Sur les terres rebelles soudanaises, l’accès humanitaire reste partiel
Pendant trois heures, Muna et Nadia se sont faufilées
sur les chemins boueux des monts Nouba. Une région du sud du Soudan caractérisée par ses montagnes
culminant à 1 325 mètres, sa végétation dense et son absence de routes
goudronnées. Les deux voisines voulaient atteindre le grand marché de Kauda qui
se tient, chaque mercredi, à l’extérieur de la capitale des rebelles soudanais
du SPLM-N (Mouvement
populaire de libération du Soudan-Nord). Épuisées, elles se
sont finalement arrêtées sur le petit souk du centre de Kauda pour
vendre des cacahuètes, des tomates cerises et des feuilles séchées d’hibiscus –
utilisées pour préparer des infusions ou du jus de carcadet. Cette fin
septembre s’avère particulièrement difficile pour les deux mères de famille car
les réserves de l’année précédente sont écoulées tandis que la récolte n’a pas
encore commencé. Or, elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes puisque,
comme la plupart des hommes noubas, leurs maris sont engagés bénévolement au
sein de l’armée du SPLM-N.
Ni Muna, ni Nadia, ni la majorité des commerçants
rencontrés n’ont entendu parler de la réouverture partielle de l’accès
humanitaire. Ceux qui peuvent se permettre d’envoyer certains de leurs enfants
à l’école se réjouissent, toutefois, du fait que ces derniers bénéficient d’un
repas gratuit. C’est le seul exemple cité illustrant le retour, depuis fin
2019, du Programme alimentaire mondial (PAM)
sur les terres contrôlées par les rebelles – sept enclaves regroupées dans les
états méridionaux du Kordofan du Sud et du Nil bleu.
D’autres agences onusiennes se sont rendues sur place,
fin mai, pour envisager de reprendre, à leur tour, leurs activités après un
départ précipité en 2011, lors de la résurgence des combats entre le SPLM-N et
le régime d’Omar el-Béchir.
Entre avril et mai, le PAM a par ailleurs, pour la première fois, pu atteindre
cinq enclaves isolées et y délivrer des biscuits énergétiques et autres
compléments alimentaires directement depuis le Soudan. Mise à part cette
exception, deux ans et demi ont beau s’être écoulés depuis la chute du
dictateur, l’aide matérielle aux territoires rebelles doit toujours
transiter par le Soudan du Sud frontalier.
Avant d’être acheminée en camion via des pistes difficilement praticables et
entrecoupées de rivières durant la saison des pluies.
Une
paix toujours en suspens
Une situation laborieuse liée à l’absence de paix
officielle, malgré un cessez-le-feu reconduit depuis 2016. Suspendues le
15 juin, les négociations entre les représentants du gouvernement de
transition soudanais et le chef des rebelles, Abdelaziz al-Hilu,
pourraient reprendre prochainement. En attendant, les quelque 800 000
riverains ont « désespérément besoin de secours », alertait le
communiqué de l’ONU suivant
la visite de mai.
Parmi ces civils en détresse, le petit
Ibrahim, 4 mois. « Depuis mon accouchement, je ne produis pas de
lait. Je lui ai donc donné du lait de chèvre. Mais cela lui a provoqué de la
fièvre, de la toux et de la diarrhée », énumère sa mère, Iklas Sidig. Impossible,
en effet, de trouver du lait infantile à l’épicerie ou dans le centre de soin
le plus proche. Alors, la trentenaire a laissé ses six aînés chez elle, et a
marché, pendant une journée, jusqu’à l’hôpital allemand de Lwere, à une
trentaine de minutes en voiture de Kauda.
Il s’agit d’un des seuls établissements de santé des
monts Nouba avec celui de Gidel, également situé à moins d’une heure de la
capitale. « La réouverture de l’accès humanitaire n’a rien changé pour
nous. En l’absence de médicaments et de matériel médical dans les unités de
soin locales, les patients continuent à venir de partout », décrit Elena
Proegler, une infirmière allemande qui travaille régulièrement à Lwere depuis
9 ans. « Nous avons perdu beaucoup d’enfants, ajoute sa collègue,
Anicka Wentz, elle aussi allemande. Il y a une combinaison de malnutrition
et d’absence de traitements adaptés. Quand les mères se résignent à emmener
leurs enfants à l’hôpital, ces derniers parcourent de longues distances sans
rien à manger ni à boire. Ils arrivent déshydratés, presque
inconscients. »