Le passage aux Arabes à travers les doctrines soufies
Maher Ferghali
Les activités des doctrines soufies ne se
limitent plus à l’enseignement du Coran, des fondements de la religion et du
dogme, mais sont maintenant utilisées comme une carte sur la scène politique.
Les politiques suivies par certains pays –
en organisant des festivals et des congrès – ont visé à réhabiliter le
soufisme, et le Maroc par exemple a œuvré à faire revivre le patrimoine soufi,
à encourager les zawiyas en leur présentant diverses formes de soutien, en
particulier les confréries tijaniyya, boutchichiya, et kataniyya, et grâce à
cela, la confrérie qadiriyya boutchichiya a réussi à acquérir une autorité
morale respectée, et à établir des relations étroites avec les milieux
diplomatiques de pays importants. Les festivals soufis au Maroc ont reflété ce
renouveau, comme le festival de « chants soufis de Marrakech » ou le
« festival de culture soufie de Fes ».
La renaissance du soufisme
En Jordanie, est faite la promotion du
patrimoine soufi par différentes méthodes qui essayent de fournir un cadre
idéologique au soufisme en tant qu’alternative qu’il est possible de promouvoir
pour la pratique de l’islam.
En Algérie, plus de 30 confréries se sont
répandues, dont la plus importante est la confrérie tijaniyya, du nom de son
fondateur Aboul Abbas at-Tijani, et son siège se trouve dans le wilaya de
Laghouat au centre du pays. Elle est présente également sur tout le littoral
africain, au Niger, au Mali, au Sénégal et jusqu’en Afrique Centrale.
Citons aussi la confrérie Chadhiliyya du
nom de son fondateur Aboul Hassan ach-Chadhli, présente au centre de l’Algérie,
la Qadiriyya fondée par cheikh Abdel Qader al Jilani al-Baghdadi, présente à
l’ouest de l’Algérie, la confrérie ar-Rahmaniyya, fondée par Mohammad ibn Abder
Rahman al-Azhari, outre les confréries ach-Chaykhiyya, ad-Darqawiyya,
al-Habriyya, az-Ziyaniyya, al-Wizaniyya, et ach-Chabiyya.
En Egypte, la situation des soufis a
évolué, surtout après la destitution de Moubarak, et la tentative de Morsî de
se concilier les soufis ou de les neutraliser, jusqu’à sa destitution. Les
soufis se sont ensuite trouvés face au terrorisme qui visait leurs mosquées, et
ont été contraints de passer des confréries traditionnelles à des confréries
organisées.
Au Soudan, le soufisme a connu un
renouveau. Un Conseil supérieur du soufisme a été créé, et de nombreuses ligues
d’étudiants soufis ont été fondées dans les universités. Par ailleurs, le
Conseil législatif soudanais a promulgué une loi instituant le Conseil
supérieur de l’invocation de Dieu et des invocateurs, une chaîne de télévision
et une radio ont été lancées pour faire connaître la voie soufie, un groupement
des ulémas du soufisme a été créé, et de nombreux groupes de musique soufie récitant
des poésies de cheikhs soufis sont apparus.
Le soufisme entre dans l’ère des
organisations
Certaines confréries soufies sont gérées
maintenant de façon organisationnelle et non pas confrérique, comme la
Naqchbandiyya, l’Ahmadiyya Hachimiyya, l’Achira Mohammadiyya, la Jazouliyya, et
de nombreuses autres. Car elles se sont transformées en organisations ou au
moins en institutions ayant des bureaux et des administrations.
A titre d’exemple, l’« organisation
des adeptes de la Sunna et de la communauté » en Somalie est islamique et
soufie, et comprend des forces paramilitaires, avec lesquelles elle a combattu
durant la guerre civile somalienne contre les groupes islamistes radicaux alliés
à al-Qaïda, aux côtés des forces gouvernementales (2006-2009). Elle a acquis
une vaste popularité dans sa lutte contre le terrorisme du mouvement des
Chababs qui avait imposé aux gens des sentences dont les modes d’application ne
leur convenaient pas, comme l’interdiction de la consommation de
« kat », l’imposition du voile ou la destruction des mausolées.
« L’armée des Naqchbandis » en
Irak est une faction soufie, qui a joué un rôle important après l’occupation
américaine du pays, et s’est présentée comme le défenseur des sunnites
marginalisés. Elle est active au nord de l’Irak, tout en ayant des adeptes dans
les régions kurdes. Les chiffres non officiels indiquent qu’elle comprend entre
1000 et 5000 membres.
L’armée des Naqchbandis a participé à la
révolution des tribus sunnites en 2014, avec de nombreux chars, missiles,
voitures blindées et armes diverses, et les commandants de ses opérations de
terrain sont d’ex-officiers de l’armée irakienne.
Dans la jungle d’Afrique, au Sénégal, est
apparue l’ « Armée des Mouridiyya » constituée par le fondateur
de la confrérie Mouridiyya en 1898, le cheikh Ahmadou Bamba, pour affronter les
colons français, qui occupaient le Sénégal depuis des dizaines d’années. C’est
jusqu’aujourd’hui une organisation complète et indépendante au Sénégal, dans
les affaires de laquelle le gouvernement n’intervient pas.
En Egypte, on trouve la confrérie
Chabrawiyya dont le cheikh, Abdel Khaleq ach-Chabrawi, a décidé d’organiser la
défense des mausolées, après les attaques de Daech au nord du Sinaï, ainsi que
l’Achira al-Mohammadiyya, qui est présentée comme une confrérie soufie à tendance
salafie, avec une forme organisationnelle.
Ce ne sont là que quelques exemples des
changements importants ayant affecté les confréries en les transformant en
organisations après s’être affranchies des coutumes confrériques en usage.
Instrumentalisation des nouvelles
organisations
Certains considèrent que le soufisme est la
solution pour affronter les organisations extrémistes comme les Frères. Dans un
entretien avec al-Marga’, le responsable soufi Dr. Abdallah an-Nasser Helmi
affirme : « C’est l’islam soufi qui est la solution, et non pas
l’islam kharijite, le soufisme est un combat contre les passions de l’âme, et
contre la tyrannie et l’injustice, puisons donc dans le message du soufisme la
force morale, la foi et les vertus spirituelles, et servons-nous-en comme d’un
bouclier pour protéger notre nation et d’une échelle pour atteindre nos buts et
réaliser nos souhaits ».
C’est ainsi que l’on peut entrer en contact
avec les soufis et les soutenir. Lors d’un entretien, le professeur de sciences
politiques et de relations internationales Abdel Hadi Kharbouch a
affirmé que les confréries soufies sont aujourd’hui instrumentalisées, et
que la plupart des politiciens sont en contact étroit avec les cheikhs des
confréries, étant donné le soutien important que ces dernières leur apportent
lors des campagnes électorales.
Quant aux grandes puissances comme
l’Amérique, elles considèrent que le siècle à venir sera celui des soufis, et
elles cherchent ainsi à soutenir les confréries en reconstruisant les mausolées
et les tombes des saints, en publiant les œuvres soufies et en participant au
niveau diplomatique à certaines activités soufies, outre le renforcement des
relations avec les confréries, leurs cheikhs et leurs symboles.
C’est dans ce cadre que l’ambassade
américaine en Egypte s’est rapprochée de certaines confréries soufies, et que
l’ambassadeur américain Francis Ritchard Dony a rencontré le cheikh Hassan
ach-Chennawi, qu’il a visité la confrérie Jazouliyya et a assisté à des chants
de louange du Prophète et autres cantiques religieux, ainsi qu’au mouled
d’as-Sayyed al-Badawi à Tanta, et que le consul américain à Alexandrie a visité
le mausolée du cheikh Morsy Aboul Abbas.
Enfin, une branche du Conseil Suprême des
confréries soufies a été créée en Grande-Bretagne, pour devenir la première
organisation égyptienne internationale à diffuser la pensée soufie, sous la
direction du cheikh de la confrérie Chahawiyya Burhamiyya, Mohammad
ach-Chahawi.
Par le biais du chargé d’affaires américain
au Soudan (Joseph Stanford), la diplomatie américaine œuvre à associer les
diverses confréries soudanaises au projet américain de soutien au soufisme face
au salafisme, et le chargé d’affaires a commencé par choisir les groupes soufis
rattachés à la « confrérie Qadariyya Jilaniyya », la plus répandue au
Soudan, et le diplomate américain a visité entre autres : la confrérie
Badriyya dans la région d’Omm Dawa Ban (wilaya de Khartoum), la Arakiyya dans
la région d’Abouhraz (wilaya d’al-Jazira), la Kabachiyya dans la région
d’al-Kabachi (wilaya de Khartoum).
En conclusion, les confréries soufies sont clairement
impliquées aujourd’hui en politique et servent de soutien essentiel à des
orientations et des choix politiques qui n’ont rien à voir avec leur vocation. Elles
se sont ainsi retrouvées dans une véritable impasse s’agissant de leur rôle
social, en se trouvant obligées d’affronter le terrorisme armé au Bangladesh,
au Pakistan, en Egypte, en Libye et dans les autres pays où des mosquées et
zawiyas de confréries ont été attaquées, et pour se défendre, elles ont créé
des organisations soufies armées. Et malgré cela, tout le monde continue à
parler du soutien apporté au soufisme face au takfiristes.