Comment la Biélorussie organise les voyages de migrants depuis l’Irak
vendredi 12/novembre/2021 - 07:19
Un important dispositif polonais de forces de l’ordre est actuellement déployé à la frontière avec la Biélorussie pour empêcher des centaines de migrants de la traverser. Il y a quelques semaines, un journaliste polonais s’était rendu au Kurdistan irakien à la rencontre de passeurs et de candidats au départ pour l’Union européenne via la Biélorussie.
NOS SERVICES
Où que l’on se trouve à Ranya, ville du Kurdistan irakien située à environ 50 kilomètres de la frontière avec l’Iran, on ne peut manquer de voir s’élever au-dessus des immeubles le Keva Rash, ce qui veut dire en kurde “la montagne noire”. À l’intérieur d’échoppes à demi obscures, des commerçants et leurs clients font des affaires louches pendant que, sur la place centrale couverte d’arbres, des dizaines d’hommes – et seulement des hommes, la région est conservatrice – jouent au backgammon ou boivent du thé fort.
C’est ici, attablé dans un coin, que je parle avec le coordinateur d’un réseau de passeurs qui font traverser la frontière polono-biélorusse avant d’emmener leurs “clients” plus à l’ouest – le plus souvent en Allemagne, mais parfois jusqu’au Royaume-Uni.
Je m’attendais à une atmosphère de clandestinité, mais mon contact est perçu comme un héros : les jeunes s’écartent de son chemin tandis que les personnes plus âgées viennent à sa rencontre pour le saluer. “Ici, tout le monde rêve de l’Europe. Moi, je leur vends ces rêves”, sourit-il avec fierté. Il affirme que, depuis le printemps, il a fait passer en Europe de l’Ouest des centaines de personnes.
Après vingt-cinq ans de carrière de passeur dans différents pays, il n’est plus présent lui-même sur le terrain et a ses complices de part et d’autre de la frontière polono-biélorusse. Les uns récupèrent les clients à Minsk, les amènent à un endroit précis, leur indiquent sur leur téléphone l’itinéraire à suivre et les laissent dans la forêt, généralement de nuit. De l’autre côté, deux Polonais les attendent en voiture pour les conduire ensuite plus à l’ouest. Des agences de voyages se chargent pour leur part de faire venir à Minsk les migrants comme touristes.
“C’est un peu comme les sports extrêmes, tu sais que c’est dangereux, mais tu tentes. Combien de personnes se sont noyées en mer, et pourtant, d’autres continuent de vouloir faire la traversée. Quand ils apprennent l’existence d’un moyen de passer, rien ne peut plus les arrêter, même si nous [les Kurdes irakiens] ne souffrons pas de la faim comme les Afghans ou les Somaliens. En revanche, nous avons soif de vivre, et ici, il n’y a vraiment pas de perspective”, explique le passeur.
Il facture ses services 3 000 dollars, mais d’autres peuvent demander jusqu’à 12 000 dollars pour un voyage clés en main qui comprend les préparatifs et le vol. Les transactions se règlent par hawala, un système informel de transfert d’argent populaire au Moyen-Orient, dans le sous-continent indien et en Afrique. Il ne repose ni sur des espèces ni sur des virements bancaires, mais sur des intermédiaires de confiance auxquels les passeurs ont ajouté un élément : des films enregistrés par téléphone. Par exemple, avant son départ, le migrant verse le prix de la traversée à un hawaladar local. Une fois arrivé en Allemagne, il se rend chez un autre intermédiaire, le plus souvent un commerçant légal, à la tête d’un magasin de téléphones disons, et confirme dans une vidéo être parvenu à destination. Le hawaladar en Allemagne prend alors contact avec son homologue pour débloquer le paiement dû aux passeurs.
Des “agences de voyage malhonêtes”
Les passeurs et les représentants des autorités polonaises se livrent une bataille de communication. Le ministère des Affaires étrangères polonais assure en effet publier “dans la presse locale, sur les sites Internet de ses représentations diplomatiques et sur les médias sociaux des mises en garde contre les agences de voyages malhonnêtes et les groupes organisés de passeurs.” D’ailleurs, pendant mon séjour au Kurdistan irakien, un membre du gouvernement polonais a déclaré à un média kurde que la frontière polonaise était très bien