Des Egyptiens que j’ai connus à Paris : l’ambassadrice Névine Simaïka : la diplomatie du livre et de la table (13)
Les causeries du vendredi à Paris
Des Egyptiens que j’ai connus à Paris : l’ambassadrice Névine Simaïka : la diplomatie du livre et de la table (13)
A l’école de la diplomatie égyptienne, on trouve des femmes qui ont pu occuper des postes importants aussi bien à l’ambassade qu’au ministère. Mais le passage de certaines d’entre elles à Paris reste toujours une étape décisive dans leur carrière professionnelle, soit du fait du « prestige » de la capitale française dans notre mémoire collective, soit à cause des talents personnels de ces femmes, de leur présence imposante, et de leur ambition d’imposer une image moderne de la femme égyptienne dans la société française. L’ambassadrice de valeur Névine Simaïka en fait partie.
Elle appartient, en effet, à la famille du Simaïka pacha, fondateur du Musée copte du Caire, tandis que son mari, mon ami le grand wafdiste Mahmoud Abaza appartient à la famille al Abaziya.
La composante aristocratique et francophone de Névine Simaïka était recouverte d’une fine couche de « sentiment d’enfants du pays ». Ainsi,elle assistait aux colloques et conférences de Paris avec une élégance remarquable, mais non maniérée, qui lui donnait tout de suite une apparence égyptienne.
Névine Simaïka a transformé le Consulat d’Egypte à Paris en grand salon littéraire et en lieu de rencontre des personnalités françaises dans tous les domaines . Le Consulat n’était plus seulement un guichet pour obtenir un visa ou un certificat de naissance, mais aussi un outil diplomatique « soft » destiné à l’étranger au service des questions de la patrie. C’est ainsi que l’ambassadrice donna à l’expression « soft power » un aspect pratique, et montra la voie à d’autres femmes qui allaient occuper le poste de consul général après elle. L’ambassadrice avait une passion pour l’acquisition de ce qu’on appelle en français « les beaux livres », à savoir ces livres illustrés grand format qui sont en général des catalogues pour les grandes musées et qui sont considérés eux-mêmes comme de petits musées. Névine s’ingéniait à transformer ces livres en chefs d’œuvres artistiques qui occupaient la première place de son salon, et dont elle était fière, comme d’autres sont fiers des tableaux de valeur, et elle encourageait ses visiteurs à feuilleter le livre et à le parcourir comme si c’était une richesse intellectuelle et esthétique.
Si la table de l’habile ministre des Affaires étrangères de Napoléon, Talleyrand, est étudiée comme l’une des armes les plus importantes de la diplomatie, la table de Névine Simaïka recouverte de mets égyptiens authentiques servis dans les plats les plus luxueux était devenue célèbre à Paris. Je me souviens qu’elle avait organisé une réception en l’honneur de feu Ossama al Baz, et qu’elle avait réuni autour de lui des écrivains et lettrés français. Celui-ci délaissa ce qu’il y avait de plus délicieux pour prendre quelques tranches de carottes. J’ai lu l’inquiétude dans les yeux de l’ambassadrice. Le rédacteur en chef du Monde d’origine égyptienne Robert Solé m,'à dit alors: « L’ambassadrice devrait remercier Dieu qu’al Baz mange des carottes chez elle, car chez d’autres, il se contente d’un verre d’eau ». Névine Simaïka est devenue ensuite une grande ambassadrice dans d’autres capitales, dont la plus importante était peut-être le Vatican, mais elle a laissé à Paris non seulement un bon souvenir, mais aussi un certain style dans le travail diplomatique, aidée en cela par sa bonne entente avec l’ambassadeur d’Egypte de l’époque Ali Maher, une entente louable que personne après eux – que ce soit à l’ambassade ou au consulat – n’a réussi, dans la plupart des cas, à préserver.