Publié par CEMO Centre - Paris
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Le Soudan, amputé de son principal port

mardi 26/octobre/2021 - 11:08
La Reference
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Des files de camions à l’arrêt et sans conducteur s’étendent à perte de vue sur la section sud de Port-Soudan, principale ouverture maritime soudanaise implantée sur le littoral de la mer Rouge. Les cartons à leur bord contiennent de la levure, de l’huile, de l’électroménager ou encore des machines destinées à extraire l’or des sous-sols de cette région de l’est du Soudan. Depuis le 17 septembre, la sortie du port est bloquée par un container, écarté seulement lorsqu’il s’agit de laisser passer un convoi de médicaments. Posté à côté de cet imposant parallélépipède grisâtre, un policier explique que 222 véhicules se trouvent ainsi coincés.

Les responsables de cette situation sont, eux, amassés à quelques centaines de mètres de là, autour d’un barrage routier. Tous obéissent aux ordres de Tirik Sayed, un chef ou nazir du peuple Hadendawa, subdivision des Béjas. Cet ex-membre du parti d’Omar el-Béchirdictateur déchu par la rue en 2019, réclame l’annulation du volet oriental de l’accord de paix paraphé à Juba le 3 octobre 2020. Il estime que ses signataires ne représentent pas la population de cette région, car ils ne sont pas membres du Conseil suprême des nazirs béjas qu’il préside.

Des demandes disparates

Ses demandes et celles de ses partisans dépassent toutefois ce cadre. Certaines rejoignent même celles du sit-in qui a pris en otage les abords du Palais républicain de Khartoum depuis le 16 octobre et exige la dissolution du gouvernement du Premier ministre Abdallah Hamdok. Une photo de l’icône des protestataires de Port-Soudan est d’ailleurs affichée sur l’une des tentes consacrées aux différents partis politiques ayant répondu à l’appel de ce mouvement initié par le ministre des Finances, Gibril Ibrahim, et le gouverneur du Darfour, Minni Minawi.

Tirik Sayed assure néanmoins, depuis l’un de ses fiefs, Sinkat, à 125 km de Port-Soudan, n’avoir « aucun problème avec Abdallah Hamdok ». Il critique en revanche les partis qui se partagent les différents ministères. Et réclame leur remplacement par « un gouvernement qualifié composé de civils », tout en confiant les portefeuilles de la Défense et de l’Intérieur à des militaires. Ces déclarations ne suffisent pas à convaincre les nombreux analystes et activistes qui décèlent l’ombre de l’armée derrière la paralysie du port.

Selon Hamid Mahmoud Amar, les soutiens de Tirik, minoritaires dans l’est du Soudan, ne parviendraient pas à effectuer ce blocage seuls. « Ils sont sans aucun doute soutenus par les militaires du Conseil souverain, avance ce membre d’une initiative pour défendre l’accord de Juba. L’objectif des blocages change constamment. Il s’agit parfois d’annuler l’accord de paix, d’autres fois de réviser le statut des réfugiés érythréens qui ont acquis la nationalité soudanaise sous Omar el-Béchir, ou bien de demander la chute de la branche civile du gouvernement. Cela prouve que ce mouvement n’a rien à voir avec les problèmes de l’est mais reflète les conflits au sein du gouvernement central. » Et ce, alors qu’une sévère crise politique divise les ailes civile et militaire du Conseil souverain depuis la tentative de coup d’État avortée du 21 septembre.

Des ressources confisquées

Sur le barrage routier à la sortie de Sinkat, composé de cadavres de pneus brûlés, de branches, et d’un fil levé à l’approche de chaque véhicule chargé de passagers, de médicaments ou de produits frais, Ahmed Abubakir déclare, lui, le temps des négociations écoulé : « Nous demandons désormais de devenir indépendants en tant que tribu des Béjas. » Ce quinquagénaire, vêtu, à l’image de tous les pro-Tirik, d’une djellaba blanche surplombée d’une veste sans manches, ajoute que « depuis l’indépendance, en 1956, le gouvernement ignore notre région. En 1994, nous avons pris les armes et, malgré l’accord de paix signé en 2006 à Asmara [la capitale de l’Érythrée voisine], rien n’a été mis en place. »

 « Ces montagnes sont pleines de ressources, insiste Mustafa Ahmed, rencontré sur un autre barrage entouré de hauts reliefs. Nous avons du pétrole, des métaux, de l’or ainsi que du poisson et des produits agricoles, mais nous n’en profitons pas. Nous voulons contrôler nos ressources. » Les populations habitant dans les vallées entre Sinkat et Port-Soudan s’avèrent en effet victimes d’un sous-investissement les plaçant dans une situation de précarité, qui les oblige par exemple à marcher plusieurs heures pour s’approvisionner en eau potable. « Les gouvernements successifs ont fait des promesses à l’est qu’ils n’ont jamais respectées. Nous n’avons pas de problèmes de guerre qui justifient un accord de paix comme celui de Juba. Nous avons par contre besoin de développement, d’emplois, d’écoles, d’hôpitaux, de médicaments…  », énumère Ali Hashim, père de huit enfants et sans emploi.

Des milliers d’emplois menacés

Vraisemblablement instrumentalisé par les militaires, les nostalgiques de la dictature, voire les Émirats qui négocient depuis plusieurs années le contrôle du port, son barrage, prolongé sur les routes menant à la capitale, se révèle donc également motivé par des revendications légitimes. Mais dans le même temps, ce mois de suspension des activités portuaires menace des milliers de femmes et d’hommes. Parmi eux, Yassin Gassim, 30 ans, qui travaillait en tant que manutentionnaire journalier sur le port. Depuis la fermeture, il loue un tuk-tuk pour gagner quelques livres soudanaises. « Cela ne me rapporte pas assez pour nourrir ma fille et ma femme. Nous ne mangeons plus qu’un repas par jour et nous buvons du lait le reste de la journée. Si la situation perdure, de nombreuses personnes vont mourir ou bien attaquer le marché pour survivre », prévient-il.

Les pertes quotidiennes dépassent les 76 millions d’euros. La farine faisant partie des biens retenus, une pénurie de pain frappe en outre le pays. Tandis que Jaden Ali Obaid, le ministre de l’Énergie et du Pétrole, a alerté, le 24 octobre, sur les faibles réserves de carburant. Les autorités soudanaises ont dû se résoudre à interdire l’accès de leurs eaux territoriales aux navires transportant ces marchandises afin de s’épargner des amendes pour retard de déchargement.


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