Publié par CEMO Centre - Paris
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"Pourquoi le conflit au Liban n’est pas confessionnel"

jeudi 28/octobre/2021 - 03:48
La Reference
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Les événements de Beyrouth sur l’axe Tayyouneh-Ain Er Remmaneh, ancienne ligne de démarcation scindant la capitale en deux zones géographiques belligérantes, nous ont replongés dans une ambiance de nouvelle guerre civile libanaise. Cependant, les causes en diffèrent et les alignements politiques dans la rue libanaise ont bien changé depuis.
Nombreux sont ceux qui ont cru, de bonne foi, à un retour à la malédiction fatidique du Liban : des affrontements sur base confessionnelle. Mais les assertions allant dans ce sens sont loin de la réalité de la nouvelle configuration sociopolitique au Liban, post-mars 2005 : date marquée par la « Révolution des cèdres » qui a rassemblé plus d’un million de Libanais dans la rue de toutes les confessions. En effet, après l’attentat à la voiture piégée qui a visé l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri, leader sunnite, les Libanais de la rue chrétienne historiquement opposés à l’occupation syrienne et au Hezbollah se sont retrouvés côte à côte avec la communauté druze, les sunnites et des opposants chiites à la Place des martyrs. Ce fut ce qu’on a appelé le printemps de Beyrouth à la suite duquel l’armée syrienne a évacué ses positions au Liban et est rentrée en Syrie. Depuis, les alignements politiques et claniques sur base confessionnelle ont laissé la place à un rassemblement libanais dont le slogan se résumait à « souveraineté, liberté, indépendance ». 
Le rêve fut court. En 2008, les miliciens du Hezbollah ont pris d’assaut le quartier sunnite de Tarik et Jdidé et sont arrivés jusqu’à la montagne druze où le chef féodal Walid Joumblatt siégeait. C’était le premier séisme pour l’alliance souverainiste et multiconfesionnelle du 14 mars et un premier acte d’intimidation par les armes contre un gouvernement qui projetait de démanteler les réseaux de télécommunications paramilitaires de la milice. Sous la menace, le leader druze Joumblatt a retrouvé sa ligne historique arabisante et « antisioniste » en martelant que l’ennemi premier du peuple libanais n’est ni le Hezbollah ni le régime syrien, mais bien Israël. Saad Hariri, quant à lui, a multiplié les compromis avec le Hezbollah et son allié chrétien Michel Aoun. Cette cohabitation saugrenue du fils de l’ancien Premier ministre assassiné avec les bourreaux a sanctuarisé la symbiose des prévarications et des armes miliciennes. Cet équilibre délétère, basé sur un accord tacite entre les corrompus et les détenteurs d’armes, a mené le Liban à sa perte.
« L’armée libanaise assume enfin sa mission et dirige ses armes contre la milice chiite lourdement armée et dont les membres sont entraînés dans les camps des gardiens de la révolution iranienne. »
Néanmoins, et malgré ces trahisons improbables au sein du camp du 14 mars, la base populaire sunnite et druze frustrée par les revirements de ses leaders, est restée plus ou moins soudée autour d’un projet national souverain, aux côtés de la résistance chrétienne. Ce qui s’est passé donc récemment à Beyrouth, n’est autre que le prolongement de mai 2008, plutôt qu’un retour à une guerre civile confessionnelle au Liban. Ce nouveau coup de force armé traduisant l’opposition du Hezbollah aux travaux menés par le juge d’instruction enquêtant sur l’explosion du port, a visé cette fois-ci une zone beyrouthine chrétienne : Ain er Remmaneh. Or, ce quartier résidentiel porte toujours les stigmates de la guerre et rassemble encore des vétérans de la guerre civile et une base populaire essentiellement appartenant au parti des Forces Libanaises, présidé par Samir Geagea. Figure du 14 mars, il est resté avec des personnalités indépendantes un des fers de lance de l’opposition aux agissements de la milice du Hezbollah. Les habitants de Ain er Remmaneh se sont défendus face à l’invasion de centaines d’hommes armés du Hezbollah, non sans l’assistance non encore officiellement revendiquée de l’armée libanaise.
Étant la première à tirer sur un milicien armé du Hezbollah, l’armée libanaise – longtemps paralysée face aux conflits intercommunautaires et de caractère confessionnel – assume enfin sa mission et dirige ses armes contre la milice chiite lourdement armée et dont les membres sont entraînés dans les camps des gardiens de la révolution iranienne. Cet épisode non banal et inquiétant des événements au Liban, survient au moment de la deuxième commémoration de la grande contestation populaire du 17 octobre 2019 et un peu plus d’un an après l’explosion tragique du port de Beyrouth. Il fait écho à d’autres incidents armés qui ont eu lieu, cette fois-ci, à Chouaya ; un village druze et à Saïda, ville côtière à majorité sunnite. Dans ces deux zones géographiques, le Hezbollah s’est affronté à une contestation populaire sans précédent.
« Partout sur le territoire libanais, jusqu’à ses bastions les plus fidèles, le Hezbollah est remis en cause. »
À Chouaya, les habitants ont intercepté un camion transportant un lance-roquettes du parti chiite, suscitant une réaction violente de la part de la milice contre des agriculteurs. Saïda, à la suite du meurtre d’un adolescent lors d’une rixe l’opposant à des membres du Hezbollah qui déployaient les drapeaux de la milice avant les commémorations de Achoura, s’est transformé en un champ de vendettas. Les proches du défunt ont organisé des représailles visant Ali Chebli, responsable du Hezbollah auquel le meurtre de l’adolescent a été imputé. Certes, le Hezbollah est ultra-puissant, jouissant à la fois d’une force militaire et d’une économie parallèle reposant essentiellement sur le trafic international de drogues.
Cependant, il est un géant encerclé. Partout sur le territoire libanais, jusqu’à ses bastions les plus fidèles, il est remis en cause. Dans la banlieue sud comme au sud du Liban, la révolution du 17 octobre a réveillé une certaine nostalgie chez les chiites pour leur passé laïque et de gauche. Les menaces demeurent, pourtant, plus fortes que les voix contestataires, sous peine d’assassinat politique et d’intimidation. C’est dans ce cadre, que s’inscrit d’ailleurs l’attentat contre l’intellectuel chiite Lokman Slim, tué en plein fief du Hezbollah au sud.
« Assiégé et faisant face à un peuple révolté depuis 2019, le Hezbollah dévoile sa grande face milicienne et guerrière. »
Affaibli après son implication dans la guerre syrienne auprès de son allié Bachar el Assad, subissant la colère de ses partisans écrasés par la crise économique, le Hezbollah qui a longtemps entretenu le mythe de la « résistance » contre l’« ennemi sioniste » et le « grand Satan », à savoir les États-Unis d’Amérique, cherche à instiller dans le débat public des accusations ad-hitlerum contre toute voix d’opposition. Tout Libanais qui critique la milice est traité de sioniste, collaborateur et agent de l’étranger. Rhétorique chère au cœur des tyrans, elle est reprise par le Secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, contre le juge Bitar menant l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth pour avoir émis des mandats d’arrêt contre d’anciens ministres du tandem chiite. Pour le chef de la milice, le juge vise la communauté chiite et sanctuarise une attitude confessionnalisée dans l’enquête.
Nasrallah avait complètement ignoré les autres mandats d’arrêt contre des figures sunnites et chrétiennes impliquées dans le scandale du stockage du nitrate d’ammonium dans l’entrepôt numéro 12 du port de Beyrouth. Privilégiant les méthodes rhétoriques d’intimidation politique, le Hezbollah galvaude des formules nationales telles que « le vivre-ensemble », compromis s’ils n’obtiennent pas les portefeuilles ministériels brigués, ou « retour du diable confessionnel » du moment où l’on remet en cause la mainmise du tandem chiite sur les postes clés et le monopole de la décision stratégique détenu par le Hezbollah. La milice est équipée d’un glossaire d’objurgations et d’accusations contre tout adversaire politique. Cependant, assiégé et faisant face à un peuple révolté depuis 2019, le Hezbollah dévoile sa grande face milicienne et guerrière. Ce n’est pas pour rien que cette organisation figure sur les listes terroristes de l’ONU, des États-Unis ou encore de l’Union européenne.

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