Des Egyptiens que j’ai connus à Paris (23) Iglal et Berto Farhi, l’Egypte dans le cœur
Les Causeries du vendredi à Paris
Des Egyptiens que j’ai connus à Paris (23)
Iglal et Berto Farhi, l’Egypte dans le cœur
Lorsque la journaliste française Iglal Farhi – née au Caire en 1922 – quitta notre monde en 2019, je me suis souvenu soudainement qu’Iglal appartenait à la grande famille égyptienne Zananiri et qu’elle était l’épouse du grand journaliste juif égyptien Ibrahim Farhi que nous connaissons en France sous le nom de Berto Farhi. Elle fut également la mère de Catherine Farhi qui a enseigné dans des instituts de science politique et a dirigé pendant de nombreuses années le département de traduction à l’ambassade de France au Caire.
J’ai eu l’immense chance de connaître ces trois personnes à Paris, et j’aimerais commencer par Iglal qui était égyptienne jusqu’à la moelle, au point qu’elle m’a chanté, lorsque je l’ai rencontrée par hasard au café Polymaggo, dans la banlieue de Neuilly, alors qu’elle avait plus de 95 ans, des chansons folkloriques égyptiennes. Iglal avait laissé la direction du club de jazz le plus fameux de Paris, le New Morning, qu’elle avait fondé longtemps auparavant, à sa fille Catherine, et elle adorait évoquer ses souvenirs au Caire et à Alexandrie, ce qui était devenu pour elle le prétexte pour revivre ses souvenirs égyptiens durant les derniers moments de sa vie.
Avant de créer le New Morning, Iglal avait travaillé dans la revue égyptienne illustrée Image, puis dans la revue française Le Point, et aux éditions du Seuil, où elle avait pour collègue le célèbre journaliste français Jean Lacouture.
Elle épousa le grand journaliste et écrivain juif égyptien Ibrahim Farhi, qui avait été le conseiller de presse du cheikh d’al Azhar, et qui accueillit Jean Lacouture lorsqu’il visita Le Caire six mois seulement après la création du Mouvement de l’armée en 1952.
Suite à la guerre de 1967, la famille Farhi quitta l’Egypte, la mort dans l’âme. Et le destin voulut qu’elle soit accueillie à Paris par Jean Lacouture et sa femme Simonne jusqu’à ce qu’ils s’adaptent à leur nouvelle vie.
La première publication d’Ibrahim Farhi fut « L’Egypte que j’aime », avec une introduction de Simonne Lacouture, à la maison d’édition Sun, tandis qu’Iglal publia son « Escale au New Morning » aux éditions Gallimard, avec un volet émouvant sur ses souvenirs en Egypte.
J’ai vécu les moments les plus heureux de ma vie lorsque je rencontrais Berto et Iglal chez Jean et Simonne Lacouture, parce que l’histoire égyptienne contemporaine se matérialisait devant moi avec ses personnages et ses héros, et parce que les discussions avaient lieu en français émaillé d’expressions et de termes égyptiens amusants . Cela reflétait une certaine nostalgie de ce passé où se mélangeaient politique, littérature, et journalisme. J'ai heureusement des photos magnifiques de certaines de ces rencontres.
Alors que je préparais mon livre sur la biographie de Jean Lacouture « Jean Lacouture, par monts et par mots », Berto Farhi me donna rendez-vous au café Polymaggo pour me raconter son histoire avec les Officiers Libres en Egypte, et comment il fut l’intermédiaire entre eux et Lacouture, ainsi que son expérience de travail, alors qu’il était juif, avec le cheikh d’al Azhar Moustapha Abdel Razeq. L’Egypte était une terre de tolérance, et un phare de cosmopolitisme en Orient.
Tous mes hommages à la mémoire d’Iglal et de Berto Farhi et tous mes vœux de réussite à Catherine Farhi.