Publié par CEMO Centre - Paris
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Changements radicaux Les aspects des transformations des organisations al-Qaïda et Daech dans la région

samedi 03/novembre/2018 - 04:24
La Reference
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Les organisations al-Qaïda et Daech ont subi des transformations diverses ces dernières années étant donné les développements liés à la guerre contre le terrorisme, qui a conduit à l’assèchement de nombre de sources de financement de ces organisations et les a obligées à tenter de s’adapter pour pouvoir survivre, d’une part, et s’étendre d’autre part, en trouvant des mécanismes alternatifs pour affronter les nouveaux défis. C’est ainsi qu’elles ont dû élaborer de nouvelles stratégies. La question est donc : quels sont donc les traits principaux de ces transformations, de façon à cerner la situation de ces organisations dans la période à venir.

 

Premièrement : les transformations chez al-Qaïda

Al-Qaïda traverse une étape sans précédent de son histoire, étant donné la montée en puissance de ses branches, qui représentent la vraie force de l’organisation, au vu du recul d’al-Qaïda-mère dirigée par Ayman az-Zawahiri, qui est devenue un simple symbole et une façade médiatique autour de laquelle se regroupent les branches, plus qu’une entité organisationnelle véritable capable de se déployer et de mener des attaques terroristes.

Ces branches ont cherché à exploiter ce recul de Daech dans la région, pour étendre leur influence dans les zones où elles sont présentes. Cela les a poussées à adopter une nouvelle politique, différente de celle d’al-Qaïda-mère, car moins centrée sur le ciblage des intérêts américains, qui étaient la cible préférée d’al-Qaïda. Elles sont ainsi devenues la force réelle de l’organisation.

D’autre part, ces branches sont parvenues à créer une « duperie idéologique » en se focalisant sur certains concepts essentiels de l’idéologie d’al-Qaïda, comme celui d’ « ennemi proche » qui signifie le fait de cibler les régimes politiques, qu’elles ont transformé en lutte contre tous ceux qui entravent leur expansion, même s’il s’agit d’organisations extrémistes. Cela a incité des branches d’al-Qaïda à combattre les groupes dépendant de Daech dans leurs zones d’influence, en considérant ce combat comme passant avant celui contre les régimes politiques. C’est ainsi que l’organisation « al-Qaïda dans les pays du Maghreb islamique » est la première à avoir adopté cette méthode, en créant un groupe militaire professionnel, appelé « Katibat al-Fath al-Mubin » (Brigade de la victoire éclatante), comprenant quelque 100 combattants, dont la mission était de poursuivre les groupes daéchiens et de les liquider. Ce qui arriva de fait avec le groupe de « Skikda » qui avait fait scission avec al-Qaïda et déclaré son allégeance à al-Baghdadi en mars 2016. Cette orientation a été confirmée par un membre du Conseil de la Choura de l’organisation, Abou Hicham Abou Akram, qui a déclaré en janvier 2017 que Daech avait disparu de la région pour toujours.

En Somalie, la direction du mouvement des Chebabs Moudjahidines prit la décision en avril 2017 de tuer tout membre dissident se rattachant à Daech, et elle fit plus d’efforts pour récupérer le groupe qui était allé rejoindre Daech que pour recruter de nouveaux membres, du fait qu’elle pensait que la chute de l’organisation en Irak et en Syrie conduirait à l’effondrement de sa branche en Somalie, et que ce groupe n’aurait plus d’autre choix que de retourner dans le mouvement.

 

Le rôle des branches dans la protection de l’organisation

Nous pouvons dire que les branches de l’organisation d’al-Qaïda ont en général protégé cette dernière, que ce soit en diffusant son idéologie dans ses zones d’influence, après être parvenues à la protéger contre la disparition, en particulier après les attaques idéologiques lancées contre elle par Daech. Elles ont également pu la protéger du point de vue organisationnel, en lui permettant de frapper, grâce à ces bras, de nombreuses régions, après que l’organisation-mère fut devenue incapable de mener des opérations terroristes, du fait de la disparition de la plupart de ses éléments et cadres, et de l’incapacité de ceux qui restaient de se déplacer, ce qui l’a empêchée de recruter de nouveaux éléments. C’est ainsi que ces branches ont pu faire revenir al-Qaïda sur le devant de la scène djihadiste, après que Daech fut parvenue pendant longtemps à tirer le tapis sous ses pieds.

Cette force croissante dont jouissent les branches de l’organisation d’al-Qaïda a rendu leurs cadres plus puissants et influents d’un point de vue organisationnel – malgré leur affirmation du rang symbolique d’az-Zawahiri – étant donné que chacune d’elles est devenue semblable à une organisation indépendante, possédant une structure militaire et organisationnelle. Certaines sont même devenues transfrontalières, comme l’organisation d’al-Qaïda dans les pays du Maghreb islamique, qui est active dans plus d’un Etat (comme le Niger, le Mali, la Tunisie ou la Libye). D’autres sont parvenues à contrôler de grands territoires, comme les Chebabs Moudjahidines de Somalie. Il est donc possible d’affirmer que l’organisation d’al-Qaïda est devenue un ensemble de branches puissantes et dynamiques, sans lesquelles elle n’existerait pas. A la différence de Daech, qui était une organisation présente sur le terrain, et menant de nombreuses opérations – avant la perte de ses bastions principaux en Irak et en Syrie – ce qui lui a permis de créer de nombreuses branches à l’étranger.

 

Les principaux traits de ces transformations

Le fait que chacune de ces branches ait des avantages relatifs et des points de force particuliers a joué en faveur de l’organisation d’al-Qaïda, qui a pris ainsi la tête des organisations terroristes dans le monde. Par conséquent, les développements dans la région et en particulier le recul de Daech et la montée d’al-Qaïda et de ses branches ont imposé à ces dernières un ensemble de transformations importantes, qui se sont manifestées clairement en 2018, et cela pour éviter les coups prévisibles de la communauté internationale, d’une part, et pouvoir s’étendre, d’autre part. Ces transformations peuvent se résumer ainsi :

-       Décentralisation organisationnelle : l’organisation d’al-Qaïda avec ses diverses branches a été soucieuse ces dernières années de multiplier ses groupes, dans le cadre de la décentralisation organisationnelle suivie par l’organisation dans la gestion de ses branches. « Al-Qaïda dans les pays du Maghreb islamique », la plus grande branche de l’organisation et la plus puissante, étant donné sa présence importante dans le nord et l’ouest de l’Afrique, possède de nombreux groupes terroristes, ce qui lui a permis une extension sans précédent durant les dernières années. Cela s’est fait d’abord par le biais de ses groupes locaux comme le groupe « Imarat as-Sahra », « Al-Mawqufun bil ad-dima », « At-Tawhid wal-djihad », ou « l’organisation Oqba ibn Nafie ». Ou encore par le biais d’alliances fortes avec nombre d’organisations armées proches d’elle idéologiquement comme Ansar ad-Din  au nord du Mali, ou le mouvement Tahrir Massina, ce qui a conduit à l’apparition d’un groupe nouveau du nom de « Nusrat al-Islam wal-Mouslimin » en mars 2017, sous la direction d’Iyad Agha Ghali, chef d’Ansar ad-Din, et ces alliances ont permis à al-Qaïda d’étendre son influence à de nombreuses régions du Sahel et du Sahara, en traduisant en outre sa puissance et son influence dans cette région, puisqu’elle a pu contraindre tous les membres du nouveau groupe à lui prêter allégeance.

-       Le camouflage et la fusion : parmi les ruses utilisées par al-Qaïda pour éviter les frappes militaires, de façon à pouvoir obtenir une certaine marge de liberté et de manœuvre, figure le fait d’exercer ses activités sous des noms divers autres que « al-Qaïda », comme c’est le cas des groupes dépendant d’elle en Libye, travaillant sous les noms de « Ansar ach-Charia » ou « Saraya ad-Difa’ ‘an Benghazi », qui ont été ouvertement soutenus par al-Qaïda le 2 juin 2016. De même, elle a annoncé son lien avec l’organisation Ansar ach-Charia, dans son communiqué annonçant la création du groupe « « Nusrat al-Islam wal-Mouslimin » et qui fait l’éloge de Mohammad az-Zahawi, ex-chef de l’organisation en Libye. Mais malgré cela, ces groupes nient tout lien avec al-Qaïda, ce qui rend la présence de cette organisation en Libye floue d’un point de vue organisationnel.

Cette présence se caractérise également par la fusion et l’interaction avec les groupes d’al-Qaïda dans la zone du Sahel et du Sahara. Cela a permis à ces groupes de pénétrer facilement en Libye, soit en créant des camps d’entraînement dans les zones d’influence des groupes locaux, soit en leur fournissant des aides pour renforcer la présence invisible d’al-Qaïda dans le pays. Comme cela est arrivé lors des confrontations du port de Raas Lanouf en mars 2017, lorsqu’al-Qaïda a incité nombre de groupes extérieurs à soutenir les groupes locaux lors de ces combats. Par conséquent, ces groupes sont soucieux de cacher leur présence dans le pays, ce qui s’accorde avec les efforts de l’organisation pour dissimuler son influence, considérant que cela lui permettra de travailler en Libye sans attirer l’attention, pour éviter les frappes futures des forces internationales de lutte contre le terrorisme.

-       Restructuration : les frappes de l’aviation américaine contre certaines branches d’al-Qaïda les ont obligées à une certaine restructuration organisationnelle, et c’est ce qu’a fait récemment l’Organisation d’al-Qaïda dans la péninsule arabe, qui a choisi le Yémen pour siège. C’est l’une des branches d’al-Qaïda les plus puissantes du point de vue de la cohésion organisationnelle, et c’est ce qui lui a permis de survivre malgré les coups que lui ont portés les Etats-Unis ou le gouvernement légal du Yémen, soutenu par les forces de la coalition arabe. En effet, l’organisation possède de nombreux cadres aux compétences organisationnelles élevées, et cela lui permet de remplacer rapidement ceux qui sont tués, comme dans le cas de Nasser al-Wahichi, ex-chef de l’organisation, tué en juin 2015 : l’organisation a aussitôt nommé Qassem ar-Rimi, qui n’était pas moins compétent que son prédécesseur. De même, les alliances tribales et la présence de certains combattants étrangers ont contribué à cette cohésion, comme l’a fait comprendre Qassem ar-Rimi dans l’entretien publié par l’organisation en avril 2017, au cours duquel il a fait l’éloge du rôle des tribus et des « moudjahidines émigrés » (combattants étrangers) en aidant l’organisation à faire face aux dangers qu’elle doit affronter.

-       Elargissement du champ de la violence : il semble que l’organisation-mère vise à élargir le champ de sa présence pour inclure des régions stratégiques comme l’Afrique de l’est. C’est ce qu’a révélé une séquence vidéo du chef de l’organisation Ayman az-Zawahiri en avril 2018, portant le titre « L’Afrique de l’est : la frontière sud de l’islam » et publiée par le bras médiatique de l’organisation, as-Sahab, et dans laquelle il parle de l’importance de cette région pour renforcer la force de l’organisation si elle parvenait à y accroître son influence.

Ce désir poussa le mouvement des Chébabs Moudjahidines de Somalie à élargir nettement le champ de la violence, ce qui conduisit à le considérer comme l’une des branches d’al-Qaïda les plus sanguinaires. Cela est apparu nettement lors de ses opérations successives qui n’ont épargné ni les militaires ni les civils. Ce fut le cas lors de ses attaques contre les villes, comme celle menée le 12 septembre 2018 contre la ville de Merca dans la région du Bas-Chébéli, à 90 kms de Mogadiscio. Citons aussi les attaques ayant visé les forces armées somaliennes et qui ont montré la capacité du mouvement à menacer la stabilité du pays, comme celle exécutée le 23 juillet 2018 contre une base militaire au sud du pays, et qui a tué 27 soldats. A la suite de quoi, le mouvement est parvenu à imposer son contrôle sur la base, distance de 50 kms du port de Kismayo.

La violence du mouvement s’est étendue également aux voisins de la Somalie. C’est ainsi que les autorités kenyanes ont révélé au début d’octobre 2018 que le mouvement était parvenu à augmenter le rythme de ses attaques et de son recrutement de jeunes dans les régions nord du Kenya frontalières de la Somalie. Et Ali Roba, gouverneur du comté de Mandera, a affirmé que les combattants de l’organisation mènent actuellement une vaste opération de recrutement aux frontières et dans l’intérieur du pays, ce qui représente une menace réelle pour son pays.

-       L’activité souple : al-Qaïda se distingue essentiellement de Daech par le fait qu’elle ne cherche pas à contrôler un lieu donné et se contente d’une activité organisationnelle, par une présence opérationnelle et organisationnelle dans des régions déterminées, sans les contrôler ni s’y installer de façon permanente. Cela lui a permis d’éviter de subir des coups qui auraient provoqué son effondrement organisationnel, ce que Daech a cherché à appliquer  récemment, après avoir perdu quasiment tous ses bastions principaux en Syrie, ce qui l’a obligée à redéployer ses combattants dans le désert syrien s’étendant jusqu’aux frontières irakiennes, comme point de départ pour mener ses attaques éclairs.

Cette souplesse a encouragé l’organisation à s’étendre jusqu’à de nouvelles régions, et à revenir dans les régions dont elle était sortie, comme sa tentative récente de revenir en Tunisie, révélée par le meurtre de Bilal al-Qibi, l’un des auxiliaires les plus importants de Abdel Malek Drudkal, chef d’al-Qaïda dans les pays du Maghreb islamique, par les forces tunisiennes au début de février 2018 : cela indique en effet le désir de l’organisation de s’étendre dans la période à venir en tentant d’exploiter le recul de Daech, et ceci en déployant géographiquement ses groupes de façon à rendre difficile sa liquidation directe.

-       Elargissement des alliances : parmi les outils les plus importants utilisés par al-Qaïda durant les dernières années pour renforcer son influence figure l’élargissement de ses diverses alliances, comme les alliances organisationnelles établies par l’organisation « al-Qaïda au Sahel et au Sahara » et ses divers groupes, considérée comme la branche d’al-Qaïda qui a conclu le plus d’alliances avec les tribus. En effet, elle a conclu des alliances fortes et directes avec les organisations armées rattachées aux principales tribus et ethnies de cette région, et qui affichent des tendances djihadistes et religieuses bien qu’il s’agisse d’organisations ethniques et tribales.  C’est ainsi qu’elle est parvenue à rassembler le mouvement Ansar ad-Din, au nord du Mali, rattaché aux tribus touaregs, et le Front de libération du Macina qui représente les Tribus Foulanis (Peuls), dans un même groupe appelé « Nusrat al-Islam wal Muslimin », dont la création a été annoncée en mars 2017, sous la direction d’Iyad Agha Ghali, chef d’Ansar ad-Din. Cette alliance permit à al-Qaïda d’étendre son influence dans de nombreuses régions du Sahel et du Sahara.

-       L’expansion idéologique : les alliances tribales d’al-Qaïda facilitent la diffusion des idées des branches de l’organisation parmi les membres de ces tribus ou des autres tribus qui sont proches d’elles, étant donné le contexte de liberté exempt d’obstacles majeurs dans lequel elles sont diffusées. D’autant plus que le recul de l’idéologie daéchienne encourage l’organisation à occuper le sommet de l’idéologie djihadiste, et lui a permis de faire parvenir ses idées jusqu’à des zones nouvelles, comme le Burkina Faso. Dans ce pays, est apparu le groupe Ansar al-Islam, qui adopte dans une large mesure l’idéologie d’al-Qaïda, et a mené des opérations terroristes dont l’une des plus connues est l’attaque contre des postes de police en mars 2017. Or, si ce groupe a adopté l’idéologie d’al-Qaïda, c’est parce qu’elle est répandue au sein de l’ethnie foulanie, à laquelle il est rattaché ainsi que son grand frère le « Front de libération du Macina », l’un des principaux alliés d’al-Qaïda dans la région du Sahel et du Sahara.

 

Deuxièmement : les transformations chez Daech

Les défaites de l’organisation Daech dans nombre de régions ont poussé ses combattants à fuir vers de nouvelles zones, comme en Irak et en Syrie, où elle a perdu près de 98% des territoires qu’elle contrôlait, ce qui a conduit ses éléments à se redéployer dans d’autre zones, pour faire face aux pressions militaires croissantes. Ainsi, en Irak, les combattants de l’organisation se sont redéployés dans des zones comme Wadi Houran, ou le Désert occidental, et certains se sont dirigés vers des zones reculées de nombreux gouvernorats, comme Ninive, Salaheddine, ou al-Anbar, où se trouvaient encore des poches daéchiennes, que l’organisation parvint à exploiter pour reconstituer ses rangs. Et en Syrie, ses éléments sont parvenus à s’implanter dans des régions comme la Ghouta orientale et le camp de Yarmouk, dans la zone du quartier d’al-Qadam au sud de Damas, et dans nombre de zones d’al-Boukamal, outre la tentative de certains d’entre eux de revenir dans la ville de Dayr az-Zor, et dans d’autres endroits du pays. 

Ces défaites ne se sont pas limitées à l’organisation-mère et se sont étendues à certaines de ses branches et groupes. Ainsi, en Libye, l’organisation a perdu son fiel principal dans la ville de Syrte qu’elle contrôlait depuis 2015, après que le gouvernement d’entente nationale eut lancé une opération militaire en mai 2016 pour la récupérer. L’organisation a aussi été chassée de nombre d’autres régions, à Derna et Benghazi, entre 2015 et 2017. Cela a poussé ses éléments à se replier sur le sud, lors de la plus grande opération de redéploiement.

Dans la zone du Sahel et du Sahara, Daech représentée par le groupe Aboul Walid as-Sahrawi a pu fuir vers nombre de zones du nord du Mali, et vers certaines régions de Tunisie difficiles d’accès, comme al-Mghila et Samama, dans les gouvernorats d’al-Qasrayn et Sidi Bouzayd, après les coups que lui ont portés al-Qaïda. Cela explique peut-être la tentative d’Abou Walid as-Sahrawi de calmer les craintes de l’organisation après son retour dans la région en janvier 2018, en déclarant sa disposition à coopérer avec al-Qaïda pour affronter la force conjointe du Sahel.

En Somalie, Daech, qui annonça son existence en octobre 2015 après que le chef Abdel Qader Momen ait quitté le mouvement des Chebabs Moudjahidines avec quelque 200 adeptes, a été obligée de fuir dans certaines zones de la côte comme celle d’Il Mado au nord-est de la Somalie après l’attaque du mouvement contre ses positions en 2014, ou dans le village de Qandala qu’elle n’a pu contrôler que jusqu’à la fin du mois de décembre 2016. Et cela pour éviter les coups des Chebabs Moudjahidines, d’une part, et les frappes des drones américains, d’autre part, comme l’attaque menée contre l’organisation au nord-est de la Somalie en novembre 2017, dans laquelle certains de ses éléments ont été tués.

 

Nouveaux changements

Etant donné ces pressions, Daech a recouru à nombre d’outils pour lui permettre de surmonter ces défaites, ce qui fait qu’elle représente toujours un danger malgré tout ce qu’elle a subi. C’est ce qu’a indiqué une déclaration du Pentagone en date du 17 octobre 2018, par la bouche du chef d’état-major interarmées américain le général Joseph Dunford, lors de la conférence sur la lutte contre l’extrémisme qui s’est tenue à la base militaire d’Andrews à côté de Washington, avec la participation des militaires de 82 pays. Ce dernier a ainsi affirmé que le « succès dans la liquidation de l’organisation aurait lieu à long terme, et serait le résultat de la déchirure du tissu qui lie les combattants étrangers et l’idéologie dans un même réseau ». Par conséquent, il est possible de déterminer les principales transformations qui ont aidé Daech à survivre de la façon suivante :

-       Le renoncement au contrôle de la terre : la fuite des éléments de Daech de leurs fiefs vers de nouvelles régions intervient dans le cadre d’une nouvelle stratégie de l’organisation, résultant de son incapacité à conserver ces fiefs : à savoir, le renoncement au principe du contrôle de la terre, qui était le sien depuis 2014, c’est-à-dire le contrôle total, militaire et organisationnel, d’un lieu donné, par une présence permanente, ce qui en faisait une cible facile des raids aériens. Cette nouvelle stratégie souple, consistant à se trouver dans des zones de façon non permanente, est celle adoptée par al-Qaïda et ses branches depuis leur création, et Daech vient de l’adopter en Syrie, après avoir perdu à peu près tous ses principaux fiefs. Elle a donné à l’organisation une meilleure capacité de mouvement et de manœuvre et lui a permis de lancer des attaques éclairs lui facilitant la récupération de certaines zones qu’elle avait perdues, comme celle qui a eu lieu à la fin du mois d’octobre 2018 en Syrie, et qui lui a permis de récupérer la dernière poche qu’elle contrôlait à Dayr az-Zor, à l’est de l’Euphrate, après en avoir été délogée par les Forces démocratiques syriennes. Cela amena l’Irak à renforcer sa présence militaire aux frontières, pour éviter l’infiltration des éléments de Daech. Ces forces avaient lancé le 10 septembre 2018, avec le soutien de la coalition internationale menée par les Etats-Unis, une opération militaire contre l’organisation dans la zone de Hajin à l’extrémité est de la campagne de Dayr az-Zor, à proximité des frontières irakiennes. Elles sont parvenues à progresser et à prendre le contrôle de villes et villages, mais l’organisation a commencé il y a plus de deux semaines à lancer des contre-attaques à vaste échelle, en profitant d’une tempête de sable dans cette zone désertique.

-       Redéploiement : Daech et nombre de ses branches ont adopté récemment la tactique du redéploiement pour surmonter ses déboires militaires. Cela lui a permis de survivre, après être sortie de ses fiefs principaux, étant donné que la présence dans une région unique l’exposait à des coups répétés. La branche de l’organisation en Libye est le meilleur exemple d’un redéploiement réussi, dans des zones importantes qui représentent la ligne de démarcation entre les forces en conflit dans le pays. L’importance de cette tactique est apparue après sa sortie de Syrte, au moment où elle s’est redéployée dans le sud et a pris le contrôle de la route principale reliant Syrte au nord du pays et Sebha à l’extrême sud. Cela lui a permis de compenser son repli après sa sortie des villes qu’elle contrôlait, et d’obtenir de nouveaux fiefs où elle puisse jouir d’une protection géographique, et s’étendre dans les pays voisins comme le Tchad et le Niger.

-       L’émigration vers les branches : Daech a cherché récemment à encourager les combattants étrangers à rejoindre ses branches les plus fortes, étant donné leur incapacité à partir pour l’Irak et la Syrie. C’est le cas de la branche du wilaya du Khorassan en Afghanistan, qui jouit d’une grande capacité de redéploiement, et impose ses lois à nombre de zones, comme elle l’a révélé par le biais d’une séquence vidéo « la vie à l’ombre de la charia » diffusée en février 2017. C’est pourquoi elle est considérée comme la seule branche dont la force augmente, alors que les autres branches soit sont stables soit en régression. Cela s’explique par le fait qu’elle possède des ressources financières importantes, outre des groupes de combattants professionnels, à l’expertise militaire et organisationnelle élevée, ce qui lui a permis de mener des opérations de qualité comme l’attaque contre l’ambassade irakienne à Kaboul à la fin juillet 2017, contre l’hôpital militaire de la capitale le 8 mars 2017 et contre la Cour Suprême en février 2017.

Cette force montante n’a pas seulement permis à l’organisation de compenser une partie de ses échecs en Syrie et en Irak, mais en a fait le point de mire des terroristes désirant rejoindre Daech, et ne pouvant partie pour l’Irak ou la Syrie. En effet, de nombreux rapports en décembre 2017 ont révélé que l’organisation avait accueilli de nombreux daéchiens d’Algérie et de France, outre des groupes d’Ouzbékistan, de Tchétchénie et de Tadjikistan, après qu’ils eurent passé un certain temps en Syrie et en Irak. L’organisation a créé un camp qui leur est réservé au sud-ouest du walaya de Jowzjan. Ils ont été aidés à se déplacer par la fragilité des frontières de l’Afghanistan permettant l’entrée des combattants étrangers, en particulier avec le Pakistan : la zone montagneuse où se trouvent de nombreux sentiers de montagne où passent les éléments terroristes.

-       Le fait de surmonter les divisions : Daech est parvenue malgré ses crises à surmonter les divisions, ce qui lui a permis de préserver sa cohésion organisationnelle jusqu’à maintenant. Cela a également été le cas de ses branches extérieures, comme le groupe nigérian Boko Haram qui est un cas rare parmi les organisations terroristes, non seulement pour sa force militaire et organisationnelle, mais aussi pour sa capacité à surmonter les divisions, bien que ces dernières aient conduit à la formation de deux factions, l’une dépendant de Daech, et l’autre d’al-Qaïda : c’est ainsi qu’aucune confrontation n’a eu lieu entre les deux parties ni lutte d’influence, mais elles ont au contraire coopéré ce qui leur a permis de multiplier leurs attaques sans craindre de se heurter l’une à l’autre : en effet, Shekau et al-Barnawi ont dès la scission en août 2017 été soucieux de coopérer en permanence et de trouver des canaux de communication entre les deux groupes. C’est ainsi que certains rapports indiquent que les deux hommes se sont rencontrés en octobre 2017 dans la forêt de Sambisa, et ont fixé le champ d’activité de chaque faction aux niveaux géographique et organisationnel, de façon à éviter des heurts entre les deux. Ainsi, l’Etat de Yobe, zone d’influence du groupe d’al-Barnawi, a été témoin d’une attaque contre une base militaire. Et c’est la même zone où a eu lieu l’enlèvement de 111 jeunes filles d’une école en février 2018.

-       Activation des cellules dormantes : ces éléments cachés de Daech inconnus des services de sécurité sont parmi les outils les plus importants de l’organisation pour préserver son activité terroriste, soit dans les zones qu’elle contrôlait, soit dans les zones lointaines où elle souhaite avoir une activité terroriste, surtout que certaines zones contiennent toujours des « lionceaux du califat » qui représentent actuellement des ressources humaines importantes, et ces cellules jouent maintenant un rôle essentiel dans les attaques terroristes à Raqqa et Dayr az-Zor. C’est ce qu’indique l’annonce par les forces démocratiques syriennes, le 1er octobre 2018, de leur découverte d’une cellule dormante dépendant de l’organisation, qui préparait une série d’attaques dans la ville de Raqqa. De même, un commandant des Forces de sécurité intérieure, Ahmad Khalaf, a déclaré que les cellules dépendant de Daech étaient responsables de la tension sécuritaire dans la ville, et que quatre de leurs éléments avaient été arrêtés, dont deux d’entre eux impliqués dans la pose d’explosifs à l’intérieur de la ville.

-       Activation des groupes extérieurs : Daech a été soucieuse récemment d’activer ses groupes extérieurs qui se composent de nombreux éléments qui ont prêté allégeance à l’organisation, mais que celle-ci ne considère pas comme une de ses branches. Et cela en menant des attaques terroristes imprévisibles et frappant de nouvelles zones, ce qui a provoqué la panique dans de nombreux pays. Ce fut le cas de l’attaque suicide qui a visé le 13 mai 2018 trois églises dans trois lieux différents d’Indonésie, avec 10 minutes d’intervalle entre deux attaques successives, ce qui indique le désir de Daech d’étendre son activité à de nouvelles zones, comme l’Asie du Sud, en activant ses éléments et cellules dormantes dans ces pays en particulier l’Indonésie, après avoir activé ses groupes aux Philippines qui ont mené une attaque éclair contre la ville de Marawi dans l’île de Mindanao, au sud des Philippines, le 16 mai 2017. Le choix de l’Asie du sud par l’organisation s’explique par la densité démographique de la plupart de ses pays, et par des facteurs géographiques comme ses dizaines de milliers de petites îles qui peuvent servir de cachette pour les éléments terroristes, outre la pauvreté des gens qui facilite le recrutement par le biais des incitations financières, et la discrimination ethnique et confessionnelle dont souffrent les jeunes musulmans.

-       Les attaques lointaines : il semble que les pressions croissantes auxquelles est soumise Daech-mère en Irak et en Syrie l’aient poussée à tenter d’activer ses éléments extérieurs dans le but de créer de nouveaux foyers terroristes, qui lui permettent d’intensifier son activité extérieure pour compenser le recul de l’organisation-mère. Cela a été illustré par l’attaque de certains éléments loyaux à l’organisation, visant des touristes étrangers, dont un Américain, un Suisse et un Hollandais, à la fin juillet 2018. Il semble ainsi que l’organisation désire utiliser les éléments qui se trouvent en Asie centrale, du fait de leur niveau éducatif élevé, et de leur connaissance de plus d’une langue dont le russe, outre leur expertise dans l’utilisation des médias sociaux, ce qui a aidé l’organisation à publier des revues dans ces langues. Certains possèdent aussi des compétences militaires et organisationnelles, du fait de leur participation aux combats en Irak et en Syrie. Cela montre le désir de Daech de créer de nouveaux foyers en Asie centrale, pour prouver sa capacité à s’étendre, malgré les pressions qu’elle subit, et s’en servir de base pour atteindre la Russie et la Chine.

-       Recrutement des éléments des Frères : la période récente a vu de nombreux éléments du groupe des Frères rejoindre les rangs de Daech, et exécuter des opérations à son profit, ou au moins coopérer avec elle. Le plus connu est Mahmoud Chafiq, qui a attaqué l’église Saint-Pierre du Caire, en septembre 2016, et était membre du groupe des Frères avant de rejoindre Daech ou ce qui est connu sous le nom de « Wilaya Sina ». C’est également le cas de Omru ad-Dib qui est apparu dans une séquence vidéo de l’organisation avec un groupe de ses éléments, en train d’exécuter des opérations terroristes contre les forces de l’armée et de la police, ou encore de Mohammad Magdi ad-Dalei qui a occupé le poste d’émir de la « Hisba » dans la Wilaya Sina et est l’auteur de la fatwa autorisant à tuer les musulmans en prière dans la mosquée d’ar-Rawda.

Mais ce sont aussi les éléments du mouvement Hamas de tendance frériste qui ont rejoint la Wilaya Sina, comme l’a révélé l’attaque le 7 juillet 2017 contre des points de contrôle de l’armée au sud de la ville de Rafah : deux ex-membres du mouvement Hamas, Moadh al-Qadi et Khalil al-Hamayideh, faisaient partie des attaquants. Par conséquent, la transformation n’a pas eu lieu uniquement au niveau idéologique, mais aussi à celui de la participation aux opérations. Certains d’entre eux ont été tués dans les affrontements avec les forces de l’armée égyptienne, comme Mohammad Hassan Abou Chawich, et Abdel Hilal Qechta, ex-membre des brigades Ezzeddine al-Qassam, tué dans un raid aérien mené contre des objectifs dépendant de Daech an Sinaï en décembre 2016.

En Tunisie, le rapport du Centre international d’Etudes stratégiques, sécuritaires et militaires – dont le siège est à Tunis – a révélé en avril 2018 des informations sur l’implication du groupe des Frères musulmans de Tunisie dans les opérations de transport de combattants vers la Syrie et l’Irak au profit de Daech, avant d’être impliqué à nouveau dans l’entrée en Tunisie de combattants de retour des zones de combat, grâce à de faux passeports et de manière illégale, et parfois par le biais de contrats de travail fictifs dans des pays étrangers.

Pour conclure, on peut dire que les changements précédents indiquent clairement la capacité des organisations Daech et al-Qaïda et de leurs branches diverses à faire face aux pressions croissantes qui s’exercent sur elles, suite à la guerre internationale menée contre elles, et cela en s’appuyant sur nombre d’outils et de moyens non traditionnels qui leur ont permis de survivre jusqu’à maintenant. Cela montre qu’il est prématuré de parler de la liquidation totale du terrorisme aux niveaux idéologique et militaire, tant qu’une stratégie internationale pour traiter avec ces outils par le biais d’une coopération efficace permettant d’éradiquer les sources du terrorisme, 
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