Publié par CEMO Centre - Paris
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Les renseignements irakiens… naissance difficile et défis actuels

vendredi 26/octobre/2018 - 06:24
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Ahmad Sami Abdel Fattah

 

L’Irak a subi de nombreux changements durant les deux dernières décennies, qui ont eu un impact clair sur ses priorités sécuritaires et de renseignements, et depuis son occupation en 2003, les services de sécurité irakiens font face à d’énormes défis comme le passage des groupes terroristes d’al-Qaïda à Daech, ce dernier tentant de contrôler les grandes villes irakiennes pour former son soi-disant « califat islamique ».

La montée de Daech en 2014 a manifesté l’effondrement du système de renseignements irakiens qui a totalement échoué à prévoir le danger de l’organisation, ce qui a conduit à la perte par la République irakienne d’une grande partie de ses territoires au profit d’un groupe d’extrémistes armés.

Cet échec des renseignements irakiens s’explique par l’absence de leur stabilité structurelle. Ils sont passés dans leur histoire par des étapes décisives. Ils sont nés comme une unité sécuritaire à l’intérieur du Parti Baath, et avec l’arrivée d’Ahmad Hassan al-Bakr au pouvoir en 1968, Saddam transforma l’Unité sécuritaire à l’intérieur du Parti en service spécial chargé des renseignements intérieurs et extérieurs. Et en 1973, son nom fut changé en « Services des renseignements généraux irakiens », et Saddam s’assura qu’ils restent sous sa tutelle directe, tout le long de sa carrière comme cadre du Baath, puis vice-président de la République et enfin président.[i]

Avec la chute de Bagdad en avril 2003, les Services de renseignements irakiens furent supprimés et les autorités nouvelles de l’Irak fondèrent de nouveaux services de renseignements comprenant des éléments différents. C’est ainsi que le nouvel administrateur américain de l’Irak Paul Bremer prit la pire décision dans l’histoire de l’Irak moderne, à savoir le licenciement des employés irakiens dans l’armée et les renseignements sous prétexte de leurs sympathies baathistes et de leurs liens avec Saddam, ce qui provoqua un séisme dans les renseignements irakiens et leur fit perdre leur capacité à saisir les dangers sécuritaires.

Les nouveaux services inaugurés en 2004 sous le nom de « Services de renseignements nationaux irakiens », eurent une naissance difficile, et furent incapables de comprendre tous les aspects du danger qui menaçait le peuple irakien, ce qui provoqua une grande instabilité sécuritaire dont profitèrent les groupes terroristes et confessionnels.

La stabilité structurelle est l’un des traits qui caractérisent les services de sécurité en général, en leur permettant de déterminer la spécificité des menaces qu’ils doivent affronter, tout en changeant les dirigeants pour présenter de nouvelles visions plus adaptées. Parfois, les services de renseignements élargissent leurs structures fonctionnelles, créent de nouvelles structures, ou fusionnent leurs unités sécuritaires dans le but d’améliorer la préparation de leurs éléments au niveau des informations, ce qui permet de suivre les stratégies sophistiquées des éléments terroristes.

Récemment, l’Irak a réussi, grâce à l’aide des pays de la coalition internationale (qui s’appuyait surtout sur des informations des services de renseignements extrêmement précis), à vaincre l’organisation Daech et son soi-disant Etat, et à libérer Mossoul en juillet 2017, et l’armée irakienne continue à libérer les autres régions occupées par Daech. Ces succès militaires ont soulevé de nouvelles questions sur le rôle des renseignements irakiens face aux dangers et défis de l’après-Daech.

 

Premier point : changement des priorités des renseignements irakiens

Après l’invasion américaine de l’Irak en 2003, les renseignements irakiens furent totalement dissous, du fait qu’ils étaient le bras sécuritaire du régime baathiste de Saddam Hussein. Avant qu’ils ne soient reconstitués selon une nouvelle philosophie, celle de la lutte contre les groupes terroristes surtout après la montée des actes de violence confessionnelle de 2006 à 2008.

Remarquons ici que les priorités des renseignements irakiens changèrent complètement, et après que leur but eut été, durant le règne de Saddam Hussein, de faire face aux menaces extérieures comme l’ennemi iranien ou américain, et d’affronter les rébellions internes des Kurdes et des chiites, il se limita après Saddam aux dangers internes, en faisant face aux organisations terroristes dépendant d’al-Qaïda, et plus tard de Daech, ainsi qu’à la situation confessionnelle et ethnique complexe du pays.

C’est ainsi que les Renseignements perdirent leur capacité à déterminer leurs priorités sécuritaires, et ils se transformèrent au début en instrument entre les mains de la CIA, en combattant les mouvements de résistance à l’occupation américaine, et petit à petit, en instrument de renforcement du confessionnalisme en Irak pour servir les objectifs iraniens.

 

Perte de son indépendance

Pendant toute la période de l’occupation américaine, les Services de renseignements irakiens furent privés de toute indépendance dans la détermination de leurs priorités sécuritaires, étant donné leur domination par les Américains, outre la politique des Etats-Unis de formation des éléments des nouveaux Renseignements irakiens, en s’assurant de la loyauté de ces éléments. Il faut citer aussi le façonnement de la structure hiérarchique de ces Renseignements de façon à garantir aux Etats-Unis leur domination sur ces Services aux niveaux administratif et informationnel.

En d’autres termes, il n’était pas dans la capacité des Services de renseignements irakiens de garder des documents secrets relatifs à une quelconque menace sécuritaire à l’intérieur du pays sans en informer les Etats-Unis. Cette subordination se refléta sur les dirigeants irakiens, lorsque le premier ministre Nouri al-Maliki demanda aux Etats-Unis de reporter le retrait de leurs forces d’Irak après 2011, étant donné l’incapacité des services de sécurité irakiens à assumer eux-mêmes cette tâche à l’époque.[ii]

 

Second point : l’exploitation du vide des renseignements par les groupes terroristes

L’absence d’indépendance professionnelle des Renseignements irakiens contribua à créer de vastes espaces où les groupes terroristes purent se déployer. Ainsi, al-Qaïda, exploitant le chaos dans le pays, y constitua une branche en 2003 sous la direction d’Abou Mosaab az-Zarqawi : « At-Tawhid wal Djihad », avant de changer de nom plus d’une fois et de devenir l’organisation terroriste Daech, qui s’empara de vastes territoires de Syrie et d’Irak en 2014.

En outre, l’occupation américaine de l’Irak donna l’occasion à l’organisation al-Qaïda d’attirer des éléments extrémistes sous prétexte de combattre l’occupation. Notons qu’al-Qaïda a tenté de reproduire l’expérience du djihad afghan qui avait été nourri par l’occupation soviétique, avec sa brutalité militaire et son idéologie communiste refusant toute forme de religiosité. Cela donna à l’outil médiatique du djihad afghan le moyen d’exporter l’image de la guerre soviétique contre l’islam, ce qui permit à l’organisation de recruter davantage d’éléments extrémistes venant du monde entier.

 

Troisième point : des défis fondamentaux

Durant la période de l’après-Daech, les services de renseignements irakiens continuent à affronter des menaces et des défis fondamentaux, qui affectent l’intégrité future de l’Etat irakien et poussent les responsables à remédier à cette situation de façon à empêcher toute tentative de retour de la part des groupes extrémistes. Parmi ces menaces, citons :

-      Celles des restes de l’organisation extrémiste à l’intérieur de l’Irak : Daech reste capable de menacer occasionnellement les forces de sécurité irakiennes, ce qui empêche toute sécurité actuellement en Irak. Par exemple, l’organisation s’appuie sur les enlèvements et les meurtres pour nuire à la performance sécuritaire du gouvernement central à Bagdad. Ainsi, selon les données du ministère irakien de l’Intérieur, des éléments de Daech ont exécuté 83 opérations d’enlèvements en juin 2018, ce qui confirme la capacité de l’organisation de menacer la sécurité du pays.[iii]

-      Le retour de Daech à la stratégie des attaques sporadiques : il s’agit de lancer des attaques contre des cibles déterminées à des moments espacés dans le temps et dans des zones géographiques éloignées les unes des autres, de façon à disperser les efforts des forces de sécurité irakiennes, qui constituent le pilier de la lutte contre les organisations extrémistes. Cette stratégie s’appuie sur des « inghimassiyoun », c’est-à-dire des éléments qui s’infiltrent dans les rangs ennemis avec diverses armes, en n’utilisant leur ceinture explosive qu’en cas d’épuisement de leurs munitions, de façon à causer le maximum de pertes parmi les forces irakiennes.

-      L’affrontement indirect : l’organisation peut recourir aussi à des attaques indirectes contre un objectif militaire mobile dans les zones libérées. Par exemple, des reliquats de l’organisation extrémiste ont attaqué au mortier le village de Tel adh-Dhahab dans le gouvernorat de Kirkouk le 23 juin 2018.[iv] Ce qui signifie qu’après sa défaite, l’organisation a suivi une stratégie de confrontation indirecte, du fait qu’elle ne possédait pas les armes lourdes lui permettant d’occuper à nouveau des territoires. D’autre part, des rapports de renseignements indiquent que les reliquats de l’organisation extrémiste restent présents dans nombre de gouvernorats, dont Ninive et Salah ad-Din, selon le journal ach-Charq al-Awsat[v].

-      Dénombrement des terroristes : cela est le plus défi que doivent relever les renseignements irakiens actuellement, étant donné que des poches de résistance de l’organisation existent toujours dans certains gouvernorats comme Diyala et Salah ad-Din. Les estimations des services de renseignements à ce propos divergent, car si les renseignements américains avancent le chiffre de 6000 combattants de Daech en Irak et en Syrie, un rapport des Nations unies parle de 30000 éléments.[vi] Il est donc indispensable que les renseignements irakiens consentent davantage d’efforts pour obtenir le nombre réel des membres de l’organisation, dans le but de connaître ses facteurs de force et de faiblesse. Tout en prenant en compte le fait qu’elle possède des éléments actifs qui restent armés, à côté d’autres éléments peut-être intégrés dans la vie civile en attendant le retour armé dans l’organisation. Ce qui signifie qu’une simple évaluation des éléments actifs est erronée, car dès que les autres éléments « invisibles » retourneront au combat, l’équilibre des forces sera modifié, sans parler de l’effet de surprise que cela produira.

-      Destin d’al-Baghdadi : son arrestation est un autre défi pour les renseignements irakiens, du fait qu’il est le père spirituel de l’organisation. Cela signifie que le simple fait de s’en débarrasser portera un coup sévère aux tentatives de Daech visant à revenir sur la scène irakienne. Cependant, les rapports sur cette question sont contradictoires, et alors que la Russie a annoncé en 2017 qu’elle l’avait tué dans un raid aérien, un enregistrement sonore de sa voix a été diffusé par les outils médiatiques de l’organisation en août de cette année, ce qui prouve que tous les rapports ayant indiqué qu’il avait été tué sont erronés. Les renseignements irakiens sont donc face à un véritable problème s’agissant de cet homme.

-      Les documents volés : les renseignements irakiens continuent de faire face à ce problème majeur des documents qui ont disparu après que Daech eut pris le contrôle d’un grand nombre de villes d’Irak. D’autre part, les services de renseignements internationaux ont mis la main sur nombre de documents relatifs à l’organisation après sa défaite, ce qui suggère qu’elle a un besoin impérieux de restructuration dans le but d’empêcher les intrusions étrangères et d’imposer à nouveau sa souveraineté sur les zones qu’elle a perdues. En outre, l’Agence de presse irakienne Buratha a indiqué que les Renseignements irakiens avaient pu récupérer 15000 documents relatifs à Daech et qui avaient été transférés aux Etats-Unis[vii].

-      La présence étrangère : nous ne pouvons ignorer la présence des forces étrangères sur le territoire irakien, qui représentent une menace pour les Renseignements, car ces forces établissent des relations avec les formations sociales pour garantir leur accès aux informations loin de toute coordination avec les Renseignements nationaux irakiens eux-mêmes. Cela entraîne des transgressions graves à l’encontre des services de sécurité et de renseignements du pays, et nous pouvons ainsi dire que la récupération par les Renseignements irakiens de toutes leurs prérogatives suppose la récupération par les forces de sécurité de leur capacité de combat et l’imposition de leur tutelle à toutes les régions et aux poches de l’organisation Daech, ce qui rendra la mission de l’organisation plus difficile.

-      La présence iranienne : l’Iran menace par sa présence la souveraineté et l’indépendance des territoires irakiens, et l’Etat iranien tente de contrôler les centres de prises de décision politique et sécuritaire, en exploitant les liens doctrinaux avec les chiites d’Irak. Ainsi, l’Iran fournit à ces groupes chiites des armes et des missiles pour améliorer leur capacité de combat, loin des forces de sécurité nationales, ce qui rendra l’Irak incapable de préserver sa souveraineté nationale, et aura des conséquences sur la performance de ses forces de sécurité.

-      Les Renseignements des milices : les milices armées irakiennes ont créé de petites unités de renseignements chargées de collecter les informations, ce qui diminue l’efficacité des renseignements nationaux au profit de leurs concurrents confessionnels, et sert finalement le but de l’Iran d’infiltrer les renseignements de l’Irak.

-      Documents volés : les documents sont la mémoire de tous les services de renseignements dans le monde, et grâce à eux, il est possible de collecter les informations et d’analyser les données. Mais dans le cas du chaos sécuritaire en Irak, les groupes extrémistes ou les milices chiites peuvent trouver l’occasion de mettre la main sur ces documents dans l’avenir, et de même des Etats qui ont intérêt à ce que l’Etat irakien continue à connaître la violence et l’extrémisme.

 

Pour conclure, nous devons indiquer que la performance des renseignements irakiens dans la période à venir sera liée dans une large mesure à celle du commandement politique, qui doit prendre en compte le fait que l’unité de l’Irak est une nécessité pour empêcher les ingérences étrangères. En effet, la division de la société irakienne en communautés confessionnelles encourage ces dernières à rechercher une aide matérielle en dehors du cadre de l’Etat irakien pour affirmer leur existence. Et pour cela, il faut renforcer le rôle des organisations nationales face aux groupes confessionnels et aux milices armées – comme le Rassemblement populaire – qui ont acquis une force militaire et de renseignements qui leur permet d’agir en dehors du contrôle de l’armée irakienne.

 

Sources :

 

 



[i] Zuhayr Kazem Aboud, A propos de l’institution sécuritaire construite par le régime renversé (1-2), al-Mady, disponible sur le lien suivant : https://almadapaper.net/sub/05-116/p11.htm

 

1)  [vi] Bethan McKernan, up to 30000 isis fighters remain in iraq and Syria, says UN

,https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/isis-fighters-iraq-syria-un-report-jihadis-raqqa-iraq-a8492736.html

 

[vii] L’Agence de presse Buratha, qu’est-ce que les Services de renseignements irakiens ont récupéré des Etats-Unis?

http://burathanews.com/arabic/reports/333307

 

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