Pour les migrants du Kurdistan d'Irak, l'Europe comme bouée de sauvetage
mercredi 10/novembre/2021 - 01:56
"Notre vie est affreuse": les mots sont à la hauteur du désespoir de Himen Gabriel qui ne voit plus aucun avenir au Kurdistan d'Irak. Il veut rallier l'UE comme des milliers d'autres migrants massés à la frontière du Bélarus et de la Pologne.
Longue barbe noire soignée et coupe à la mode, Himen, 28 ans, n'a que son taxi pour survivre, faute d'horizon professionnel à Erbil, la capitale du Kurdistan d'Irak.
Bientôt, le jeune homme fera ses valises, direction l'Europe. Comment? Il espère traverser la frontière avec la Pologne, pays membre de l'Union européenne, mais ne dit rien de son itinéraire.
Ces derniers jours, la crise migratoire en Europe s'est focalisée sur la frontière entre la Pologne et le Bélarus où les migrants sont au centre d'un bras de fer entre Minsk et Varsovie.
Des membres d'une famille kurde de Dohuk en Irak, près de Narewka, en Pologne, le 9 novembre 2021 (AFP/Archives - Wojtek RADWANSKI)
Entre 3.000 et 4.000 d'entre eux, principalement des Kurdes, sont pris au piège par un temps glacial à la frontière, où la présence de troupes des deux côtés fait craindre une confrontation.
Mais, explique Himen Gabriel, l'épreuve du voyage n'est rien à côté de la perspective de pouvoir "mener une vie tranquille" en Europe. De ses quatre frères "tous diplômés, aucun n'a trouvé de poste dans le secteur public parce qu'ils n'appartiennent à aucun parti politique", affirme-t-il.
-"Avenir meilleur"-
Le Kurdistan, région autonome du nord de l'Irak, se présente comme un havre pour sa stabilité et les investisseurs étrangers, mais il est régulièrement épinglé par les défenseurs de la liberté d'expression.
La région est tenue depuis des décennies par deux partis, l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) et le Parti démocratique du Kurdistan (PDK).
En mai, l'ONU a dénoncé des "arrestations arbitraires", des procès injustes et l'"intimidation des journalistes, militants et manifestants". Trois mille Kurdes ont quitté la région ces trois derniers mois, et 1.600 d'entre eux ont rallié le Bélarus grâce à un visa de tourisme, selon l'Association des réfugiés du Kurdistan.
Fouad Mamend, consul honoraire du Bélarus à Erbil, a indiqué à l'AFP que les consulats d'Erbil et de Bagdad étaient "fermés depuis une semaine à la demande du gouvernement irakien".
Selon lui, les Kurdes passent par des agences de voyage pour obtenir les visas de tourisme et les billets d'avion.
Le Bélarus est aussi l'horizon immédiat de Hiwa Fariq Mohammed, imprimeur à Souleimaniyeh, dans l'est du Kurdistan. Après quatre tentatives infructueuses, il va de nouveau prendre la route de l'Europe.
"Je veux partir à cause du manque de sécurité et de la situation économique difficile", dit l'homme de 44 ans à l'AFP: "Je veux assurer un avenir meilleur à mon fils et à ma fille".
-Gaz lacrymogène-
De son salon d'Erbil, Diler Ismael Mahmoud, 55 ans, n'en peut plus de souffrir. Douleur d'un père dont le fils Kilan, 25, ans est mort il y a un peu plus de dix jours au Bélarus, alors qu'il prévoyait d'entrer en Pologne avec un passeur.
"Il avait du diabète et une maladie de la moelle épinière", pleure M. Mahmoud. Les conditions climatiques, le voyage, la marche ont tué Kilan qui était parti avec deux frères, sa soeur, le mari de celle-ci ainsi que leur enfant de cinq ans dans l'espoir d'arriver en Allemagne.
"Nous pensions que cette route était facile. Beaucoup l'ont faite et ils disent que c'est une route sûre avec quatre heures de marche", se remémore Diler Ismael Mahmoud. "Facile", au contraire de la route qui passe par la Turquie, traverse la mer Egée, puis la Grèce et qui a coûté la vie à des milliers de migrants.
Aujourd'hui, sa fille est soignée en Pologne après s'être cassée la jambe pendant le voyage. Mais le reste de la famille est bloquée au Bélarus.