Publié par CEMO Centre - Paris
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Le passage aux Arabes à travers les doctrines soufies

samedi 20/octobre/2018 - 05:40
La Reference
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Maher Ferghali

 

Les activités des doctrines soufies ne se limitent plus à l’enseignement du Coran, des fondements de la religion et du dogme, mais sont maintenant utilisées comme une carte sur la scène politique.

Les politiques suivies par certains pays – en organisant des festivals et des congrès – ont visé à réhabiliter le soufisme, et le Maroc par exemple a œuvré à faire revivre le patrimoine soufi, à encourager les zawiyas en leur présentant diverses formes de soutien, en particulier les confréries tijaniyya, boutchichiya, et kataniyya, et grâce à cela, la confrérie qadiriyya boutchichiya a réussi à acquérir une autorité morale respectée, et à établir des relations étroites avec les milieux diplomatiques de pays importants. Les festivals soufis au Maroc ont reflété ce renouveau, comme le festival de « chants soufis de Marrakech » ou le « festival de culture soufie de Fes ».

 

La renaissance du soufisme

En Jordanie, est faite la promotion du patrimoine soufi par différentes méthodes qui essayent de fournir un cadre idéologique au soufisme en tant qu’alternative qu’il est possible de promouvoir pour la pratique de l’islam.

En Algérie, plus de 30 confréries se sont répandues, dont la plus importante est la confrérie tijaniyya, du nom de son fondateur Aboul Abbas at-Tijani, et son siège se trouve dans le wilaya de Laghouat au centre du pays. Elle est présente également sur tout le littoral africain, au Niger, au Mali, au Sénégal et jusqu’en Afrique Centrale.

Citons aussi la confrérie Chadhiliyya du nom de son fondateur Aboul Hassan ach-Chadhli, présente au centre de l’Algérie, la Qadiriyya fondée par cheikh Abdel Qader al Jilani al-Baghdadi, présente à l’ouest de l’Algérie, la confrérie ar-Rahmaniyya, fondée par Mohammad ibn Abder Rahman al-Azhari, outre les confréries ach-Chaykhiyya, ad-Darqawiyya, al-Habriyya, az-Ziyaniyya, al-Wizaniyya, et ach-Chabiyya.

En Egypte, la situation des soufis a évolué, surtout après la destitution de Moubarak, et la tentative de Morsî de se concilier les soufis ou de les neutraliser, jusqu’à sa destitution. Les soufis se sont ensuite trouvés face au terrorisme qui visait leurs mosquées, et ont été contraints de passer des confréries traditionnelles à des confréries organisées.

Au Soudan, le soufisme a connu un renouveau. Un Conseil supérieur du soufisme a été créé, et de nombreuses ligues d’étudiants soufis ont été fondées dans les universités. Par ailleurs, le Conseil législatif soudanais a promulgué une loi instituant le Conseil supérieur de l’invocation de Dieu et des invocateurs, une chaîne de télévision et une radio ont été lancées pour faire connaître la voie soufie, un groupement des ulémas du soufisme a été créé, et de nombreux groupes de musique soufie récitant des poésies de cheikhs soufis sont apparus.

 

Le soufisme entre dans l’ère des organisations

Certaines confréries soufies sont gérées maintenant de façon organisationnelle et non pas confrérique, comme la Naqchbandiyya, l’Ahmadiyya Hachimiyya, l’Achira Mohammadiyya, la Jazouliyya, et de nombreuses autres. Car elles se sont transformées en organisations ou au moins en institutions ayant des bureaux et des administrations.

A titre d’exemple, l’« organisation des adeptes de la Sunna et de la communauté » en Somalie est islamique et soufie, et comprend des forces paramilitaires, avec lesquelles elle a combattu durant la guerre civile somalienne contre les groupes islamistes radicaux alliés à al-Qaïda, aux côtés des forces gouvernementales (2006-2009). Elle a acquis une vaste popularité dans sa lutte contre le terrorisme du mouvement des Chababs qui avait imposé aux gens des sentences dont les modes d’application ne leur convenaient pas, comme l’interdiction de la consommation de « kat », l’imposition du voile ou la destruction des mausolées.

« L’armée des Naqchbandis » en Irak est une faction soufie, qui a joué un rôle important après l’occupation américaine du pays, et s’est présentée comme le défenseur des sunnites marginalisés. Elle est active au nord de l’Irak, tout en ayant des adeptes dans les régions kurdes. Les chiffres non officiels indiquent qu’elle comprend entre 1000 et 5000 membres.

L’armée des Naqchbandis a participé à la révolution des tribus sunnites en 2014, avec de nombreux chars, missiles, voitures blindées et armes diverses, et les commandants de ses opérations de terrain sont d’ex-officiers de l’armée irakienne.

Dans la jungle d’Afrique, au Sénégal, est apparue l’ « Armée des Mouridiyya » constituée par le fondateur de la confrérie Mouridiyya en 1898, le cheikh Ahmadou Bamba, pour affronter les colons français, qui occupaient le Sénégal depuis des dizaines d’années. C’est jusqu’aujourd’hui une organisation complète et indépendante au Sénégal, dans les affaires de laquelle le gouvernement n’intervient pas.

En Egypte, on trouve la confrérie Chabrawiyya dont le cheikh, Abdel Khaleq ach-Chabrawi, a décidé d’organiser la défense des mausolées, après les attaques de Daech au nord du Sinaï, ainsi que l’Achira al-Mohammadiyya, qui est présentée comme une confrérie soufie à tendance salafie, avec une forme organisationnelle.

Ce ne sont là que quelques exemples des changements importants ayant affecté les confréries en les transformant en organisations après s’être affranchies des coutumes confrériques en usage.

 

Instrumentalisation des nouvelles organisations

Certains considèrent que le soufisme est la solution pour affronter les organisations extrémistes comme les Frères. Dans un entretien avec al-Marga’, le responsable soufi Dr. Abdallah an-Nasser Helmi affirme : « C’est l’islam soufi qui est la solution, et non pas l’islam kharijite, le soufisme est un combat contre les passions de l’âme, et contre la tyrannie et l’injustice, puisons donc dans le message du soufisme la force morale, la foi et les vertus spirituelles, et servons-nous-en comme d’un bouclier pour protéger notre nation et d’une échelle pour atteindre nos buts et réaliser nos souhaits ».

C’est ainsi que l’on peut entrer en contact avec les soufis et les soutenir. Lors d’un entretien, le professeur de sciences politiques et de relations internationales Abdel Hadi Kharbouch a affirmé que les confréries soufies sont aujourd’hui instrumentalisées, et que la plupart des politiciens sont en contact étroit avec les cheikhs des confréries, étant donné le soutien important que ces dernières leur apportent lors des campagnes électorales.

Quant aux grandes puissances comme l’Amérique, elles considèrent que le siècle à venir sera celui des soufis, et elles cherchent ainsi à soutenir les confréries en reconstruisant les mausolées et les tombes des saints, en publiant les œuvres soufies et en participant au niveau diplomatique à certaines activités soufies, outre le renforcement des relations avec les confréries, leurs cheikhs et leurs symboles.

C’est dans ce cadre que l’ambassade américaine en Egypte s’est rapprochée de certaines confréries soufies, et que l’ambassadeur américain Francis Ritchard Dony a rencontré le cheikh Hassan ach-Chennawi, qu’il a visité la confrérie Jazouliyya et a assisté à des chants de louange du Prophète et autres cantiques religieux, ainsi qu’au mouled d’as-Sayyed al-Badawi à Tanta, et que le consul américain à Alexandrie a visité le mausolée du cheikh Morsy Aboul Abbas.  

Enfin, une branche du Conseil Suprême des confréries soufies a été créée en Grande-Bretagne, pour devenir la première organisation égyptienne internationale à diffuser la pensée soufie, sous la direction du cheikh de la confrérie Chahawiyya Burhamiyya, Mohammad ach-Chahawi.

Par le biais du chargé d’affaires américain au Soudan (Joseph Stanford), la diplomatie américaine œuvre à associer les diverses confréries soudanaises au projet américain de soutien au soufisme face au salafisme, et le chargé d’affaires a commencé par choisir les groupes soufis rattachés à la « confrérie Qadariyya Jilaniyya », la plus répandue au Soudan, et le diplomate américain a visité entre autres : la confrérie Badriyya dans la région d’Omm Dawa Ban (wilaya de Khartoum), la Arakiyya dans la région d’Abouhraz (wilaya d’al-Jazira), la Kabachiyya dans la région d’al-Kabachi (wilaya de Khartoum).

 

En conclusion, les confréries soufies sont clairement impliquées aujourd’hui en politique et servent de soutien essentiel à des orientations et des choix politiques qui n’ont rien à voir avec leur vocation. Elles se sont ainsi retrouvées dans une véritable impasse s’agissant de leur rôle social, en se trouvant obligées d’affronter le terrorisme armé au Bangladesh, au Pakistan, en Egypte, en Libye et dans les autres pays où des mosquées et zawiyas de confréries ont été attaquées, et pour se défendre, elles ont créé des organisations soufies armées. Et malgré cela, tout le monde continue à parler du soutien apporté au soufisme face au takfiristes.  

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