Le soufisme en Occident... La spiritualité face aux loups solitaires
Le soufisme en Occident... La
spiritualité face aux loups solitaires
Sarah Rashad
Après les événements du 11 septembre 2001,
le monde a commencé à chercher un nouveau visage de l’Islam, un visage plus
tolérant qui permettrait en quelque sorte de détruire les idées extrémistes.
Car, l’extrémisme ne cessait de gagner du terrain, et il fallait
impérativement trouver une pensée qui s’y oppose. A cette époque, les centres de recherche
occidentaux ont commencé à chercher cet adversaire de l’extrémisme. Ils ont
trouvé finalement que le soufisme était le courant le plus proche pour jouer
ce rôle. Le soufisme a donc été propulsé sur le devant de la scène politique
dans la région arabe pour se poser en alternative à l’Islam cinétique, mais
la simplicité du soufisme et de ses cheikhs ont entravé la réussite de cette
conception. Le soufisme a donc échoué, alors que l’Islam cinétique est resté
dominant. Aujourd'hui, la situation est plus
complexe. Les groupes islamistes tant redoutés par l'Occident ne se trouvent
pas seulement dans les pays de la région. Ils sont installés au cœur de
l'Europe et ont réussi à convaincre certains européens de leurs idées
extrémistes. On a vu alors apparaître le concept de "loups
solitaires". Le soufisme est-il le seul recours devant l’Occident pour
affronter ces loups affamés ? Toutes les recommandations formulées au
cours des quatre dernières années par les pays européens pour affronter les
loups solitaires, se rapportent, outre les questions légales, à la mise en
place d’un plan visant à pousser les entités modérées à s’engager dans une
confrontation intellectuelle avec les idées takfiries. L'ancienne idée occidentale était de
s’appuyer sur le soufisme, en tant que courant modéré, pour contrer la pensée
takfirie. Mais le soufisme est-il préparé pour jouer ce rôle ? La tâche n'est pas simple car si les
organisations extrémistes ont réussi à convaincre leurs adeptes, au moyen de
prêches électroniques fondés sur de fausses allégations jurisprudentielles,
ou à travers la bibliothèque jurisprudentielle sur laquelle ils se fondent
pour justifier leur logique, cela signifie que la confrontation sur le plan
de la pensée ne sera pas facile, et qu’il faut une approche suffisamment
forte pour réfuter les idées extrémistes. La spiritualité face au sang Dans son discours sur le soufisme, l'imam
Abou Hamid Al-Ghazali déclarait : « L'instrument de la connaissance
mystique est le cœur et non les sens. L'amour divin est un état d'amour
intense dans lequel l'amoureux aspire à la rencontre de son Seigneur ».
Le soufisme est donc clairement en contraste avec les idées extrémistes qui
ne connaissent rien de l'amour de Dieu. Pour eux, l’amour ardent de Dieu
consiste à fixer une ceinture explosive autour de sa taille, et d’aller dans
un lieu de rassemblement afin de se rendre auprès de son Seigneur. Essam Mohieddine, secrétaire général du
parti soufi Hizb-Tahrir confirme que le soufisme s’oppose à
l’extrémisme : « Le soufisme est le courant le mieux placé pour lutter
contre l'extrémisme et il possède les arguments nécessaires pour réfuter les
idées extrémistes ». Il évoque la bibliothèque soufie, qui selon
lui, est en mesure de répondre à la bibliothèque de Daech, que
l'organisation a mis en place en 2014, considérant que le soufisme est une
science à la fois vaste, ancienne et très répandue. Il a les moyens de
contrer les arguments extrémistes. « Le soufisme a besoin seulement
d’un espace pour pouvoir jouer son rôle », dit-il. La scène soufie est plus rayonnante en
Occident que dans le monde arabe. L’Europe a de bonnes raisons pour renforcer
le soufisme dans les cercles islamiques. Le soufisme est l'une des portes par
lesquelles les Européens se convertissent à l’Islam. Ce fut notamment le cas
du chercheur français Eric Jouffroy qui s’est converti récemment à travers le
soufisme. Les préoccupations quotidiennes, le vide
spirituel et les pressions physiques sont autant de raisons qui poussent les Européens
à chercher la spiritualité. C’est ce qui explique aussi pourquoi une partie
de la jeunesse européenne a rejoint les rangs de Daech. Ces jeunes
pensent avoir trouvé en l’organisation extrémiste un débouché sur la
spiritualité et un retour à la religion. D’autres citoyens européens cherchent
la spiritualité et la vertu dans le soufisme. Ils font la connaissance d’un
cheikh et commencent à le fréquenter et à assister à ses séances au point de
le sanctifier. D’autres raisons expliquent cette attirance des Occidentaux
pour le mysticisme. En effet, l'image figée de la religion présentée par les
cheikhs non soufis et qui se résume à la prière, la pureté et au jeûne fait
que le soufisme est très attractif pour la plupart de ceux qui en font la
connaissance. Le soufisme occidental peut se targuer
d’une riche production intellectuelle, contrairement à ce qui se passe dans
le monde arabe. De nombreux livres et études ont été publiés sur le soufisme
en Occident, dont l'ouvrage « Le soufisme intérieur de l'Islam », publié en
2016 par le chercheur français Eric Jouffroy. Le livre évoque les étapes de
développement et de diffusion du soufisme, en particulier les symboles du
soufisme aux différentes époques. Le chercheur marocain Aziz Al-Kubaiti
Idrissi, a évoqué en 2008, le mysticisme islamique en Occident, dans un livre
qui parle de l’influence marocaine en Grande-Bretagne, en prenant comme
modèle la Zawiya Al-Habiba Al-Darqawiya. Même chose pour Idries Shah, qui a
publié en 1989 un livre intitulé « Méthodes mystiques » qui a été
traduit par Sana Zaki Mahasani. Sauver la jeunesse européenne Le soufisme avec l’acceptation dont il
jouit en Europe est-il le moyen de sauver la jeunesse européenne de la dérive
des organisations extrémistes? Said Menouache, représentant de la Zawiya
marocaine Karkariya déclare : « Le soufisme est plus digne que Daech
et les autres organisations extrémistes. La noblesse de son approche modérée
lui garantit la victoire sur le sang et l’extrémisme de Daech ». Il affirme que le soufisme a un statut
particulier en Europe, entre autres parce que les gouvernements occidentaux
ne le craignent pas, et pense qu’il se développera et atteindra le plus grand
nombre possible d'Européens, ce qui permettra de lutter contre les idées
extrémistes qui ont connu un certain engouement dernièrement. En ce qui concerne l’expansion de Daech
en Europe, Menouache affirme que la raison de cette expansion est le vide
spirituel dont souffre la société européenne et aussi le goût du risque et la
passion du jeu de pouvoir, soulignant que Daech l'a compris et a
commencé à travailler sur cette base. Le chef de la Zawiya Karkariya évoque
l'influence maghrébine sur la société occidentale, particulièrement au niveau
soufi: « Le soufisme maghrébin a occupé la société européenne et
possède une production intellectuelle et culturelle que l’on trouve dans les
livres et les recherches »
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