Présidentielle en Libye : pourquoi la date du 24 décembre est incertaine
mercredi 15/décembre/2021 - 04:34
a question mérite d’être posée alors que les Libyens doivent en principe élire leur président dans dix jours. Cette élection présidentielle est censée matérialiser l’aboutissement d’un processus de transition parrainé par l’ONU pour pacifier le pays pétrolier nord-africain et le sortir du chaos qui a suivi la chute du guide Mouammar Kadhafi en 2011. Mais l’organisation de ce scrutin représente un gros défi pour les autorités intérimaires. La Haute Commission électorale n’a toujours pas publié la liste définitive des candidats éligibles. Officiellement, elle devait être annoncée au plus tard quinze jours avant la date du scrutin, soit le 24 décembre. Conséquence, malgré les quelques affichages et les moyens annoncés pour soutenir le processus, la campagne électorale n’a toujours pas démarré. Sur l’aspect politique, la tension monte entre les différentes figures, et notamment autour du cas de Saïf al-Islam Kadhafi.
« Ça va être difficile d’obtenir un scrutin le 24 décembre. Les Libyens ne sont pas prêts. On ne voit pas comment on pourrait organiser une élection présidentielle sans campagne électorale », a fait savoir, ce mardi 14 décembre à Radio France Internationale, Jean-Claude Gakosso, le ministre des Affaires étrangères du Congo-Brazzaville, pays dont le président, Denis Sassou-Nguesso, est à la tête du comité de haut niveau de l’Union africaine (UA) sur la crise libyenne.
Maintenant, dans le cas du maintien du scrutin, d’énormes chantiers attendent l’exécutif qui en sortirait.
Les élections vont-elles avoir lieu ?
L’élection du futur président reste très hypothétique en raison des divergences sur la base juridique du scrutin.
Le Parlement, basé à Tobrouk dans l’est, a ratifié sans vote en septembre une loi électorale controversée taillée sur mesure pour le maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle de facto l’est et une partie du sud du pays. La loi lui permet de retrouver son poste à la tête de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) s’il n’était pas élu.
Samedi 11 décembre, l’autorité électorale a reporté l’annonce de la liste des candidats retenus pour la présidentielle, rendant de plus en plus improbable sa tenue le 24 décembre.
Les conditions de sécurité sont-elles réunies ?
Malgré les progrès politiques enregistrés depuis un an, la sécurité reste précaire. Dans l’Est, le maréchal Haftar a instauré un système très autoritaire, taxé de « dictature militaire » par ses détracteurs.
Ces dernières semaines, le processus électoral a été émaillé d’incidents : des hommes armés ont bloqué l’accès au tribunal de Sebha (sud) pour empêcher les avocats de Saïf al-Islam Kadhafi, fils cadet de l’ex-dictateur Mouammar Kadhafi, de faire appel du rejet de sa candidature à la présidentielle.
Si ces hommes armés se sont finalement retirés et que la justice a rétabli la candidature du fils Kadhafi, ces incidents ont suscité la « grande inquiétude » du gouvernement intérimaire et de l’ONU.
Des doutes subsistent aussi sur la capacité des autorités à protéger les bureaux de vote. Après les incidents à Sebha, le ministre de l’Intérieur, Khaled Mazen, a laissé entendre que ses services n’étaient pas en mesure d’assurer la sécurité.
Sur les réseaux sociaux, des électeurs ont affirmé ne pas avoir trouvé leurs cartes électorales, récupérées, selon eux, par d’autres, alimentant des soupçons de fraude. Plus de 2 300 cartes d’électeur ont été dérobées dans 5 bureaux de vote par des hommes armés dans l’ouest du pays, notamment à Tripoli.
Les résultats seront-ils acceptés ?
C’est l’une des principales craintes. En Tripolitaine, dans l’Ouest, le maréchal Haftar suscite une profonde animosité.
Saïf al-Islam Kadhafi, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité, est aussi contesté, de même qu’Abdelhamid Dbeibah, Premier ministre par intérim, qui s’était engagé à ne pas se présenter.
Que le scrutin soit reporté ou non, les conditions pour des « élections libres et équitables ne sont pas réunies, les Libyens étant trop divisés pour accepter ou s’entendre sur les résultats », estime Jamal Benomar, ex-sous-secrétaire général de l’ONU et président du Centre international pour les initiatives de dialogue.