Jusqu’où peut aller l’escalade diplomatique entre la France et l’Algérie ?
Alors que l’Algérie s’apprête à fêter le soixantième anniversaire de son indépendance, les tensions avec la France sont à leur maximum. Samedi, Alger a rappelé son ambassadeur en France pour « consultation » et fermé son espace aérien aux avions militaires français. Des décisions qui font suite à la publication d’un article du Monde rapportant des propos d’Emmanuel Macron particulièrement critiques à l’égard du gouvernement algérien.
Avant cela, l’Algérie avait déjà convoqué l’ambassadeur français à Alger après que la France a décidé de réduire le nombre de visas octroyés aux ressortissants algériens. L’escalade diplomatique peut-elle se poursuivre encore entre les deux nations ? 20 Minutes fait le point.
Que reproche l’Algérie à la France ?
Il y a tout d’abord eu cette histoire de visas. Reprochant à la Tunisie, au Maroc et à l’Algérie de ne pas accueillir leurs ressortissants lorsque ceux-ci sont refoulés de l’Hexagone, le gouvernement français a décidé il y a une semaine de durcir l’octroi des visas pour les personnes venant de ces trois pays du Maghreb.
La question du nombre important d’Algériens qui traversent la frontière, n’est pas quelque chose qui enchante le pouvoir algérien « car cela reflète l’échec du projet économique et social du gouvernement », explique Hasni Abidi, directeur du centre d’étude de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) en Suisse. « Mais Alger reproche à la France de gérer en solo la question migratoire, sans consulter les autorités algériennes ».
Le ton est vraiment monté d’un cran coté algérien samedi après la publication d’un article dans Le Monde relayant des propos d’Emmanuel Macron. Lors de sa rencontre avec la troisième génération d’enfants de harkis, le président de la République aurait affirmé que l’Algérie, après son indépendance en 1962, s’était construite sur « une rente mémorielle », entretenue par « le système politico-militaire ». Le chef d’Etat aurait évoqué « une histoire officielle », selon lui, « totalement réécrite », qui « ne s’appuie pas sur des vérités » mais sur « un discours qui repose sur une haine de la France ». Enfin il aurait questionné l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation française.
Les sanctions prises par l’Algérie sont-elles inquiétantes pour la France à ce stade ?
Dans l’affaire des visas, le gouvernement algérien a convoqué François Gouyette, l’ambassadeur de France à Alger, pour lui notifier « une protestation formelle ». Une décision qui n’a pas semblé affoler Paris. « Cela signifie que ça bouge, que le dialogue s’ouvre et qu’on va enfin pouvoir ouvrir cette question des laissez-passer consulaires », a même lancé, optimiste, Marlène Schiappa, interrogée sur BFMTV.
Concernant les décisions d’Alger samedi, c’est une autre histoire. « Un rappel d’ambassadeur, ce n’est pas une rupture de liens diplomatiques, mais une façon de signifier un désaccord », tempère Hasni Abidi. Le politologue estime en revanche, que fermer son espace aérien aux militaires français est « une décision plus lourde de conséquences » pour la France. « Cela entrave la stratégie française au Sahel et constitue un élément handicapant pour la politique étrangère de la France. »
Dans quel contexte les réactions algériennes s’inscrivent-elles ?
Pour comprendre la réaction du gouvernement algérien, il faut aussi la resituer dans le contexte géopolitique actuel. « L’Algérie a subi ces derniers temps de nombreuses provocations, analyse une politologue spécialiste du Maghreb, préférant rester anonyme. Il y a eu celles lancées par l’ambassadeur marocain auprès des Nations unies pour réclamer l’autonomie de la Kabylie.
A cela, vient s’ajouter la déclaration du ministre des affaires étrangères israélien, qui a clairement dit qu’à la demande du Maroc, Israël interviendrait militairement en Algérie. Enfin, la situation intérieure algérienne est aujourd’hui très difficile après la crise sanitaire et les incendies de masse dans le Nord du pays, dont certains ont été qualifiés de criminogènes. Les derniers propos d’Emmanuel Macron constituent la goutte d’eau qui a fait sortir l’Algérie de son silence.