Publié par CEMO Centre - Paris
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L'armée s'empare du pouvoir au Soudan

mardi 26/octobre/2021 - 11:06
La Reference
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Le coup d'État qui a secoué le Soudan semblait si inévitable qu'il en était presque déjà écrit. Lundi matin, le général Abdel Fattah al-Burhan a décrété l'état d'urgence et ordonné la dissolution des autorités de transition. Le putsch a débuté à l'aube avec les arrestations par des militaires du premier ministre civil, Abdallah Hamdok, et de son épouse, ainsi que celles de plusieurs ministres. Ils ont été conduits vers des destinations tenues secrètes. Plusieurs membres du Conseil de souveraineté, la haute instance de la transition, auraient également été appréhendés.
À la fin de la matinée, le général est apparu à la télévision d'État pour officialiser sa prise de pouvoir. Le mouvement entérine la fin, au moins provisoirement, des institutions mises en place en avril 2019 - après la chute du régime trentenaire d'Omar el-Béchir -, où militaires et civils se partageaient la direction du pays. Le général al-Burhan a tenté de rassurer, affirmant qu'il entendait toujours conduire le Soudan vers «un État civil et des élections libres en 2023», tout en limogeant toutes les autorités, ministres comme préfets.
La nouvelle de l'arrestation du premier ministre a poussé des Soudanais à descendre dans les rues de Khartoum pour défendre la révolution de 2019. Malgré la coupure des téléphones et de l'internet qui frappe largement la ville, des milliers de personnes ont convergé vers le centre, conspuant l'armée. Des centaines de troupes, notamment les paramilitaires des Rapid Support Forces (RSF) du général «Hemeti», un poids lourd de la junte, quadrillaient les ronds-points et les ponts. Au cœur de la capitale, devant le QG de l'armée bouclé par les soldats depuis des jours, trois manifestants ont été tués et plusieurs dizaines d'autres blessés par des tirs des forces armées. «Nous refusons le régime militaire et sommes prêts à sacrifier nos vies pour la transition démocratique», jure, à l'AFP, Haitham Mohamed. Le bureau du premier ministre a appelé à «manifester» contre le «coup d'État», tandis que l'Association des professionnels, un groupe disparate mais étroitement lié à la révolte de 2019, ¬lançait un mot d'ordre de grève ¬générale.
Cette cassure au sein de l'union qui avait conduit à la fin puis à l'arrestation d'Omar el-Béchir était patente depuis des semaines. Le 16 octobre, les militants favorables aux militaires avaient mis en place un sit-in et planté leurs tentes devant le palais présidentiel, siège des autorités de transition. À l'opposé, le 21 – la date symbolique de la révolution de 1964 - des dizaines de milliers de défenseurs du régime civil avaient manifesté. Les tensions étaient plus vives depuis la tentative de coup d'État déjoué en septembre. «Cette tentative a été un déclencheur car ça a confirmé les alignements des uns et des autres», souligne Roland Marchal, chercheur à Sciences Po.
Depuis, le général al-Burhan ne cachait plus ses critiques vis-à-vis des civils qu'il estimait incompétents. La colère se focalisait aussi sur le Comité de démantèlement du régime du 30 juin 1989, un organe anticorruption traquant les biens accaparés par les proches d'el-Béchir, souvent des militaires. La grève qui depuis plus d'un mois paralysait Port-Soudan, largement perçue comme pilotée par les militaires, a aggravé une situation économique déjà très précaire. Le Soudan est frappé par une crise sévère, marquée par une inflation ravageuse, héritée de la gestion désastreuse de l'ancien régime et aiguisée par la pandémie de Covid-19.
«Un mal pour un bien»
La paupérisation n'a fait qu'accentuer les divisions parmi les différentes branches du pouvoir civil qui, si elles se revendiquent toutes des révolutionnaires Forces de la liberté et du changement (FLC), n'étaient unies que par leur opposition à el-Béchir. Ces tensions, ajoutées à la mauvaise volonté manifeste des militaires, ont considérablement ralenti les réformes promises et le travail du gouvernement et du Conseil souverain. Le premier ministre, un technocrate compétent mais un novice politique, n'est pas parvenu à surmonter ces obstacles. «Il y a eu des dysfonctionnements, mais rien qui ne justifie un coup d'État militaire», estime Roland Marchal.
Ces derniers jours, pour tenter de sauver l'alliance entre civils et militaires, des diplomates, notamment l'émissaire américain Jeffrey Feltman, se sont succédé à Khartoum. Vendredi, Abdallah Hamdok aurait accepté un large remaniement et une révision du fonctionnement du Conseil souverain. Mais les militaires auraient exigé plus : sa démission. En vain. L'échec de cette médiation a conduit au coup d'État.
«Il en ressortira peut-être un mal pour un bien. Les militaires vont se rendre compte qu'ils ne contrôlent plus le Soudan», espère un diplomate. La communauté ¬internationale, très mobilisée autour du Soudan depuis deux ans, tient sans doute entre ses mains les clés d'une solution apaisée. Pour l'heure les réactions ont été vives. Les appels au calme du général al-Burhan, qui a promis de former un gouvernement «avec des personnes compétentes» et de «respecter les engagements internationaux», n'ont pas suffi.
L'émissaire de l'ONU au Soudan, Volker Perthes, a qualifié les événements «d'inacceptables», et a appelé «les forces ¬armées à relâcher immédiatement les personnes retenues», tout comme la Commission européenne. Le conseil de sécurité de l'ONU pourrait tenir une réunion d'urgence mardi, à la demande de six pays occidentaux, ont par ailleurs indiqué des diplomates à l'AFP. Les États-Unis ont «condamné fermement» le coup d'État et réclamé le «rétablissement immédiat» du gouvernement civil, annonçant qu'ils suspendaient une aide de 700 millions de dollars destinée à la transition démocratique. L'Union africaine, par la voix du président de la Commission, Moussa Faki, a exigé une «reprise immédiate des consultations entre civils et militaires».

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