Publié par CEMO Centre - Paris
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Le rôle des renseignements indonésiens dans la lutte contre le terrorisme en Asie du Sud-Est

samedi 20/octobre/2018 - 05:33
La Reference
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Hicham Al-Naggar

 

J’ai participé pendant quatre ans (2012-2016) à des voyages successifs dans le cadre du programme de l’Agence nationale de lutte contre le terrorisme en Indonésie, pour dialoguer avec les membres des groupes extrémistes et les réformer au niveau idéologique, à côté d’un groupe de penseurs comme Nagueh Ibrahim, fondateur de la Gamaa Islamiya égyptienne, et de sa méthode de révision idéologique.

J’ai eu le sentiment durant cette expérience que les renseignements indonésiens avaient été soucieux d’éviter tout impact d’idées étrangères sur le contexte indonésien, ce qui a permis par la suite d’empêcher la formation de liens organisationnels étroits entre les islamistes locaux et les organisations des pays voisins ou de la région arabe.

Le succès de l’expérience de révision idéologique en Indonésie – surtout pour les groupes locaux dépendant de la Gamaa Islamiya indonésienne plutôt que pour ceux dépendant d’Al-Qaïda et ensuite de Daech – s’explique par son lien avec l’expérience égyptienne. C’est pourquoi les responsables indonésiens ont pensé que le meilleur moyen de convaincre les adeptes de ce groupe était de passer par les pionniers égyptiens de la méthode violente, et ils ont donc recouru aux théoriciens des révisions idéologiques dans le cas égyptien.

En effet, la Gamaa Islamiya indonésienne a puisé son idéologie élaborée sous le nom de « Principes directeurs pour l’application de l’islam selon le Coran et la Sunna[38] », devenus par la suite « Orientations générales de la lutte de la Gamaa islamiya », dans le livre « Pacte de l’action islamique » qui comprend la méthode de travail de la Gamaa Islamiya en Egypte, et qui a été élaborée par ses chefs en prison en 1985, sous la supervision de son chef spirituel Omar Abdel Rahman. En effet, Baachir et les djihadistes indonésiens ont été influencés par ce dernier et par les chefs de la Gamaa égyptienne alors qu’ils se trouvaient avec eux dans le camp de la Gamaa dans la province de Khost durant la guerre d’Afghanistan[39].

L’expérience s’est conclue par le repentir de la plupart des membres de la Gamaa indonésienne, qui visait à créer un Etat islamique en Indonésie par la force armée[40], puisque sur 3000 membres, 2750 ont rejeté la violence et l’extrémisme et rejoint le courant nationaliste[41].

Cependant, ce résultat n’a pas été obtenu sans effort, et les services de sécurité et de renseignements ont contribué à couper les liens des éléments extrémistes en Indonésie avec Al-Qaïda dans les pays d’Asie du Sud-Est, pour ensuite rectifier leurs idées et les réadapter à la société[42].

 

Parapluie commun

Un débat a eu lieu lors du premier Congrès du Conseil indonésien des Mudjahidines sur les principes généraux et le plan de travail, et il a donné lieu au « Pacte de Yogyakarta » qui refuse toute idéologie opposée à l’islam, et Abou Bakar Baachir (l’un des symboles du courant djihadiste dans le Sud-Est asiatique) a déclaré à cette occasion que l’on devait combattre celui qui refusait l’application de la charia[43].

La Gamaa Islamiya indonésienne a généralisé cette méthode dans le but de créer un Etat islamique avec des branches dans le Sud-Est asiatique, ce qui a été précisé lors de la première réunion d’Abou Bakar Baachir après la mort de son camarade Abdullah Sungkar, sous le titre : « La Ligue des Mudjahidines », qui s’est tenue à Subang Selangor, à côté de la capitale malaise Kuala Lumpur en 1999. Assistaient à cette réunion un représentant du Front Moro de libération nationale (Philippines), un représentant du Réseau du djihad (sud de la Thaïlande), un représentant du chef des Rohingyas (Birmanie) et un représentant des djihadistes de Singapour[44]

La Gamaa a adopté la voie de la violence[45] pour une domination totale du monde musulman, en s’appuyant sur l’idée de l’hostilité historique et existentielle entre l’Occident et le monde musulman[46]. Elle a ainsi cherché à s’étendre et à intégrer les pays d’Asie du Sud-Est au sein d’un califat religieux à échelle réduite comme moyen de réaliser son grand rêve[47]. C’est là que les services de sécurité se sont trouvés face à un défi de taille, étant donné qu’ils avaient affaire à des organisations étendues actives dans de nombreux pays.

 

Structure de la Gamaa Islamiya

Pour faciliter la gestion de cette entité étendue, plusieurs zones ont été créées, chacune étant placée sous un commandement différent : ainsi, le « premier secteur régional » couvrant la Malaisie occidentale et Singapour, a été d’abord confié à Abou Bakar Baachir, puis à Hanbali (Redwan Essameddine) ; le second secteur comprenant Sumatra, Java, Bali et Nusantara Ouest, a été dirigé d’abord par Abou Fateh, puis par Naïm en 2001 ; le troisième secteur, comprenant la Malaisie orientale, le Kalimantan oriental, le Suladis central et le Mindanao philippin, était dirigé par Nasser Abbas[48], qui révisa par la suite ses idées extrémistes ; et le quatrième secteur, comprenant la Papouasie et l’Australie, était dirigé par le maître de Baachir, Abderrahman Ayoub (l’un de ceux qui ont revu leur idéologie après les événements du 11 septembre 2001, annonçant leur repentir de la pensée takfiriste et leur adoption de l’idéologie nationaliste[49]).

 

La division au sein du groupe et la révélation de l’activité d’Al-Qaïda

La Gamaa Islamiya n’a en général manifesté que peu d’enthousiasme s’agissant de la coopération avec Ben Laden pour appliquer sa stratégie en Asie du Sud-Est. Et bien qu’elle n’ait pas rejeté officiellement sa fatwa appelant à combattre les juifs et les chrétiens[50], elle a hésité à participer à une alliance coûteuse en argent et en hommes, et susceptible d’affaiblir les efforts du groupe pour réaliser son objectif essentiel, à savoir la création d’un Etat à plusieurs branches dans les pays du Sud-Est asiatique.

Pourtant, l’une des ailes de la Gamaa Islamiya choisit d’adhérer aux buts d’Al-Qaïda. C’est ainsi que Hanbali envoya les membres du premier secteur qu’il dirigeait pour des actes de représailles contre des églises en Indonésie (attentats de Noël en 2000)[51], tandis qu’Abou Bakar Baachir considéra qu’il s’agissait d’un problème local, surtout dans la région d’Ambon et qu’il ne justifiait pas d’étendre les représailles confessionnelles à toute l’Indonésie.

 

La place de l’Indonésie dans l’activité d’Al-Qaïda en Asie du Sud-Est

Le groupe de Hanbali exécuta de 2000 à 2009 diverses opérations en coordination avec Al-Qaïda, dont le but principal était de viser les intérêts américains et occidentaux. C’est Khaled Cheikh Mohammad qui était responsable des opérations d’Al-Qaïda dans le Sud-Est asiatique et qui supervisait directement l’activité de Hanbali. Un plan commun fut élaboré pour attaquer les ambassades des Etats-Unis, de Grande-Bretagne et d’Israël à Manille et Singapour, et la mission fut confiée à Fath Al-Rahman Al-Ghazi, l’un des cadres du Front islamique Moro de libération nationale[52].

Cette orientation a commencé à la fin de la guerre en Afghanistan, et l’aile de Hanbali à la Gamaa fut chargée de Mindanao au sud des Philippines, région dominée par le Front islamique Moro de libération nationale, en particulier le groupe Abou Sayyaf, et en coordination avec lui fut créé le camp d’Al-Hudaybiya qui regroupa des volontaires arabes, indonésiens et philippins, et un an après en 1998, Ben Laden annonça la création du Front islamique international, à Kandahar[53].

Cependant, les ailes participant au plan durent faire machine arrière après que les renseignements indonésiens eurent mis en garde les autorités locales philippines contre les camps du Front Moro où s’entraînaient des volontaires arabes et de divers pays d’Asie du Sud-Est, et dans lesquels étaient préparées des opérations terroristes importantes, ce qui amena l’armée philippine à détruire les camps d’Al-Hudaybiya et d’Abou Bakar à Mindanao[54].

C’est alors que l’alliance terroriste liée à Al-Qaïda opta pour la vengeance, et il fut décidé de viser les intérêts philippins à l’étranger : c’est la résidence de l’ambassadeur philippin à Jakarta qui fut prise pour cible, et l’opération fut exécutée par Fath Al-Rahman Ghazi, Abd Al-Jabbar et Othman le premier août 2000, et elle se solda par un mort et vingt blessés dont l’ambassadeur[55].

 

L’obstacle face aux renseignements indonésiens

Les activités d’Al-Qaïda n’étaient pas centrées essentiellement sur l’Indonésie, et l’organisation préféra Singapour, la Thaïlande et les Philippines, étant donné l’impact plus important qu’elles pouvaient avoir dans le cas de ces pays, et le fait qu’Al-Qaïda pouvait y trouver un soutien de la part des mouvements séparatistes comme dans le cas du Front Moro[56].

Par conséquent, le financement et la supervision par Al-Qaïda des opérations terroristes en Indonésie restèrent limités, et c’est par le biais du groupe de Hanbali que l’organisation intervint dans ce pays, à partir du milieu de 1999, au moment des incidents confessionnels à Ambon, de façon à les exploiter en sa faveur. La supervision sur le terrain de l’exécution des opérations fut confiée à Hanbali, tandis que la préparation des camps, la coordination et la propagande furent confiées à Omar Al-Farouq[57].

La place secondaire de l’Indonésie dans les priorités d’Al-Qaïda en Asie du Sud-Est compliqua la tâche des renseignements indonésiens, du fait de la rareté des visites des chefs de l’organisation dans ce pays : Khaled Cheikh Ahmad ne le visita qu’une fois, ce qui ne permit pas de suivre ses déplacements et ses communications.

Quant aux rôles des chefs d’Al-Qaïda qui y restèrent plus longtemps, ils consistèrent en une participation limitée à l’exécution d’opérations terroristes à l’intérieur de l’Indonésie, à la préparation de camps d’entraînement propres aux Philippins, à la collecte d’informations et à la fourniture de cachettes pour ceux qui subissaient les poursuites des services de renseignements américains et occidentaux dans tous les pays d’Asie du Sud-Est[58].

 

Hanbali et les opérations d’Al-Qaïda en Indonésie

Hanbali[59] était le numéro un d’Al-Qaïda dans la Gamaa Islamiya d’Indonésie, par le biais d’une coopération étroite avec Mohammad Atef et Khaled Cheikh Mohammad qui fournit une aide financière à toutes les opérations terroristes du Sud-Est asiatique. Cette activité commença en 1999, lorsqu’il visita plusieurs fois Karachi et Kandahar et rencontra Khaled Cheikh Mohammad et Mohammed Atef.

A son retour d’Afghanistan, Hanbali discuta en Malaisie les plans de son groupe « le premier secteur » à la lumière de ce qu’il considérait comme une oppression des musulmans à Ambon, et les dernières touches furent apportées à l’opération de représailles, qui eut lieu simultanément contre les églises de sept villes le jour de Noël 2000[60].

Le succès de cette opération complexe – qui eut un retentissement international – poussa Hanbali à exécuter des opérations plus meurtrières, comme celle de Bali en 2002 où périrent 200 personnes et où des centaines d’autres furent blessées, pour la plupart des touristes étrangers.

Et dix mois après les premiers attentats de Bali, eut lieu l’attaque contre l’hôtel Marriott à Jakarta où douze personnes furent tuées et cent cinquante autres blessées. L’opération fut revendiquée par Al-Qaïda sur la chaîne Al-Jazira, comme réponse aux pratiques des Etats-Unis[61].

 

Démantèlement du réseau «Hanbali» et «Al-Qaïda»

Lors de l’opération terroriste contre le centre commercial de l’Atrium à Jakarta en mai 2001, l’un des neuf auteurs de l’attaque[62], Dani Al-Malizi, a fourni lors de l’enquête des détails précis sur l’organisation Hanbali liée à Al-Qaïda, et c’est à partir de ces informations que l’une des cachettes importantes de l’organisation, une maison dans une zone reculée d’Indonésie, a été découverte et que les cadres principaux de la cellule ont été arrêtés.

Les services de renseignements indonésiens ont par ailleurs découvert que Hanbali avait divisé son organisation de base en groupes : le premier, le groupe Malaisie, le second le groupe Sirang, qui a exécuté les premières attaques de Bali en 2002, et le troisième, le groupe Lamongan[63].  

La tactique de travail reposait sur une coordination préalable entre les groupes, comme dans les explosions de Bali en 2002, qui eurent lieu grâce à la coopération entre les deux groupes Sirang et Lamongan (« l’axe Sirang-Lamongan » comme cela a été nommé à l’intérieur de l’organisation), une tactique dont les détails n’étaient pas connus des autres membres du groupe en Indonésie[64].

Les services de sécurité indonésiens ont alors poursuivi le groupe Hanbali (premier secteur), qui a été arrêté, ainsi que les membres des autres secteurs, non pas seulement en Indonésie, mais aussi en Malaisie.

 

Arrestation de Hanbali

Les services de sécurité ont resserré l’étau autour du groupe Hanbali et toute personne ayant fourni une protection au groupe a été arrêtée. Ainsi, le groupe a été découvert, après avoir été isolé et que les trois autres groupes se soient retournés contre lui, pour ne pas payer le prix des pratiques de Hanbali[65].

Durant la période de recherche de Hanbali et après son arrestation, les plans d’attaques qui avaient été élaborés précédemment ont été exécutés, en coordination avec l’organisation Al-Qaïda, par un groupe entretenant des liens étroits avec Hanbali, et dirigé par le Dr Azhari Hussein et Noureddine Mohammad Toub. C’est ainsi que cinq attaques ont été exécutées en son absence : celle de Bali le 12 octobre 2002, celle du Marriott le 5 août 2003, celle de l’ambassade d’Australie le 9 septembre 2004, celle de Bali à nouveau en octobre 2005, et celle du Marriott Ritz-Carlton le 17 juillet 2009[66].

En 2001, Hanbali était en Malaisie pour deux semaines, puis il se rendit à Tanjungpinang, capitale de l’archipel indonésien de Riau, où il se procura un faux passeport, avant de partir pour Medan, puis de s’envoler à nouveau pour la Malaisie. Un mois plus tard, il voyagea en Thaïlande, changeant régulièrement d’endroit avec sa femme avant de se réfugier au Cambodge, à la recherche d’identités nouvelles et d’armes. Il fut finalement arrêté en août 2003 à Bangkok[67].

Les personnalités importantes du « premier secteur » se cachèrent comme lui en Thaïlande, et elles furent arrêtées les unes après les autres, grâce à la coordination entre les services de renseignements indonésiens, malais, singapouriens, philippins et américains. Leurs aveux permirent de savoir que la série d’attaques qui avaient précédé l’arrestation de Hanbali et ne s’arrêtèrent pas après celle-ci étaient un projet d’Al-Qaïda, qu’il avait été chargé d’exécuter d’août à décembre 2001, lorsqu’il rencontra à Kandahar Ossama Ben Laden et Khaled Cheikh Mohammad. Et l’on sut ainsi que la valeur des fonds d’Al-Qaïda qui étaient parvenus au groupe Hanbali par le biais de Khaled Cheikh Mohammad atteignait environ 125.000 dollars[68].

Les services de renseignements ont également découvert la façon dont la plupart des opérations étaient réalisées : les bombes étaient assemblées dans une maison de Malaka Sari à l’est de Jakarta, elles étaient ensuite transportées en voiture jusqu’à la cible et quelqu’un les faisait exploser à distance.

 

Conclusion

1  Les renseignements indonésiens ont réalisé un succès remarquable en démontant les liens des extrémistes indonésiens avec des organisations aux activités internationales comme Al-Qaïda, et ceci après des efforts qui ont duré de 2000 à 2009, et qui ont permis de démanteler le réseau des alliances d’Al-Qaïda avec des ailes à l’intérieur d’organisations indonésiennes.

2  Les extrémistes indonésiens ont été neutralisés grâce au bon traitement qui leur a été réservé, à tel point qu’un des chefs militaires de la Gamaa Islamiya, Nasser Abbas, a renoncé à la violence, et a même coopéré avec les services de sécurité indonésiens pour la capture des chefs importants de la Gamaa, et s’est adressé, de la part du gouvernement, à trois cents terroristes, dans le but de réfuter leurs idées extrémistes et de les convaincre d’adopter des pratiques pacifiques[69].

3  Les programmes de rectification idéologique et l’ouverture de dialogues intensifs avec les extrémistes indonésiens[70], en recourant à d’ex-chefs islamistes du Moyen-Orient, d’Indonésie et des pays d’Asie du Sud-Est, ont contribué à réduire le nombre des Indonésiens qui s’enrôlent sous la bannière de Daech, et des études réalisées par l’Agence américaine pour le développement international ont montré que le nombre de terroristes malais et indonésiens ayant rejoint les rangs de Daech en Syrie et en Irak n’était que de 450 – dont plus de la moitié sont malais – bien que le nombre d’habitants de la Malaisie soit de 18 millions et celui des habitants d’Indonésie de 200 millions[71].

 

 

 

 

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