L'Iran continue d'expulser des Afghans, qui dénoncent des brutalités
jeudi 11/novembre/2021 - 11:01
Chaque semaine, l'Iran expulse des dizaines de milliers d'Afghans, malgré le retour des talibans et les risques de famine dans leur pays. Parmi les revenants, beaucoup disent avoir été maltraités par Téhéran.
Depuis plus de quarante ans, de nombreux Afghans ont fui les guerres et le manque de travail chez eux pour trouver refuge à l'ouest, en Iran.
Depuis août, le départ des forces américains et le retour au pouvoir des talibans a tari les flux d'aide internationale et enfoncé encore plus l'économie afghane, déjà mise à mal par le Covid-19 et une grave sécheresse.
A l'abord du rude hiver local, la moitié de la population est menacée par la faim selon l'ONU, qui a appelé les pays d'accueil à ne plus expulser d'Afghans au vu de la situation dans leur pays.
Mais l'Iran continue de les renvoyer de force et massivement, y compris ceux installés dans le pays depuis longtemps.
Interrogés par l'AFP à leur retour au pays, ces Afghans ont raconté qu'avant d'être expulsés, ils ont été placés dans des camps, où beaucoup disent avoir vécu un enfer.
"Ils ne nous traitaient pas comme des humains", explique à l'AFP Abdul Samad, 19 ans, qui travaillait dans le bâtiment en Iran depuis un an pour nourrir sa famille.
Il raconte avoir été battu par les autorités iraniennes dans un camp de détention de migrants car il n'avait pas de quoi payer son voyage retour pour l'Afghanistan.
"Ils nous liaient les mains et nous bandaient les yeux avec des morceaux de tissu, nous insultaient".
Des récits qui ne pouvaient être vérifiés de source indépendante mais qui sont concordants et que les agences de l'ONU n'ont pas souhaité commenter.
'Bonté et respect'
Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) de l'ONU, plus d'un million d'Afghans, la plupart expulsés, sont rentrés cette année d'Iran, dont 28.000 lors de la dernière semaine d'octobre.
"Les expulsés reviennent souvent sans un sou et cassés moralement, en ayant besoin de soins, de nourriture, et de tout le reste", a souligné le directeur de l'OIM, Antonio Vitorino, dans un communiqué.
L'Iran, qui partage près de 900 km de frontière avec l'Afghanistan, est l'un des pays qui compte le plus de réfugiés au monde, notamment des Afghans, souvent bien intégrés.
D'après le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), il y avait en Iran en 2020 plus de 3,4 millions d'Afghans, dont près de 2 millions de clandestins et 800.000 réfugiés.
Mais depuis 2018, Téhéran, asphyxié financièrement par les sanctions américaines liées à son programme nucléaire, a sévi contre l'immigration clandestine et fortement accéléré les déportations.
L'Iran dit faire de son mieux, et nie tout mauvais traitements.
"En plus de la nourriture, de l'abri, des médicaments et de l'école, nous donnons désormais aux réfugiés des vaccins contre le Covid-19", et ce malgré les "sanctions américaines sévères et illégales", a déclaré l'ambassadeur iranien à l'ONU, Majid Takht Ravanchi, cité par les médias iraniens.
"On ne peut pas attendre que l'Iran accueille autant d'Afghans avec si peu d'aide internationale", a plaidé le chef de l'ONG Norwegian refugee Council (NRC), Jan Egeland, qui s'est rendu cette semaine en Iran.
Le ministre iranien de l'Intérieur, Ahmad Vahidi, cité par le journal d'Etat Tehran Times, a appelé le mois dernier les Afghans à ne plus venir en Iran, dont les "capacités sont limitées".
Mais ceux qui y sont déjà sont "traitées avec bonté et respect", assure-t-il.
'On va errer'
Chaque jour en début d'après-midi, des bus venus d'Iran et remplis de familles épuisées arrivent à Islam Qala, côté afghan de la frontière.
L'AFP s'est entretenu avec une vingtaine de ces Afghans à la frontière et dans la ville proche d'Herat.
Tous ont raconté que ceux qui n'avaient pas les moyens de payer leur voyage retour pour l'Afghanistan étaient détenus dans des camps. Et nombreux sont ceux qui ont fait état de mauvais traitements.
"Le camp est surpeuplé, les gens très sales", décrit Majid, un jeune homme. Les téléphones portables y sont confisqués, pour que personne ne puisse montrer la situation, précise-t-il.
"Hier ils m'ont frappé. Tous ceux qui n'avaient pas d'argent, ils les battaient", dit Abdul Samad, 19 ans.
Selon plusieurs témoignages, les Afghans y sont entassés, parfois jusqu'à 1.500, dans des salles sombres, sans fenêtre, avec une seule porte.
Une fois rentrés, les expulsés doivent se reconstruire une vie dans un pays que souvent ils ne connaissent plus très bien, qui est désormais aux mains des talibans et au bord d'une crise humanitaire majeure à l'approche de l'hiver.
"On va errer ici", se désespère Abdul Samad, qui comme d'autres "ne sait pas où trouver d'argent pour rentrer" chez lui, dans la province de Ghor, une région extrêmement pauvre et isolée située à environ 12 heures de route.