Publié par CEMO Centre - Paris
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Calme trompeur en Syrie

samedi 15/janvier/2022 - 06:50
La Reference
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Un ancien colonel des services de renseignement syriens a été condamné à la prison à vie pour « crimes contre l’humanité. « Si loin, si proches », la chronique internationale de Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef revient sur la situation en Syrie.
 
On peut boire de l’arak – une eau-de-vie de raisin – aujourd’hui dans les cafés du bord de l’Euphrate, à Raqqa. Cette ville du nord-est de la Syrie eut le triste privilège d’être la « capitale » de Daech de 2014 à 2017.
C’est là qu’ont été planifiés la plupart des attentats terroristes qui ont frappé l’Europe, notamment ceux du 13 novembre 2015 dont le procès est en cours à Paris. Deux visiteurs, qui en reviennent, témoignent de conversations bien arrosées jusque tard dans la nuit. Détruite à 80 % lors de sa conquête par une milice kurde soutenue par une coalition occidentale, Raqqa est saisie depuis quelques mois par une fièvre de construction.+
Les trois quarts de sa population sont des personnes déplacées ayant fui d’autres régions du pays. Des entrepreneurs d’Alep, de Homs ou de Hama, villes sous le contrôle du régime syrien, s’y installent pour profiter du contexte économique plus dynamique.
Cette stabilisation est à l’œuvre dans toute la région frontalière avec la Turquie et l’Irak. Elle est conduite sous la houlette du Parti de l’union démocratique (PYD), une émanation du PKK, guérilla kurde dont la lutte principale vise Ankara. Depuis dix-huit mois, une administration locale se met en place, accompagnant le passage d’un contexte de guerre à une vie civile normalisée.
L’exécutif régional, qui ne reconnaît pas l’autorité du régime de Damas, a publié récemment son projet de budget pour l’année 2022 – près de 630 millions de dollars (555 millions d’euros) – couvert par des recettes provenant à 80 % de la production de pétrole. Les dépenses comprennent notamment les salaires de 130 000 « fonctionnaires », qui assurent des tâches de plus en plus diversifiées.
La situation reste fragile et ne doit pas faire illusion. La paix est un rêve lointain. Le nord-est syrien est pris en tenaille entre le régime de Damas, qui veut y réaffirmer sa souveraineté, et la Turquie, profondément hostile et qui occupe des enclaves toutes proches. La région est, comme tout le pays, dans un calme provisoire troublé par des escarmouches sur les lignes de contact. Des équilibres ont été trouvés entre forces armées hostiles sous le patronage de puissances extérieures où domine la Russie.
Au nord-est, les Kurdes ; au nord-ouest, les djihadistes du Hayat Tahrir Al-Cham, ancienne branche d’Al-Qaida. Le régime de Bachar Al Assad gouverne quant à lui de façon aléatoire les deux tiers du territoire en concédant une partie du contrôle à des milices pro-iraniennes. Daech mène encore quelques raids dans le désert. Les conditions d’existence sont catastrophiques pour la population dont la moitié est exilée ou déplacée à travers le territoire, 80 % vivant sous le seuil de pauvreté. Aucun processus de négociation n’est en cours. Ils ont tous été épuisés, les uns après les autres.
Dans cette parenthèse incertaine, le PYD kurde entend consolider son avantage. Il fait circuler dans sa région un « contrat social » présenté comme un document constituant. Il prévoit des élections qui devraient conforter son régime de parti unique : sous la férule de la guérilla, les oppositions ont bien de la peine à s’organiser. Cette concession à la démocratie vise à soigner les relations avec les États-Unis et la France, toujours présents militairement dans la zone. Mais le scrutin devrait violemment irriter la Turquie. Sur les rives de l’Euphrate, l’arak permet aussi de ne pas trop penser à l’avenir.

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