organisation au nord-est de la Somalie en novembre 2017, dans laquelle
certains de ses éléments ont été tués.
Nouveaux changements
Etant donné ces pressions, Daech
a recouru à nombre d’outils pour lui permettre de surmonter ces défaites, ce
qui fait qu’elle représente toujours un danger malgré tout ce qu’elle a subi.
C’est ce qu’a indiqué une déclaration du Pentagone en date du 17 octobre 2018, par
la bouche du chef d’état-major interarmées américain le général Joseph Dunford,
lors de la conférence sur la lutte contre l’extrémisme qui s’est tenue à la
base militaire d’Andrews à côté de Washington, avec la participation des
militaires de 82 pays. Ce dernier a ainsi affirmé que le « succès dans la
liquidation de l’organisation aurait lieu à long terme, et serait le résultat
de la déchirure du tissu qui lie les combattants étrangers et l’idéologie dans
un même réseau ». Par conséquent, il est possible de déterminer les
principales transformations qui ont aidé Daech à survivre de la façon
suivante :
-
Le renoncement au contrôle de la terre : la fuite des éléments de
Daech de leurs fiefs vers de nouvelles régions intervient dans le cadre d’une
nouvelle stratégie de l’organisation, résultant de son incapacité à conserver
ces fiefs : à savoir, le renoncement au principe du contrôle de la terre, qui
était le sien depuis 2014, c’est-à-dire le contrôle total, militaire et
organisationnel, d’un lieu donné, par une présence permanente, ce qui en
faisait une cible facile des raids aériens. Cette nouvelle stratégie souple, consistant
à se trouver dans des zones de façon non permanente, est celle adoptée par
al-Qaïda et ses branches depuis leur création, et Daech vient de l’adopter en
Syrie, après avoir perdu à peu près tous ses principaux fiefs. Elle a donné à
l’organisation une meilleure capacité de mouvement et de manœuvre et lui a
permis de lancer des attaques éclairs lui facilitant la récupération de
certaines zones qu’elle avait perdues, comme celle qui a eu lieu à la fin du
mois d’octobre 2018 en Syrie, et qui lui a permis de récupérer la dernière
poche qu’elle contrôlait à Dayr az-Zor, à l’est de l’Euphrate, après en avoir
été délogée par les Forces démocratiques syriennes. Cela amena l’Irak à
renforcer sa présence militaire aux frontières, pour éviter l’infiltration des
éléments de Daech. Ces forces avaient lancé le 10 septembre 2018, avec le
soutien de la coalition internationale menée par les Etats-Unis, une opération
militaire contre l’organisation dans la zone de Hajin à l’extrémité est de la
campagne de Dayr az-Zor, à proximité des frontières irakiennes. Elles sont
parvenues à progresser et à prendre le contrôle de villes et villages, mais
l’organisation a commencé il y a plus de deux semaines à lancer des
contre-attaques à vaste échelle, en profitant d’une tempête de sable dans cette
zone désertique.
-
Redéploiement : Daech et nombre de ses
branches ont adopté récemment la tactique du redéploiement pour surmonter ses
déboires militaires. Cela lui a permis de survivre, après être sortie de ses
fiefs principaux, étant donné que la présence dans une région unique l’exposait
à des coups répétés. La branche de l’organisation en Libye est le meilleur
exemple d’un redéploiement réussi, dans des zones importantes qui représentent
la ligne de démarcation entre les forces en conflit dans le pays. L’importance
de cette tactique est apparue après sa sortie de Syrte, au moment où elle s’est
redéployée dans le sud et a pris le contrôle de la route principale reliant
Syrte au nord du pays et Sebha à l’extrême sud. Cela lui a permis de compenser
son repli après sa sortie des villes qu’elle contrôlait, et d’obtenir de
nouveaux fiefs où elle puisse jouir d’une protection géographique, et s’étendre
dans les pays voisins comme le Tchad et le Niger.
-
L’émigration vers les branches : Daech a cherché récemment
à encourager les combattants étrangers à rejoindre ses branches les plus
fortes, étant donné leur incapacité à partir pour l’Irak et la Syrie. C’est le
cas de la branche du wilaya du Khorassan en Afghanistan, qui jouit d’une grande
capacité de redéploiement, et impose ses lois à nombre de zones, comme elle l’a
révélé par le biais d’une séquence vidéo « la vie à l’ombre de la
charia » diffusée en février 2017. C’est pourquoi elle est considérée
comme la seule branche dont la force augmente, alors que les autres branches
soit sont stables soit en régression. Cela s’explique par le fait qu’elle
possède des ressources financières importantes, outre des groupes de
combattants professionnels, à l’expertise militaire et organisationnelle élevée,
ce qui lui a permis de mener des opérations de qualité comme l’attaque contre
l’ambassade irakienne à Kaboul à la fin juillet 2017, contre l’hôpital
militaire de la capitale le 8 mars 2017 et contre la Cour Suprême en février
2017.
Cette force montante n’a pas seulement permis à l’organisation de
compenser une partie de ses échecs en Syrie et en Irak, mais en a fait le point
de mire des terroristes désirant rejoindre Daech, et ne pouvant partie pour
l’Irak ou la Syrie. En effet, de nombreux rapports en décembre 2017 ont révélé
que l’organisation avait accueilli de nombreux daéchiens d’Algérie et de
France, outre des groupes d’Ouzbékistan, de Tchétchénie et de Tadjikistan,
après qu’ils eurent passé un certain temps en Syrie et en Irak. L’organisation
a créé un camp qui leur est réservé au sud-ouest du walaya de Jowzjan. Ils ont
été aidés à se déplacer par la fragilité des frontières de l’Afghanistan permettant
l’entrée des combattants étrangers, en particulier avec le Pakistan : la
zone montagneuse où se trouvent de nombreux sentiers de montagne où passent les
éléments terroristes.
-
Le fait de surmonter les divisions : Daech est parvenue malgré
ses crises à surmonter les divisions, ce qui lui a permis de préserver sa
cohésion organisationnelle jusqu’à maintenant. Cela a également été le cas de
ses branches extérieures, comme le groupe nigérian Boko Haram qui est un cas
rare parmi les organisations terroristes, non seulement pour sa force militaire
et organisationnelle, mais aussi pour sa capacité à surmonter les divisions, bien
que ces dernières aient conduit à la formation de deux factions, l’une
dépendant de Daech, et l’autre d’al-Qaïda : c’est ainsi qu’aucune
confrontation n’a eu lieu entre les deux parties ni lutte d’influence, mais
elles ont au contraire coopéré ce qui leur a permis de multiplier leurs
attaques sans craindre de se heurter l’une à l’autre : en effet, Shekau et
al-Barnawi ont dès la scission en août 2017 été soucieux de coopérer en
permanence et de trouver des canaux de communication entre les deux groupes.
C’est ainsi que certains rapports indiquent que les deux hommes se sont
rencontrés en octobre 2017 dans la forêt de Sambisa, et ont fixé le champ
d’activité de chaque faction aux niveaux géographique et organisationnel, de
façon à éviter des heurts entre les deux. Ainsi, l’Etat de Yobe, zone
d’influence du groupe d’al-Barnawi, a été témoin d’une attaque contre une base
militaire. Et c’est la même zone où a eu lieu l’enlèvement de 111 jeunes filles
d’une école en février 2018.
-
Activation des cellules dormantes : ces éléments cachés de
Daech inconnus des services de sécurité sont parmi les outils les plus
importants de l’organisation pour préserver son activité terroriste, soit dans
les zones qu’elle contrôlait, soit dans les zones lointaines où elle souhaite
avoir une activité terroriste, surtout que certaines zones contiennent toujours
des « lionceaux du califat » qui représentent actuellement des
ressources humaines importantes, et ces cellules jouent maintenant un rôle
essentiel dans les attaques terroristes à Raqqa et Dayr az-Zor. C’est ce qu’indique
l’annonce par les forces démocratiques syriennes, le 1er octobre
2018, de leur découverte d’une cellule dormante dépendant de l’organisation,
qui préparait une série d’attaques dans la ville de Raqqa. De même, un commandant
des Forces de sécurité intérieure, Ahmad Khalaf, a déclaré que les cellules
dépendant de Daech étaient responsables de la tension sécuritaire dans la
ville, et que quatre de leurs éléments avaient été arrêtés, dont deux d’entre
eux impliqués dans la pose d’explosifs à l’intérieur de la ville.
-
Activation des groupes extérieurs : Daech a été soucieuse
récemment d’activer ses groupes extérieurs qui se composent de nombreux
éléments qui ont prêté allégeance à l’organisation, mais que celle-ci ne
considère pas comme une de ses branches. Et cela en menant des attaques
terroristes imprévisibles et frappant de nouvelles zones, ce qui a provoqué la
panique dans de nombreux pays. Ce fut le cas de l’attaque suicide qui a visé le
13 mai 2018 trois églises dans trois lieux différents d’Indonésie, avec 10
minutes d’intervalle entre deux attaques successives, ce qui indique le désir
de Daech d’étendre son activité à de nouvelles zones, comme l’Asie du Sud, en
activant ses éléments et cellules dormantes dans ces pays en particulier
l’Indonésie, après avoir activé ses groupes aux Philippines qui ont mené une
attaque éclair contre la ville de Marawi dans l’île de Mindanao, au sud des
Philippines, le 16 mai 2017. Le choix de l’Asie du sud par l’organisation
s’explique par la densité démographique de la plupart de ses pays, et par des
facteurs géographiques comme ses dizaines de milliers de petites îles qui
peuvent servir de cachette pour les éléments terroristes, outre la pauvreté des
gens qui facilite le recrutement par le biais des incitations financières, et
la discrimination ethnique et confessionnelle dont souffrent les jeunes
musulmans.
-
Les attaques lointaines : il semble que les
pressions croissantes auxquelles est soumise Daech-mère en Irak et en Syrie
l’aient poussée à tenter d’activer ses éléments extérieurs dans le but de créer
de nouveaux foyers terroristes, qui lui permettent d’intensifier son activité
extérieure pour compenser le recul de l’organisation-mère. Cela a été illustré
par l’attaque de certains éléments loyaux à l’organisation, visant des
touristes étrangers, dont un Américain, un Suisse et un Hollandais, à la fin
juillet 2018. Il semble ainsi que l’organisation désire utiliser les éléments
qui se trouvent en Asie centrale, du fait de leur niveau éducatif élevé, et de
leur connaissance de plus d’une langue dont le russe, outre leur expertise dans
l’utilisation des médias sociaux, ce qui a aidé l’organisation à publier des
revues dans ces langues. Certains possèdent aussi des compétences militaires et
organisationnelles, du fait de leur participation aux combats en Irak et en
Syrie. Cela montre le désir de Daech de créer de nouveaux foyers en Asie
centrale, pour prouver sa capacité à s’étendre, malgré les pressions qu’elle
subit, et s’en servir de base pour atteindre la Russie et la Chine.
-
Recrutement des éléments des Frères : la période récente a vu
de nombreux éléments du groupe des Frères rejoindre les rangs de Daech, et
exécuter des opérations à son profit, ou au moins coopérer avec elle. Le plus
connu est Mahmoud Chafiq, qui a attaqué l’église Saint-Pierre du Caire, en
septembre 2016, et était membre du groupe des Frères avant de rejoindre Daech
ou ce qui est connu sous le nom de « Wilaya Sina ». C’est également
le cas de Omru ad-Dib qui est apparu dans une séquence vidéo de l’organisation
avec un groupe de ses éléments, en train d’exécuter des opérations terroristes
contre les forces de l’armée et de la police, ou encore de Mohammad Magdi
ad-Dalei qui a occupé le poste d’émir de la « Hisba » dans la Wilaya
Sina et est l’auteur de la fatwa autorisant à tuer les musulmans en prière dans
la mosquée d’ar-Rawda.
Mais ce sont aussi les éléments du mouvement Hamas de tendance frériste
qui ont rejoint la Wilaya Sina, comme l’a révélé l’attaque le 7 juillet 2017
contre des points de contrôle de l’armée au sud de la ville de Rafah :
deux ex-membres du mouvement Hamas, Moadh al-Qadi et Khalil al-Hamayideh,
faisaient partie des attaquants. Par conséquent, la transformation n’a pas eu
lieu uniquement au niveau idéologique, mais aussi à celui de la participation
aux opérations. Certains d’entre eux ont été tués dans les affrontements avec
les forces de l’armée égyptienne, comme Mohammad Hassan Abou Chawich, et Abdel
Hilal Qechta, ex-membre des brigades Ezzeddine al-Qassam, tué dans un raid
aérien mené contre des objectifs dépendant de Daech an Sinaï en décembre 2016.
En Tunisie, le rapport du Centre international d’Etudes stratégiques,
sécuritaires et militaires – dont le siège est à Tunis – a révélé en avril 2018
des informations sur l’implication du groupe des Frères musulmans de Tunisie
dans les opérations de transport de combattants vers la Syrie et l’Irak au
profit de Daech, avant d’être impliqué à nouveau dans l’entrée en Tunisie de
combattants de retour des zones de combat, grâce à de faux passeports et de
manière illégale, et parfois par le biais de contrats de travail fictifs dans
des pays étrangers.